Fil d'Ariane
Le secrétaire exécutif des Nations Unies Simon Stiell, à gauche, le président de la COP28 Sultan al-Jaber et Hana Al-Hashimi négociatrice en chef pour les Émirats arabes unis à la COP 28, posent à la fin de la COP 28 à Dubaï, le mercredi 13 décembre 2023.
Fonds pertes et dommages, transition hors des énérgies fossiles, doublement du rythme d'amélioration de l'efficacité énergétique d'ici à 2030... L'accord obtenu à l'issu de la COP 28 est qualifié "d'historique" par son président, Sultan Al-Jaber. Le sentiment de négociateurs des pays africains est plus partagé.
"Je trouve qu'il est très difficile d'être satisfait d'un accord de compromis. Mais je reconnais que c'est la première fois que l'on parle de cette façon de transition hors des énergies fossiles." A peine sortie de la dernière réunion de la COP 28 ce 13 décembre à Dubaï la négociatrice en chef pour le Tchad Hindou Oumarou Ibrahim semble résumer le sentiment de nombreux négociateurs africains.
Cet accord adopté par consensus dans une COP présidée par Sultan Al-Jaber, président de la compagnie pétrolière nationale appelle à une "transition" hors des énergies fossiles, "afin d'atteindre la neutralité carbone en 2050".
Si le terme de "sortie" des énergies fossiles n’a pas été employé, c’est la première fois que ces énergies sont mentionnées dans un texte lors d’une conférence des Nations unies sur le climat, comme le rappellait la négociatrice en chef du Tchad.
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L'accord porte également sur le triplement des capacités d'énergies renouvelables et le doublement du rythme d'amélioration de l'efficacité énergétique d'ici à 2030. Il concrétise enfin la création du fonds pour les pertes et dommages, annoncé lors de la COP 27, et qui a commencé à être alimenté à Dubaï.
Si cet accord est qualifié d’historique par Sultan Al-Jaber pour sa mention de "transition hors de énergies fossiles", les négociateurs africains présents à la COP 28 lui portent en effet un regard plus partagé entre satisfaction et déception.
"L’Afrique politique applaudit les négociations et les conclusions de Dubaï. Moi en tant que citoyen, je vous parle avec un sentiment très mitigé". résume Sena Alouka, négociateur pour le Togo à Dubaï, et directeur de l’ONG Jeunes Volontaire pour l’Environnement, première organisation de jeunesse en Afrique.
"Je ne veux pas dire que ce qui s’est passé à Dubaï est négatif, on a bien dialogué et le terme d'énergie fossile à trouvé une place dans les documents". explique Sena Alouka. Selon lui, l’usage du mot "transition", est un choix "intelligent et diplomatique". "Ça signifie qu’on va s’éloigner progressivement des énergies fossiles, ce qui représente déjà un grand pas en avant", ajoute-t-il.
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Maimouna Adamou, négociatrice pour le Bénin.
Selon Marc Ona Essangui, secrétaire exécutif de l’ONG Brainforest et vice-président du Sénat de la transition au Gabon, "se débarrasser des énergies fossiles c’est un grand débat, parce que ce sont ces énergies qui sont à l’origine des émissions de gaz à effets de serre. Mais comment s’en débarrasser pour embrasser les énergies propres ? Il ne faudrait pas que ça soit de simples slogans, il faudrait ça soit effectif".
Toutefois, cette avancée n’est pas suffisante pour envisager une sortie de la crise climatique pour Sena Alouka. "Il ne peut pas y avoir de transition énergétique si elle n’est pas équitable, juste, et surtout si elle n’est pas financée. Il faut absolument financer la transition énergétique des pays en développement. Dans le consensus de Dubaï il n’y aucune promesse de financement pour aider les pays qui ne sont pas responsables du réchauffement climatique à mettre en place la transition énergétique".
"Le crise climatique se déroule dans un contexte rocambolesque" précise-t-il. C’est selon lui tout le système économique qui est à revoir pour pouvoir envisager une véritable sortie des énergies fossiles. "Dans un système économique dans lequel des pays se battent encore pour arrêter de s’endetter et de payer des dettes contractées lors de la période coloniale, toute négociation faite pour le climat ne pourra pas être suffisamment efficace".
En septembre dernier les représentants de 54 pays africains avaient insisté dans la déclaration de Nairobi sur la nécessité pour les pays du Nord d’accompagner les pays du Sud dans leur transition. La COP 28, représentait alors échéance importante pour les pays signataires. Selon les 54 pays africains il faudrait des investissements de l'ordre de 600 milliards de dollars pour que les besoins de l'Afrique soient couverts en énergies renouvelables.
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Mais selon Sena Alouka, "les pays en développement et l’Afrique ne doivent pas se faire d’illusions. La COP, en l’état actuel de son organisation, n’est pas l’espace pour régler la crise climatique".
Ce sentiment mitigé est partagé par la béninoise Maimouna Adamou, jeune négociatrice pour son pays lors de cette COP 28.
"Finir la COP en nous disant qu’on ne va pas sortir des énergies fossiles mais qu’on va vers une transition, c’est comme faire semblant de prendre des décisions", explique-t-elle. "On n'a pas de clarté sur ce qui a été adopté", déplore la béninoise. Toutefois, elle salue la mention du terme d’énergies fossiles dans le texte final, "une chose est de dire, l’autre chose est de faire", conclue-t-elle, dans l’attente de voir s’opérer cette transition.
Selon Maimouna Adamou, certaines décisions prises à Dubaï représentent de véritables avancées. "Les annonces faites sur le fond pertes et dommages et la promesse des Émirats arabes unis de donner 100 millions de dollars, sont une réussite. Reste a savoir si les promesses seront tenues. 25 pays ont promis de donner pour le fond".
Au total, selon Sena Alouka, nogociateur pour le Togo, "il y a aujourd’hui 700 millions de dollars (de promesses) dans le fonds dédié aux pertes et dommages". C'est un montant "très très très inférieur aux besoins des pays touchés, pour pouvoir gérer les catastrophes qui arrivent chaque année" poursuit Sena Alouka.
Selon le négociateur, ce fonds se présente sous trois volets distincts, un social, un économique et un politique. "Dans sa dimension sociale, la création du fond répond dans une certaine mesure à un besoin de dédommagement des pays en développement, qui sont donc les plus vulnérables, par rapport aux pays dits développés. Même si le fond ne suffit pas, c’est toujours bien que les nations se mettent d’accord pour le mettre en place" détaille-t-il.
La concrétisation de ce fond sur les pertes et dommages, est une grande avancée selon Marc Ona Essangui. "Pour moi le vrai accord de la COP de Dubaï c’est la création de ce fonds."
Selon le Gabonais, les pays africains ont aussi une contribution à apporter dans la mise en place de ce fond, « nous sommes tous victimes du changement climatique, nous devons tous y contribuer, peut être pas au même niveau mais chacun à hauteur de ses moyens". Il regrette la position des pays africains "qui se présentent au milieu des grandes puissance, toujours entrain de tendre la main", selon lui. La Banque mondiale va être chargée de gérer le fonds (voir encadré).
"Au Gabon, nous sommes confrontés à catastrophes naturelles (éboulements, inondations) qui sont directement liées au changement climatique. Par conséquent, le combat que tout le monde mène, les Africains doivent le mener avec le même engagement et pas attendre que les uns et les autres leurs apportent de l’argent. Chaque pays doit faire des efforts et montrer qu’il apporte des solutions contre les phénomènes qui le touchent", explique le secrétaire exécutif de Brainforest.