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Vendredi 13 septembre dernier, le président du tribunal militaire de Kinshasa-Gombe, le major Freddy Ehume, a prononcé un jugement qui condamne à mort 37 personnes accusées dans l’affaire de la « tentative de coup d’Etat » du 19 mai 2024. Journaliste et directeur du site d’information Afrikarabia, Christophe Rigaud répond à nos questions. Entretien.
Le major Freddy Ehume préside le tribunal militaire où trois Américains et 50 autres accusés sont entendus à Kinshasa, avec 52 autres accusés, vendredi 7 juin 2024, accusés d'un rôle dans la tentative de coup d'État du mois dernier au Congo, et menée par l'opposant peu connu Christian Malanga, dans lequel six personnes ont été tuées.
TV5MONDE : Le tribunal militaire de Kinshasa a prononcé la peine de mort, vendredi dernier, contre 37 prévenus sur les 51 personnes jugées pour la « tentative de coup d’Etat » que l’armée congolaise (RDC) a dit avoir déjoué en mai dernier. Comment expliquez-vous la sévérité de ce verdict ?
Christophe Rigaud : Je ne suis pas étonné par la sévérité des peines prononcées. La République démocratique du Congo (RDC) évolue actuellement dans un contexte sécuritaire extrêmement tendu. Depuis plus de deux ans, la guerre à l’Est fait rage contre les rebelles du M23.
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La branche politique de la rébellion, l’Alliance Fleuve Congo (AFC) de Corneille Nangaa, ne cache pas ses velléités de « changer » le régime à Kinshasa, réveillant ainsi les craintes de coup d’Etat. C’est d’ailleurs dans ce contexte de conflit avec le M23 et de ses soutiens rwandais que le gouvernement a décidé de lever le moratoire sur la peine de mort [le 13 mars 2024, NDLR].
Corneille Nangaa, l’ancien patron de la Commission électorale (CENI) sous Joseph Kabila et maintenant à la tête d’une coalition rebelle, a d’ailleurs été condamné à mort par contumace cet été, avec plusieurs de ses cadres. Il a été reconnu coupable de « crimes de guerre », « participation à un mouvement insurrectionnel » et « trahison ».
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On peut donc dire qu’il y a une certaine « logique » pour l’Etat congolais à vouloir punir le plus sévèrement possible les participants à ce coup d’Etat raté, même si la plupart des études ont démontré que la peine de mort n’avait aucun caractère dissuasif.
TV5MONDE : En mars dernier, le gouvernement congolais a levé le moratoire sur la peine de mort, en vigueur depuis 2003. Pour quelles raisons ce moratoire a-t-il été levé ? Et cela peut-il conduire à l’exécution des prévenus de l’affaire du coup d’Etat ?
Christophe Rigaud : En échec militaire et diplomatique depuis deux ans et demi face au M23, soutenu par le Rwanda, le président Félix Tshisekedi cherche par n’importe quel moyen à peser sur le conflit. Notamment en essayant de dissuader les Congolais de rejoindre le M23 et sa vitrine politique, l’AFC. Mais également de dissuader ses propres soldats de fuir les combats et de se rallier à la rébellion.
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Mais la mesure veut aller plus loin, et concerne l’insécurité grandissante dans les grandes villes. Dans sa circulaire, le ministère de la Justice explique vouloir « débarrasser l’armée des traîtres, et endiguer la recrudescence d’actes de terrorisme et de banditisme urbain entraînant mort d’homme ».
Le retour de la peine capitale a soulevé un tollé général des défenseurs des droits humains. Le prix Nobel de la Paix, Denis Mukwege, a dénoncé une mesure « particulièrement dangereuse dans un pays où la justice est dysfonctionnelle et malade ». Théoriquement donc, les prévenus dans l’affaire du coup d’Etat manqué peuvent être réellement exécutés. Les avocats des détenus ont déjà annoncé faire appel de ce premier jugement.
Pour l’instant, il n’y pas eu d’exécution depuis la levée du moratoire. Pour les prévenus étrangers, il me semble compliqué, pour une question d’image du pays à l’international et pour des questions diplomatiques, que la peine capitale soit appliquée. Concernant les prévenus congolais, j’ai davantage de doutes.
TV5MONDE : Justement, sur les 37 personnes condamnées à mort, six sont de nationalités étrangères : trois Américains, un Belge, un Britannique et un Canadien. Les trois derniers ont aussi la nationalité congolaise, obtenue par naturalisation. Ces nationalités occidentales constituent-elles une « protection » contre l’application de la peine de mort pour ces prévenus ?
Christophe Rigaud : Il est évident que les quatre pays concernés vont suivre de très près le sort de leurs ressortissants. La Belgique a déjà donné le ton en rappelant tout d’abord son opposition à la peine de mort, et en se disant « surpris » du jugement « compte tenu du peu d’éléments fournis lors du procès ».
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L’ambassadeur congolais a d’ailleurs été convoqué par les Affaires étrangères belges. Les Etats-Unis avaient également indiqué suivre la situation de ses ressortissants avec « préoccupations ». Je pense que les quatre pays impliqués ont des relations diplomatiques suffisamment fortes avec Kinshasa pour éviter le pire à leurs ressortissants devant le risque d’application de la peine capitale.
Au Congo, des ONG comme la Voix des Sans Voix, qui considère la peine de mort « inhumaine », ont d’ailleurs demandé qu’elle soit commuée en prison à vie, comme cela était le cas avant la levée du moratoire en mars dernier. Ce serait évidemment une porte de sortie honorable pour Kinshasa concernant les prévenus étrangers. Mais on peut surtout penser que ces prévenus demanderont une extradition dans leur pays d’origine, ce qui est le plus probable.
TV5MONDE : Pourquoi selon vous ce procès n’a apporté que peu de précisions sur les motivations des membres de l’opération ? Est-ce parce que son principal instigateur, Christian Malanga, Congolais de 41 ans installé aux USA, avait été tué par l’armée ?
Christophe Rigaud : En effet, ce procès ne nous a pas vraiment éclairés sur les dessous de cette aventure fumeuse digne des « Pieds Nickelés », et surtout sur les réelles motivations de Christian Malanga dont on a réduit la voix au silence. Cette aventure ressemble davantage à un coup d’éclat qu’à un coup d’Etat, qui se caractérise par l’amateurisme des assaillants et une stratégie des plus hasardeuses.
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Pourquoi attaquer la résidence de Vital Kamerhe et le Palais du Peuple, vide à cette heure-là ? Pourquoi les « putschistes » ne se sont-ils pas précipités vers des sites stratégiques comme les camps militaires, où ils auraient pu rallier d’autres soutiens, ou les locaux de la télévision ? Le projet de Christian Malanga n’avait visiblement aucune chance d’atteindre l’objectif de renverser le pouvoir.
Le procès n’apporte également aucune explication sur les failles sécuritaires, qui ont permis à des hommes en armes de circuler librement dans le quartier le plus sensible de la capitale. Seul Christian Malanga aurait pu répondre à ces questions, ses « co-putschistes » s’étant visiblement retrouvés dans ce coup d’Etat un peu paumés et « malgré eux ».
TV5MONDE : Durant le procès, un nom est revenu bien souvent au cœur du dossier, celui de Jean-Jacques Wondo, un Belge chargé de réformer l’Agence nationale des renseignements (ANR). Pouvez-vous nous présenter cet homme, et est-il vraiment le stratège derrière cette opération ?
Christophe Rigaud : Jean-Jacques Wondo est un ancien sous-officier de la garde civile sous Mobutu, diplômé de l’école royale militaire. Mais c’est surtout, pour moi, le plus grand spécialiste de l’armée congolaise contemporaine. Il a d’ailleurs écrit un certain nombre d’ouvrages reconnus sur le sujet.
On imagine difficilement cet expert militaire aux analyses toujours fines et pertinentes sur la situation sécuritaire congolaise être présenté comme « le concepteur » d’un coup d’Etat aussi mal préparé et voué à l’échec. Pour mieux comprendre comment Jean-Jacques Wondo se retrouve dans cette situation dramatique et ubuesque, il faut revenir aux raisons de sa venue à Kinshasa en février 2024.
Il revient au pays à la demande du nouveau patron des renseignements (ANR), Daniel Lusadisu, chargé par le président Tshisekedi de redorer l’image de l’agence et surtout de la réformer. L’ANR est surtout perçue comme une sorte de « police politique » plutôt qu’une agence de renseignements, avec ses cachots secrets, ses arrestations arbitraires, ses détentions hors délai…
On peut supposer que ces réformes n’ont pas été du goût de certains au sein de l’ANR. Ses proches affirment qu’il a été victime d’une guerre interne. C’est la raison la plus probable à ce mauvais feuilleton. Pour preuve, Daniel Lusadisu, censé « humaniser » l’ANR, a été débarqué après le coup d’Etat manqué et remplacé par un « faucon » de l’agence, déjà en poste en 2019, Justin Kakiak.
Quand on regarde la chronologie du coup d’Etat raté, on imagine mal Jean-Jacques Wondo s’engager dans un projet aussi mal ficelé. D’ailleurs le propre fils du « chef-putschiste », Christian Malanga, avait innocenté Jean-Jacques Wondo dès le début du procès, en affirmant « qu’il n’avait jamais été avec nous ».