Aérospatial : où en est l'Afrique dans la conquête de l'espace ?

Lundi 10 avril, le Kenya déploiera un second satellite dans l’espace, à bord d’une fusée SpaceX depuis les États-Unis. Il portera à 46 le nombre total d’engins africains en orbite. Signe que l’Afrique a pris conscience des « atouts de développement de l'espace » soulève Sékou Ouedrago, fondateur de l’African Aeronautics & Space Organisation (AASO), auteur de « L’Agence Spatiale Africaine, vecteur de développement ». Entretien.
Image
Satellite Ethiopie
Des gens assistent au lancement du premier microsatellite éthiopien (ETRSS-1) à l'observatoire d'Entoto, dans la banlieue de la capitale Addis-Abeba, le 20 décembre 2019.
Mulugeta Ayene (AP)
Partager 6 minutes de lecture
Le satellite Taifa-1 (« Nation-1 » en swahili) décollera depuis la base américaine de Vandenberg en Californie, à bord d’une fusée Falcon 9 de l’entreprise privée américaine SpaceX. « Conçu et développé par une équipe de chercheurs kenyans », selon un communiqué du ministère kényan de la Défense et de l’Agence spatiale kenyane, l’appareil « fournira des données satellitaires précises et régulières ».

Alors que le pays est touché par une sécheresse historique, ces informations serviront, entre autres, dans les « domaines de l’agriculture et de la sécurité alimentaire, de la gestion des ressources naturelles et des catastrophes et de la surveillance de l’environnement. »

Il s’agira du deuxième satellite kenyan envoyé dans l'espace, après un nano-satellite en 2018, et du 46ème satellite africain en orbite depuis le premier lacement effectué par l’Égypte en 1998. Et depuis quelques années, la tendance est à la hausse.

TV5MONDE : Quel est l'intérêt premier pour le Kenya d'envoyer son propre satellite  dans l'espace ? 

Sékou Ouedraogo : Depuis 1998, quinze pays africains ont envoyé au moins un satellite en orbite. D’un point de vue régalien, cela veut dire qu’on est dans la course. Par ailleurs, lorsqu’un pays africain investit de telles sommes dans un projet spatial, même s’il s'agit d’une université ou d’un acteur privé à la manoeuvre, cela a forcément des atouts de développement.
 
L'Egypte et l'Afrique du Sud précurseuses

Depuis 1998, quinze pays africains ont envoyé au moins un satellite dans l’espace. Après l’Égypte et l’Afrique du Sud, respectivement en 1998 et 1999, l’Algérie, l’Angola, le Ghana, l’Éthiopie, le Kenya, le Maroc, l’Ile Maurice, le Nigeria, le Rwanda, le Soudan, la Tunisie, l’Ouganda et le Zimbabwe ont fait de même.

Le satellite le plus coûteux celui envoyé par le Maroc, indique Sékou Ouedraogo. Il s’agit du Mohammed VI-A, d’un coût de 500 millions d’euros. 

21 pays disposent d’une agence spatiale nationale. La Kenya Space Agency a été créée en 2017. 

Bien sûr, chaque pays agit à son niveau. Quand le Maroc lance le Mohammed VI-A d’un coût de 500 millions d’euros et que le Ghana envoie son nano-satellite Ghanasat-1, à 50 000 dollars, les envois n'ont pas la même utilité. Toutefois, le point commun entre les deux pays, c’est qu’ils ont compris l’intérêt d’investir l’espace, en termes d’image, de géopolitique, de puissance. 

Lorsqu’on lance un satellite dans l’espace, c’est un message politique qu’on envoie aux autres, à l’instar du Sénégal qui vient de créer son agence spatiale nationale. Autre exemple, Mobutu, ancien président du Zaïre (devenu République démocratique du Congo), avait déjà tenté dans les années 70 des lancements de satellites avec l’aide de sous-traitants allemands. Cela voulait déjà dire quelque chose à l’époque.

TV5MONDE : Quels bénéfices l’Afrique peut-elle tirer de sa conquête de l’espace ?

Sékou Ouedraogo : Les intérêts peuvent être multiples pour l'Afrique. Dans le domaine agricole, un satellite peut permettre le suivi des cultures, la prévision de récoltes, la gestion de l’eau. Dans le domaine des télécommunications, il peut bénéficier aux zones blanches, c'est-à-dire dépourvues de réseaux. Dans le domaine de l'éducation, il peut rendre possible la tenue de cours à distance dans les territoires où il n’existe pas d’université. 

Dans le domaine médical, on pourra envisager la télémédecine, qui a par exemple aidé Madagascar dans sa lutte contre le Sida. Enfin, compte tenu des démarcations parfois informelles du foncier en Afrique, il peut permettre la gestion des cadastres, notamment quand il s’agit de particulariser un lopin de terre. 

(Re)voir : Aérospatial : les pays africains "sont des gros consommateurs de l'espace"

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

TV5MONDE : Sur les -bientôt- 46 satellites africains, une grande majorité ont été lancés en collaboration avec d’autres États. Cela signifie-t-il que le continent ne dispose pas d’une autonomie en la matière ? 

Sékou Ouedraogo : C’est certain. Il n’existe pas de lanceurs africains. Dans le monde, très peu de pays disposent de lanceurs et ont accès directement à l’espace. Il n’est pas question ici de retard de l’Afrique mais de complexité de mise en oeuvre. Ce n’est pas parce qu’on ne dispose pas de lanceurs que nous sommes sous-développés. À l’inverse, ce sont les nations qui disposent de lanceurs qui sont, elles, très développées. 

La proportion de satellites africains reste au demeurant très faible. Sur le continent, l’Afrique du Sud est certainement le pays avec le plus de savoir, de publications et d’expertise dans le domaine spatial. Les disparités persistent, c'est un fait. Compte tenu du temps et des fonds nécéssaires pour développer ce domaine, les pays qui se sont déjà lancé dans la conquête spatiale sont les plus avancés.

La barrière est certes financière mais aussi sociétale. Il faut avoir le temps d’échouer et de recommencer

Sékou Ouedrago, fondateur de l’African Aeronautics & Space Organisation (AASO)

TV5MONDE : Est-ce seulement par manque de moyens financiers que l’Afrique accuse un retard dans le domaine spatial ? 

Sékou Ouedraogo :
Le spatial nécessite des moyens énormes. En argent mais aussi en temps. Il faut financer la recherche, former des gens à maîtriser ces systèmes. Même les nations européennes ont mis des dizaines d’années pour arriver à ce niveau d’expertise. 

Cependant, il faut de la volonté politique. Les décideurs ne comprennent pas toujours le lien entre un satellite et le développement du pays. Or, d’une part, il faut que les politiques le comprennent. Et d’autre part, il faut également que les populations l’entendent. Avec les problèmes que connaît l’Afrique, il n’est pas forcément évident pour un chef d’État de faire comprendre à ses compatriotes la nécessité d’investir de telles sommes dans le spatial. La barrière est certes financière mais elle est aussi sociétale. Il faut avoir le temps d’échouer et de recommencer. 

TV5MONDE : Notez-vous une prise de conscience de l’intérêt de développer le spatial de la part des acteurs africains depuis quelques années ? 

Sékou Ouedraogo :
Oui clairement. Si l’on compare les deux périodes allant de 1998 à 2018, et de 2018 à 2023, on constate que le nombre de lancement de satellites africains a été multiplié par presque quatre.

Par ailleurs, le budget cumulé des agences spatiales africaines atteignait 238,12 millions d’euros en 2018 contre 503,12 millions en 2020, soit une augmentation de 54,75 %. La création de l’Agence spatiale africaine a, en outre, fait consensus. Cet outil va permettre de développer des relations avec les autres agences, de débloquer des budgets pour mettre en place des projets.

Le Sénégal a lancé son agence spatiale nationale. Le Burkina Faso est en train de concevoir son propre nano-satellite. Djibouti a signé un accord avec un milliardaire hongkongais pour créer une base de lancement sur son territoire et a envoyé des ingénieurs au centre spatial universitaire de Montpellier. Le programme GMES & Africa, lancé en 2007 et financé par l’Union africaine (UA) et l’Union européenne (UE) à hauteur de 30 millions d’euros, doit permettre de développer les infrastructures spatiales et de financer des formations.

Une agence spatiale africaine depuis 2019

En janvier 2019, l’Union africaine (UA) entérine la naissance de l’Agence spatiale africaine (AfSA). Elle est constituée de 55 pays africains. Elle a pour but de « coordonner, à l’échelle continentale, l’élaboration d’un cadre réglementaire sur les activités spatiales entreprises sur le continent. » Sa création s’inscrit dans « la mise en œuvre des aspirations de l’agenda 2063 de l’UA. » Son siège est basé au Caire, dans la Space City. 
En outre, depuis quelques années, avec la miniaturisation des équipements notamment, il est possible, pour des universités ou même des privés, d’envoyer des engins dans l’espace à moindre coût. Le Ghanasat-1, lancé par le Ghana avec l’aide du Japon et la Station spatiale internationale, pour un coût de 50 000 dollars, est un exemple qu’il est possible de faire des choses à des prix abordables. 

(Re)voir : Espace : l'Afrique prend de plus en plus de hauteur
TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...