Bien sûr, chaque pays agit à son niveau. Quand le Maroc lance le Mohammed VI-A d’un coût de 500 millions d’euros et que le Ghana envoie son nano-satellite Ghanasat-1, à 50 000 dollars, les envois n'ont pas la même utilité. Toutefois, le point commun entre les deux pays, c’est qu’ils ont compris l’intérêt d’investir l’espace, en termes d’image, de géopolitique, de puissance.
Lorsqu’on lance un satellite dans l’espace, c’est un message politique qu’on envoie aux autres, à l’instar du Sénégal qui vient de créer son agence spatiale nationale. Autre exemple, Mobutu, ancien président du Zaïre (devenu République démocratique du Congo), avait déjà tenté dans les années 70 des lancements de satellites avec l’aide de sous-traitants allemands. Cela voulait déjà dire quelque chose à l’époque.
TV5MONDE : Quels bénéfices l’Afrique peut-elle tirer de sa conquête de l’espace ?
Sékou Ouedraogo : Les intérêts peuvent être multiples pour l'Afrique. Dans le domaine agricole, un satellite peut permettre le suivi des cultures, la prévision de récoltes, la gestion de l’eau. Dans le domaine des télécommunications, il peut bénéficier aux zones blanches, c'est-à-dire dépourvues de réseaux. Dans le domaine de l'éducation, il peut rendre possible la tenue de cours à distance dans les territoires où il n’existe pas d’université.
Dans le domaine médical, on pourra envisager la télémédecine, qui a par exemple aidé Madagascar dans sa lutte contre le Sida. Enfin, compte tenu des démarcations parfois informelles du foncier en Afrique, il peut permettre la gestion des cadastres, notamment quand il s’agit de particulariser un lopin de terre.
(Re)voir : Aérospatial : les pays africains "sont des gros consommateurs de l'espace"
TV5MONDE : Sur les -bientôt- 46 satellites africains, une grande majorité ont été lancés en collaboration avec d’autres États. Cela signifie-t-il que le continent ne dispose pas d’une autonomie en la matière ?
Sékou Ouedraogo : C’est certain. Il n’existe pas de lanceurs africains. Dans le monde, très peu de pays disposent de lanceurs et ont accès directement à l’espace. Il n’est pas question ici de retard de l’Afrique mais de complexité de mise en oeuvre. Ce n’est pas parce qu’on ne dispose pas de lanceurs que nous sommes sous-développés. À l’inverse, ce sont les nations qui disposent de lanceurs qui sont, elles, très développées.
La proportion de satellites africains reste au demeurant très faible. Sur le continent, l’Afrique du Sud est certainement le pays avec le plus de savoir, de publications et d’expertise dans le domaine spatial. Les disparités persistent, c'est un fait. Compte tenu du temps et des fonds nécéssaires pour développer ce domaine, les pays qui se sont déjà lancé dans la conquête spatiale sont les plus avancés.
La barrière est certes financière mais aussi sociétale. Il faut avoir le temps d’échouer et de recommencer
Sékou Ouedrago, fondateur de l’African Aeronautics & Space Organisation (AASO)
TV5MONDE : Est-ce seulement par manque de moyens financiers que l’Afrique accuse un retard dans le domaine spatial ?
Sékou Ouedraogo : Le spatial nécessite des moyens énormes. En argent mais aussi en temps. Il faut financer la recherche, former des gens à maîtriser ces systèmes. Même les nations européennes ont mis des dizaines d’années pour arriver à ce niveau d’expertise.
Cependant, il faut de la volonté politique. Les décideurs ne comprennent pas toujours le lien entre un satellite et le développement du pays. Or, d’une part, il faut que les politiques le comprennent. Et d’autre part, il faut également que les populations l’entendent. Avec les problèmes que connaît l’Afrique, il n’est pas forcément évident pour un chef d’État de faire comprendre à ses compatriotes la nécessité d’investir de telles sommes dans le spatial. La barrière est certes financière mais elle est aussi sociétale. Il faut avoir le temps d’échouer et de recommencer.
TV5MONDE : Notez-vous une prise de conscience de l’intérêt de développer le spatial de la part des acteurs africains depuis quelques années ?
Sékou Ouedraogo : Oui clairement. Si l’on compare les deux périodes allant de 1998 à 2018, et de 2018 à 2023, on constate que le nombre de lancement de satellites africains a été multiplié par presque quatre.
Par ailleurs, le budget cumulé des agences spatiales africaines atteignait 238,12 millions d’euros en 2018 contre 503,12 millions en 2020, soit une augmentation de 54,75 %. La création de l’Agence spatiale africaine a, en outre, fait consensus. Cet outil va permettre de développer des relations avec les autres agences, de débloquer des budgets pour mettre en place des projets.
Le Sénégal a lancé son agence spatiale nationale. Le Burkina Faso est en train de concevoir son propre nano-satellite. Djibouti a signé un accord avec un milliardaire hongkongais pour créer une base de lancement sur son territoire et a envoyé des ingénieurs au centre spatial universitaire de Montpellier. Le programme GMES & Africa, lancé en 2007 et financé par l’Union africaine (UA) et l’Union européenne (UE) à hauteur de 30 millions d’euros, doit permettre de développer les infrastructures spatiales et de financer des formations.