Ils s’en souviennent comme si c’était hier. « Avant le 20 février, j’avais la sensation que nous étions un peuple amorphe, avance Abdallah Abaakil, militant. Et puis on s’est réveillés. On entendait le slogan : vive le peuple alors qu’avant c’était vive le roi. C’était un sentiment très fort ». Comme Abdallah, ils sont des dizaines de milliers à marcher pacifiquement dans des dizaines de villes du Maroc. Effet de surprise total dans un pays meurtri par la répression féroce des années de plomb sous feu Hassan 2. « Mais le 20 février, la peur est tombée, avance un autre militant de Casablanca, Samir Bradley (voir vidéos). Ce jour-là, on était tous à revendiquer un Etat de droit, la fin du népotisme. Et depuis ce jour, j’ai été de toutes les manifestations et sit-in ».
Face à ce mouvement de contestation inédit emboîtant le pas à l’époque à la Tunisie, l’Egypte, et la Libye, les autorités marocaines réagissent a contrario par le changement par le haut. Le roi Mohamed VI proclame trois semaines plus tard des réformes profondes, et une réforme de la constitution. Dans les premières semaines de ce vent de fronde inédit depuis trente ans, le Maroc réagit en fin tacticien : une réforme constitutionnelle qui débouche sur un référendum en juillet ; des élections législatives anticipées en novembre ; et des musulmans conservateurs, longtemps dans l’opposition, vierges de tout compromis, arrivent au gouvernement. « Ce fut un coup de maître, reconnaît Abdallah Abaakil. Le Makhzen (l’appareil étatique marocain lié à la royauté, ndlr) réalise un changement en douceur car en permettant au Parti de la Justice et du Développement, qui défendait ces valeurs de justice sociale, de remporter les élections et d’arriver au pouvoir, beaucoup de Marocains se sont dit que le changement était en marche ».
Une répression redoutable
Rabat coupe finement l’herbe sous le pied de ses opposants de la rue pour mieux « couper » des têtes. Car si la répression n’a pas été aussi meurtrière que dans les pays de la région, elle n’en fut pas moins efficace et redoutable. « Il est vrai que la répression a été moins sauvage au Maroc, affirme Khadija Ryadi, présidente de la plus importante association des droits de l’homme, l’AMDH. Mais ce ne fut pas une répression soft : il y a eu 9 ou 10 morts dans des manifestations, et il n’y a pas eu d’enquête, personne n’a été jugée pour ces homicides. La répression qui s’exerce dans le royaume est un camouflet pour les autorités. Nous ne sommes pas une démocratie, et on est loin d’être une exception».