Afrique de l'ouest : que deviennent les présidents déchus après un putsch ?

Du Niger au Mali, en passant par la Guinée et le Burkina Faso, le sort des chefs d'État ouest-africains qui ont été évincés du pouvoir lors d'un coup d'État ne suit pas une règle unique, même si certaines trajectoires présentent des similitudes.  

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Des manifestants soutenant le président nigérien déchu Mohamed Bazoum sont rassemblés devant l'ambassade du Niger à Paris, le 5 août 2023.

AP Photo/Sophie Garcia
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Mohamed Bazoum, le président déchu en résistance

Moins de trois mois après le putsch militaire du 26 juillet 2023 à Niamey, la situation du président déchu Mohamed Bazoum reste particulièrement sensible et confuse. Le 19 octobre, les autorités nigériennes annoncent qu'il a "tenté de s'évader de son lieu de détention", "accompagné de sa famille, ses deux cuisiniers, et deux éléments de sécurité". Une thèse démentie par les avocats du président déchu qui eux dénoncent le fait que désormais Mohamed Bazoum, "sa femme et son fils sont détenus au secret, sans accès aux avocats ni au monde extérieur".

Jusqu'à présent, Mohamed Bazoum était retenu prisonnier dans sa résidence présidentielle à Niamey tout comme sa femme Haziza et son fils Salem. Non seulement, le président déchu n'a pas démissionné, mais il a saisi la justice ouest-africaine pour demander sa libération et le rétablissement de l'ordre constitutionnel au Niger. 

Le coup d'État au Niger a été mené par le chef de la garde présidentielle le général Omar Tchiani, à la tête d'un Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP). 

Le 13 août, le régime militaire a affirmé avoir réuni les "preuves pour poursuivre devant les instances nationales et internationales" le président renversé Mohamed Bazoum pour "haute trahison" et "atteinte à la sûreté" du pays. Lors de l'annonce leur prise du pouvoir, les putschistes ont argué d'une dégradation de la situation sécuritaire.

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Le président nigérien Mohamed Bazoum participe au US-Africa Leaders Summit 2022 à Washington, le 13 décembre.

Evelyn Hockstein/Pool via AP

Dès le début, le coup d'État au Niger a fait l'objet d'une condamnation ferme de la communauté internationale, et notamment des instances régionales. La Communauté économique des États d'Afrique de l'ouest (Cédéao) a imposé des sanctions dures contre le pays et menace d'une intervention militaire. 

Le Mali et le Burkina Faso voisins, eux aussi dirigés par des régimes issus de putsch militaire, ont affiché leur solidarité avec Niamey et signé avec lui une charte établissant une alliance défensive.

Les trois pays sahéliens ont successivement rompu avec Paris et exigeant le départ des militaires français présents dans le cadre le lutte contre les djihadistes. La France ne reconnait pas les autorités nigériennes et demande à l'instar de la Cédéao la libération de Mohamed Bazoum. 

Ibrahim Boubacar Keita, le maillon faible du Sahel

Un an et demi après sa chute du pouvoir, l'ex-président malien Ibrahim Boubacar Keita est décédé le 16 janvier 2022 à son domicile à Bamako à l'âge de 76 ans.  

Après presque sept années à la présidence, il est renversé par un putsch mené le 18 août 2020 par un groupe d'officiers supérieurs de l'armée malienne avec à leur tête le colonel Assimi Goïta, un ancien commandat des Forces spéciales maliennes. Formé en Comité national pour le salut du peuple (CNSP), les putschistes ont dénoncé la situation sécuritaire au Mali, confronté depuis 2012 à des rebelles touaregs au Nord puis aux groupes armés terroristes, qui "sombre de jour en jour dans le chaos, l'anarchie et l'insécurité".

IBK a chuté alors qu'il faisait face à une forte contestation d'une coalition hétéroclite d'opposants politiques, de guides religieux et de membres de la société civile, Le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces patriotiques du Mali (M5-RFP). 

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Le président malien Ibrahim Boubacar Keita lors du sommet du G5 Sahel à Nouakchott en Mauritanie, le 30 juin 2020. 

Ludovic Marin, Pool via AP, File

Arrêté par des militaires maliens du camp de Kati, il a été emmené, tout comme son Premier ministre Boubou Cissé et d'autres personnalités politiques et militaires, dans cette garnison près de Bamako qui a été théâtre d'une mutinerie et le centre du nouveau pouvoir.

Quelques heures après, le président Ibrahim Boubacar Keita a annoncé dans une allocution diffusée à la télévision, sa démission, la dissolution du gouvernement et celle de l'Assemblée nationale. 

Le 27 août, le régime militaire annonce sa libération mais l'ex-président reste assigné à résidence. Le 1er septembre, IBK était même soigné aux Emirats arabes unis, avec l'accord du CNSP dans le cadre d'une évacuation sanitaire.

La communauté internationale a condamné le coup d'État contre le président Keita. La Cédéao fait pression sur les putschistes qui mettent en place un gouvernement de transition militaire avec un président et un Premier ministre civils. Un deuxième coup d'État, le 24 mai 2021, met fin à cette transition. La Cédéao condamne le deuxième coup d'État. Le Mali est jusqu'à aujourd'hui suspendu de ses instances.

Alpha Condé vit en exil

A l'instar du président nigérien déchu Mohamed Bazoum, l'ex-président guinéen Alpha Condé n'a pas démissionné. Néanmoins, plus de deux ans après le coup d'État du 5 septembre 2021 à Conakry, Alpha Condé, 85 ans, vit en exil à Istanbul en Turquie où il s'est installé depuis mai 2022, selon Jeune Afrique. 

Réélu en octobre 2020 pour un troisième mandat fortement contesté après une modification de la Constitution, Alpha Condé chute du pouvoir dans le sang, après des échanges de tirs nourris dans la capitale faisant plusieurs morts notamment dans les rangs de la garde présidentielle. Les auteurs du putsch sont les bérets rouges du Groupement des Forces spéciales (ou GPS), une unité d'élite entraînée et bien armée, avec à leur tête le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya. Ce dernier dirige un Comité national du rassemblement et du développement (CNRD).

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Le président guinéen Alpha Condé lors d'une visite au secrétaire d'État américain à Washington, 13 septembre 2019. 

AP Photo/Pablo Martinez Monsivais

Les putschistes ont déclaré qu'Alpha Condé "restera en Guinée aussi longtemps que sa santé le permettra. Son intégrité et sa dignité seront toujours respectées conformément à son rang et à son statut", assure le CNRD. Il a pu ainsi bénéficié de soins médicaux aux Emirats Arabes Unis avant de regagner Conakry. Son départ en Turquie a été motivé par "des raisons humanitaires", selon les autorités guinéennes.

Le putsch contre Alpha Condé a joui d'une certaine popularité dans le pays étant donné la polarisation extrême du pays et les nombreuses arrestations d'opposants. 

L'avenir d'Alpha Condé reste en suspens sur le plan judiciaire. La justice guinéenne a annoncé en mai 2022 des poursuites contre lui et une trentaine d'anciens hauts responsables sous sa présidence, pour assassinats, actes de torture ou enlèvements.

L'Union africaine et la Cédéao ont suspendu la Guinée de leurs instances. 

Roch Marc Christian Kaboré, discrédité sur le plan sécuritaire

À l'opposé d'un Alpha Condé en exil en Turquie, l'ex-président burkinabé Roch Marc Christian Kaboré ne compte visiblement pas vivre à l'étranger. Lui aussi est parti à l'étranger, à Dubaï, pour raison médicale, le 11 août 2022, mais est rentré le 6 septembre. 

Le 24 janvier 2022, des militaires annoncent avoir pris le pouvoir et chassé le président Roch Marc Christian Kaboré, lors d'un communiqué lu à la télévision par le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), la junte qui dirige désormais le Burkina Faso.

À la tête du MPSR, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba est un homme de terrain qui lutte contre les djihadistes. La priorité annoncée des putschistes est la sécurité, dans un pays qui se retrouve impuissant face à la violence des djihadistes depuis 2015.

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Le président burkinabé Roch Marc Christian Kaboré lors d'une visite à son homologue français à l'Élysée, le 12 novembre 20132 à Paris.

AP Photo/Michel Euler

Après son arrestation, Roch marc Christian Kaboré a été assigné à résidence. Contraint, il "a bel et bien rédigé une lettre de démission publiée par la télévision nationale", assurera un membre de son parti, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP). Ce dernier a dénoncé les conditions de cette résidence surveillée. En mars 2022, des émissaires ouest-africains qui avaient pu s'entretenir avec lui estimaient que Kaboré avait "bon moral".

La chute de l'ex-président burkinabé a été accueilli par des scènes de joie de centaines de personnes dans les rues de la capitale Ouagadougou.

Reste que le pouvoir du nouvel homme fort, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, sera brutalement écourtée par un second putsch, comme au Mali, mené cette fois-ci par le capitaine Ibrahim Traoré le 30 septembre de la même année.