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Des manifestants sud-africains appellent à la démission du président Jacob Zuma après la publication d'un rapport accablant au sujet de possibles crimes de corruption à la tête de l'Etat.
© AP Photo/Denis Farrell
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Afrique du Sud : Jacob Zuma appelé à démissionner après un rapport accablant

Dans un rapport publié mercredi, Jacob Zuma est soupçonné d’avoir été corrompu par les Gupta, une riche famille d’hommes d’affaires, notamment pour la nomination de certains de ses ministres. Des révélations qui viennent s’ajouter aux nombreux scandales que traîne déjà le président sud-africain.
L’affaire de trop. Alors que le président sud-africain était déjà très affaibli par les critiques de l’opposition et des dissidents de son propre parti au sujet des derniers scandales et de sa défaite aux élections locales, il doit désormais faire face à une nouvelle crise. Et pas des moindre. Des milliers de Sud-africains exigent sa démission après les révélations d’un rapport officiel publié mercredi 2 novembre et que certains observateurs appellent désormais le « Guptagate ».
Une expression formée avec le nom "Gupta", celui d’une riche famille d’hommes d’affaire indiens, soupçonnée d’avoir influencé plusieurs actions du chef de l’Etat sud-africain. En effet, selon un rapport intitulé "La Prise de contrôle de l’Etat", la famille Gupta aurait notamment imposé la nomination de certains ministres pour favoriser ses intérêts.
 
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Le président Jacob Zuma est dans la tourmente au lendemain de la publication d'un rapport le mettant en cause dans une affaire de corruption par la famille Gupta.
 
© AP Photo/Tsvangirayi Mukwazhi
 

Des révélations accablantes

Le texte, rédigé par la médiatrice de la République, Thuli Madonsela, a été finalisé mi-octobre, date à laquelle elle a quitté son poste, après sept ans de mandat. Mais avant que sa publication ne soit autorisée, mercredi 2 novembre, sur ordre de la justice, elle avait été bloquée par Jacob Zuma. Preuve que le président avait tout intérêt à ce que le rapport reste confidentiel. 
En effet, ce dernier raconte, entre autre, comment le 9 décembre 2015, Nhlanla Nene, ministre respecté des marchés, est brutalement remplacé par un député inconnu appelé David Van Rooyen. Avant sa nomination, ce fameux Van Rooyen aurait rendu visite « sept fois » à la richissime famille Gupta, y compris la veille de sa prise de fonctions de ministre des Finances. Conséquence de cette nomination : c’est la panique sur les marchés, la monnaie sud-africaine dévisse et Jacob Zuma est contraint de faire marche arrière. Il remplace donc M. Van Rooyen par Pravin Gordhan.

« Cette coïncidence est une grande source d’inquiétude », assure le rapport de 355 pages dont la couverture explicite représente une main tirée par des ficelles.
Mais les tentatives d’influence des Gupta ne s’arrêtent pas là. Mcebisi Jonas, vice-ministre des Finances affirme avoir été approché quelques mois plus tôt par les hommes d’affaire qui lui auraient proposé de reprendre le portefeuille du Trésor… à condition de « travailler avec la famille ». Face au refus de Mcebisi Jonas, l’un des frères Gupta lui aurait alors proposé « 600 millions de rands » (soit 40 millions d’euros), ce que Jonas aurait à nouveau décliné. « Il semble qu’il n’y ait eu aucune enquête de l’exécutif (…) sur les allégations de M. Jonas », dénonce la médiatrice Thuli Madonsela. Selon Victor Magnani, chargé de projets au programme Afrique subsaharienne de l’Ifri. « si cette accusation-là est prouvée », elle pourrait « avoir l’effet d’une bombe » pour Jacob Zuma.

D’autres ministres, proches des Gupta, sont aussi épinglés dans cette affaire, notamment Mosebenzi Zwane, l’atuel ministre des Mines. Ce dernier est soupçonné d’avoir négocier, lors d’un voyage en Suisse, le rachat d’une mine de charbon en Afrique du Sud par la famille Gupta. Un déplacement qualifié de « contraire aux règles » d’éthique par le rapport.
 

Un rapport décevant ?

Malgré ces nombreuses révélations, « le rapport est jugé un peu décevant par la plupart des observateurs », assure Victor Magnani. « Il n’y a pas vraiment de preuves irréfutables ou qui seraient susceptibles de provoquer une démission du président Zuma. Cependant, il y a quand même des éléments très embarrassants pour lui, des choses qui étaient soupçonnées et qui sont mises en lumière de manière évidente et convaincante. De plus, cela s’ajoute à une pression qui est déjà très forte et qui pesait sur les épaules du président depuis les dernières affaires, notamment celle de la rénovation de sa résidence privée et la défaite de l’ANC à l’élection locale qui l’a beaucoup affaibli ».
 

Il n'y a pas de sanctions suggérées

Victor Magnani, Ifri

Dans ses recommandations, Thuli Madonsela appelle le parquet et l’unité d’élite de la police sud-africaine à étudier les « problèmes identifiés dans ce rapport où il semble que des crimes ont été commis ». Victor Magnani regrette que ces recommandions n’aillent pas plus loin. « Il n’y a pas de sanctions suggérées », explique le membre de l’Ifri, avant d’ajouter : « C’est peut être lié au fait que, statutairement, le médiateur de la république n’a pas à prononcer de peines ».

Enfin, Victor Magnani estime que « la rédaction du rapport a été un peu précipitée ». Selon lui, la médiatrice souhaitait absolument que le texte « soit terminé et mis sous scellé » avant son départ et elle n’aurait « pas eu assez de moyens pour aller au fond des choses ». « On aurait pu attendre des preuves un peu plus formelles, d’autant que le président semblait être prêt à tout pour empêcher la publication de ce rapport ».

L'opposition, elle, se réjouit de la publication de ce texte. « C'est un jour historique (...), un moment clé pour l'Afrique du Sud et Jacob Zuma doit rendre des compte », a déclaré le dirigeant du parti d'opposition Alliance démocratique. De son côté, Eric Mabuza, l'avocat du parti de gauche radicale des Combattants pour la liberté économique (EFF), considère que «c'est une victoire pour la démocratie, pour l'Etat de droit, pour la justice ».

Si Jacob Zuma a survécu à de nombreux scandales ces dernières années, il est aujourd’hui critiqué de toute part et de plus en plus isolé. Le scandale du financement de sa résidence privée Nkandla, le revers historique de l’ANC aux élections municipales d’août dernier l’ont fortement affaibli et ce rapport risque de l’achever. "Les appels à sa démission face à ces éléments accablants vont aller crescendo" y compris au sein de son parti, a confié à l'AFP Mcebisi Ndletyana, professeur en sciences politiques à l'université de Johannesburg.

Plusieurs partis ont d’ores et déjà annoncé leur intention de déposer, dès la semaine prochaine, une motion de censure contre le chef de l’Etat. L’Alliance démocratique envisage de lancer une procédure de destitution du président.