20 février : anniversaire amer au Maroc

C’était il y a deux ans jour pour jour. Le 20 février 2011, des dizaines de milliers de Marocains descendaient dans les rues et réclamaient du changement : fin de la corruption, justice sociale, etc. Deux ans après, les mouvements de contestation qui ont pris dans des dizaines de villes du royaume n’ont pas abouti à une révolution comme en Tunisie et en Egypte. Les autorités vantent « l’exception marocaine » en contradiction avec une répression pour affaiblir un mouvement qui a brisé le tabou de la peur.
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20 février : anniversaire amer au Maroc
Une manifestation à Rabat le 20 février 2011.
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Ils s’en souviennent comme si c’était hier. « Avant le 20 février, j’avais la sensation que nous étions un peuple amorphe, avance Abdallah Abaakil, militant. Et puis on s’est réveillés. On entendait le slogan : vive le peuple alors qu’avant c’était vive le roi. C’était un sentiment très fort ». Comme Abdallah, ils sont des dizaines de milliers à marcher pacifiquement dans des dizaines de villes du Maroc. Effet de surprise total dans un pays meurtri par la répression féroce des années de plomb sous feu Hassan 2. « Mais le 20 février, la peur est tombée, avance un autre militant de Casablanca, Samir Bradley (voir vidéos). Ce jour-là, on était tous à revendiquer un Etat de droit, la fin du népotisme. Et depuis ce jour, j’ai été de toutes les manifestations et sit-in ». 
Face à ce mouvement de contestation inédit emboîtant le pas à l’époque à la Tunisie, l’Egypte, et la Libye, les autorités marocaines réagissent a contrario par le changement par le haut. Le roi Mohamed VI proclame trois semaines plus tard des réformes profondes, et une réforme de la constitution. Dans les premières semaines de ce vent de fronde inédit depuis trente ans, le Maroc réagit en fin tacticien : une réforme constitutionnelle qui débouche sur un référendum en juillet ; des élections législatives anticipées en novembre ; et des musulmans conservateurs, longtemps dans l’opposition, vierges de tout compromis, arrivent au gouvernement. « Ce fut un coup de maître, reconnaît Abdallah Abaakil. Le Makhzen (l’appareil étatique marocain lié à la royauté, ndlr) réalise un changement en douceur car en permettant au Parti de la Justice et du Développement, qui défendait ces valeurs de justice sociale, de remporter les élections et d’arriver au pouvoir, beaucoup de Marocains se sont dit que le changement était en marche ». 
Une répression redoutable
Rabat coupe finement l’herbe sous le pied de ses opposants de la rue pour mieux « couper » des têtes. Car si la répression n’a pas été aussi meurtrière que dans les pays de la région, elle n’en fut pas moins efficace et redoutable. « Il est vrai que la répression a été moins sauvage au Maroc, affirme Khadija Ryadi, présidente de la plus importante association des droits de l’homme, l’AMDH. Mais ce ne fut pas une répression soft : il y a eu 9 ou 10 morts dans des manifestations, et il n’y a pas eu d’enquête, personne n’a été jugée pour ces homicides. La répression qui s’exerce dans le royaume est un camouflet pour les autorités. Nous ne sommes pas une démocratie, et on est loin d’être une exception».
20 février : anniversaire amer au Maroc
De cette mobilisation naîtra le “mouvement du 20 février“
Profitant de l’essoufflement du mouvement du 20 février, les autorités ont en effet arrêté, et jugé – souvent en toute discrétion - des dizaines de militants aux quatre coins du pays. « On dénombre aujourd’hui entre 50 et 60 militants en prison, poursuit Khadija Ryadi. Et il y a une volonté des autorités de cacher ces procès sous couvert d’accusations de droit  commun : vente de cannabis, violences contre la police, et les tribunaux ne prennent en compte que les procès-verbaux de la police ». Des PV montés de toute pièce, comme l’a confirmé à TV5 Monde, Samir Bradley, militant de Casablanca, arrêté en juillet dernier, et emprisonné pendant six mois avant d’être libéré fin janvier. « J’ai été frappé plusieurs fois, raconte-t-il chez lui dans son quartier de Derb Soltane. Et plusieurs fois, je me suis évanoui, j’ai subi une véritable torture psychologique, j’ai dormi par terre pendant deux mois, serré dans un coin près des toilettes ». Aujourd’hui, ce jeune Casablancais au bouc bien rasé se déplace avec une béquille. Blessé mais pas à terre. « Aujourd’hui encore, je suis sous la menace d’un PV préfabriqué. Demain ne soyez pas étonné si on m’accuse de trafic de stupéfiant ou de falsification de document. Mais quiconque s’élève contre la Hogra, la corruption, et milite pour la justice sociale et la liberté prend ce risque de l’arbitraire. C’est un risque à prendre. Mais depuis le premier jour où je suis sorti dans la rue avec le M20, je savais que tout pouvait arriver, y compris être arrêté, ou assassiné en pleine rue ».
La dignité humaine bafouée
Impunité, arbitraire, torture. Le Maroc n’aurait donc pas changé. « Il y a toujours eu une politique de la vengeance des autorités marocaines contre les mouvements sociaux et de protestation qui s’approchent des tabous », relève Khadija Ryadi. « On a bousculé les tabous, ajoute Abdallah Abaakil. Quand nous avons dirigé les manifestations sur les quartiers populaires, c’est là que la répression nous est tombée dessus ». « Mais une partie de la population marocaine a moins peur depuis le mouvement du 20 février, assure Khadija Ryadi. Les gens demandent le respect de leurs droits sauf que les autorités n’ont pas de réponse à donner à ces demandes légitimes sauf à les réprimer ». Qu’importe pour Samir et ses camarades. « Notre dignité humaine a été bafouée, mais le mouvement du 20 février existe toujours. Quiconque s’élèvera contre les injustices, s’exprimera pour la liberté, la dignité, et la justice sera membre du 20 février ». L’espoir d’un changement est toujours là même si les rangs se sont clairsemés. « Ce mouvement du 20 février est un point de départ, analyse Abdallah Abaakil aujourd’hui en retrait de la coordination. C’est un échec relatif car nous avons manqué de relais institutionnel auprès des partis. Il faut transformer ce mouvement pour qu’il soit plus efficace et qu’on obtienne de réels changements ». En attendant, le mouvement du 20 février ne désarme pas : sit in ce mercredi avant plusieurs manifestations dimanche 24 février.

Témoignage

20.02.2013Propos recueillis par Mehdi Meddeb
Samir Bradley est membre du Mouvement du 20 février. Son engagement lui a valu 6 mois de détention dans une prison de Casablanca.
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