5 juillet 1962 : quelle mémoire du massacre d’Oran?

À Oran, ce 5 juillet 1961, jour de l’indépendance pour l'ensemble de l’Algérie, des centaines d’Européens auraient été tués. 60 ans après, ce qu’on appelle « le massacre d’Oran » reste une blessure mémorielle.

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Soldat français
AP Archives
Un soldat français à Oran, en Algérie, le 15 mai 1962.
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Massacre Oran
AP archives
Des femmes et des hommes célèbrent la proclamation de l'indépendance de l'Algérie à Oran, le 3 juillet 1962.
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La liesse s’empare de l’Algérie en ce 5 juillet 1962. Après 132 ans de présence française, l’ancienne colonie devient indépendante. C'est la fin de l’Algérie française. À Oran, des habitants célèbrent ce jour historique et les drapeaux algériens flottent dans les rues de la ville. Soudainement, pendant le défilé dans le centre-ville, des coups de feu éclatent. Les manifestants craignent un attentat de l’OAS (l’Organisation armée secrète est le bras armé clandestin des ultras de l’Algérie française). Un grand mouvement de panique gagne la foule.

Un nombre de victimes inconnus


« Il faut savoir qu’Oran était la seule ville où l’OAS sévissait encore à cette période. explique Amar Mohand Amer, historien algérien au centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle. À Alger, le FLN avait passé un accord de cessez-le-feu avec l’OAS le 17 juin. À Oran, ce n’était pas le cas, alors qu’il s’agissait d’une des villes les plus meurtries par les actions du groupe terroriste. »

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Peu après, l’échange de tirs (dont on ne connait toujours pas l’origine) des individus investissent les quartiers du centre-ville, de Petit Lac et de Victor-Hugo, et se livrent à des massacres visant des Européens. À cette époque, la municipalité d’Oran est alors majoritairement peuplée d'Européens. Des centaines d’hommes et de femmes, français d'Algérie, sont alors enlevés ou tués.

Dans le monde diplomatique, le journaliste Pierre Daum a recueilli la parole d’Algériens présents lors de cette journée à Oran. Rachid Salah était alors jeune instituteur à cette époque. Il relate « un coup de folie, une foule hystérique qui ne se contrôle plus, l’explosion d’une rage accumulée…, je ne sais pas comment appeler cela autrement. À un moment, je me suis retrouvé sur l’Esplanade, à Ville-Nouvelle. Là, devant une foule hystérique, je vois un homme attraper un Français et lui ouvrir le ventre avec un couteau, sous les yeux de son fils. J’essaye d’empêcher le petit garçon de voir, et alors la foule se met à hurler contre moi ! J’ai vite déguerpi, je suis allé me réfugier chez ma copine […]. De son balcon du premier étage, j’ai vu des petits groupes de quatre ou cinq pieds-noirs emmenés par des Algériens hystériques. Pas des soldats, pas des fedayins, non, juste des gens hystériques. »

L’armée française avait pour consigne de rester dans les casernes. Gilles Manceron, historien

Si des actes violents ont été relayés par des témoins, la confusion est le sentiment qui ressort le plus de cette journée devenue macabre. Le journal le Monde écrivait deux jours après le 7 juillet 1962 : « La foule devint menaçante à l’égard des Européens... de nouveaux coups de feu étaient entendus... Ce fut une débandade folle. Les manifestants sautaient des camions et des voitures. Les femmes se jetaient à plat ventre. Tout le monde tirait : les militaires de l’ALN (Armée de libération nationale) avec leurs armes automatiques, les civils du FLN (Front de libération nationale) et les ATO (Auxiliaires Temporaires Occasionnels) avec leurs pistolets. Les militaires français avec leurs mitraillettes, puis leurs mitraillettes lourdes. Tous ces hommes tiraient dans la confusion la plus totale »

L'ALN investit la ville mais se trouve dépassée. Le bilan n’en a été que plus lourd. Les victimes ne furent toutefois pas exclusivement européennes. Des musulmans jugés trop proches de la population européenne ont été visés. De dizaines à centaines, le nombre de victimes reste flou encore aujourd’hui.

Absence d’autorité


Comment expliquer qu’aucune force armée n’ait empêché les actes de vandalisme et de violence qui se déroulaient dans les rues d’Oran ? « Le 5 juillet s’inscrivait dans une période de transition et de relative vacance de tout pouvoir. explique Gilles Manceron, historien spécialiste du colonialisme français. Les autorités françaises, qu'elles soient civiles ou milliaires, étaient en cours de retrait. Elles prévoyaient de transmettre les pouvoirs aux autorités algériennes qui n'existaient pas encore. L’armée française avait pour consigne de rester dans les casernes. »


Amar Mohand Amer souhaite cependant appuyer le fait qu’il « n’y a pas eu d'appel ou de climat délétère en amont à cette journée. L'ombre de l'OAS menaçait ce jour là. Rien ne prédestinait que cette journée allait être violente. Des groupes armés ont profité de la situation d'absence de pouvoir pour voler et tuer des européens et des musulmans.» Par ailleurs, pour l’historien, la violence qui a été perpétuée dans les rues d’Oran ce jour-là, serait aussi la conséquence d’une histoire coloniale de plus d’un siècle marquée par des actes barbares.

Le massacre d'Oran doit être regardé en face et reconnu. Emmanuel Macron, président de la République française

Si certains font porter la responsabilité de ces actes à des membres du FLN, des historiens favoriseront la piste criminelle notamment de groupe de combattans armés indépendantistes devenus des bandits. Des personnages comme Attou Moueddène ou Si Abdelhamid prennent à cette époque la tête de groupes armés.

Encore aujourd’hui, en raison notamment de l’imprécision du nombre de victimes, le massacre d’Oran fait l’objet de fantasmes de la part de partisans de l’Algérie Française. Certains groupes de l'extrême droite font état alors de milliers voire de dizaines de milliers de victimes alors que les historiens s'accordent à établir autour de 700 les victimes du massacre.

Alors que ce 5 juillet 2022 marque les 60 ans de l’indépendance de l’Algérie, la ville de Perpignan, aujourd’hui dirigée par le mairie du Rassemblement national Louis Aliot, a fait partie des rares villes de France a avoir organisé une cérémonie « à la mémoire des victimes du massacre d’Oran ». Le 26 janvier 2022, Emmanuel Macron reconnaissait le "massacre du 5 juillet 1962" à Oran, qui toucha "des centaines d'Européens, essentiellement des Français". Un massacre qui selon le chef d'État "doit être regardé en face et reconnu."

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