Il ne s’est pas encore justifié publiquement, en détails, sur tous les points de l’affaire. La direction de son parti, l’ANC (le Congrès national africain), doit aussi donner sa position sous peu. Elle le pousserait soit à se maintenir, soit à quitter le pouvoir. Une réunion urgente, ce vendredi 2 décembre, a été ajournée jusqu’au week-end.
(Re)voir : Afrique du Sud : Cyril Ramaphosa dans la tourmente
Liasses de billet sous un canapé
De quoi s'agit-il exactement ? Un panel indépendant, commissionnée par le Parlement, l’accuse de « violations » et de « fautes ». Cela concerne une affaire rocambolesque de cambriolage. En 2020, plusieurs centaines de milliers de dollars ont été volés, dans une ferme appartenant au président. Cette somme était cachée en espèces étrangères, sous les coussins d’un canapé. Le président parle de 580 000 dollars, l’accusation évoquait l’équivalent de 3,8 millions d’euros.
À ce sujet, Arthur Fraser a déposé une plainte en juin, pour « obstruction à la justice », « enlèvement » et « corruption ». Cet ancien chef du renseignement est par ailleurs un allié de Jacob Zuma. C'est même lui qui a fait sortir l'ancien président de prison, pour raisons médicales. Les partisans de ce dernier forment toujours une faction rivale au sein de l’ANC, opposée à Cyril Ramaphosa.
(Re)voir : Afrique du Sud : Jacob Zuma accuse Cyril Ramaphosa d'être "corrompu"
De « sales coups » politiques, selon le président
Cyril Ramaphosa a de son côté nié toutes les accusations. Lors d’une intervention au Parlement, il a dénoncé des « sales coups », d’ordre politique selon lui.
D’après sa version, l’argent retrouvé correspond à une vente de buffles. Le client serait un homme d'affaires soudanais, qui ne serait pas venu récupérer le bétail. Il aurait payé en liquide un employé de la ferme, qui aurait ensuite caché l’argent à cet endroit. Le panel pointe l’absence de traces de l’entrée de ces devises étrangères dans le pays, puis de signalement du vol.
Le Parlement sud-africain décidera mardi 6 s’il lance ou non une procédure de destitution. Le vote requerra dans ce cas une majorité des deux tiers. Or, l’ANC y dispose de la majorité. Si le parti se range derrière son leader, Cyril Ramaphosa ne craint donc rien de ce scrutin parlementaire.
Timing très sensible
Après avoir cru à une démission, les observateurs penchent aujourd’hui plutôt en faveur d’un maintien probable du président. D’après Marianne Séverin, chercheuse associée au LAM (Laboratoire de recherche Les Afriques dans le monde), spécialiste de l’Afrique du Sud, on dit que « des leaders des provinces lui ont demandé de ne pas partir et de se battre. Je pense que ces leaders n'ont pas envie de voir l'explosion de l'ANC. Et qui dit explosion, dit aussi que beaucoup d'entre eux se retrouveraient au chômage en 2024 ».En effet, le timing de cette affaire est sensible. Dans quinze jours, le parti présidentiel doit se réunir pour choisir son nouveau leader. Si l’ANC remporte les élections en 2024, ce leader sera aussi le prochain président sud-africain. Et jusque-là, « à partir du moment où vous êtes élu à la tête de l’ANC, vous devenez alors théoriquement le président ou la présidente du pays », rappelle la chercheuse.
Ce dossier illustre une fois de plus l’importance incontournable de l’ANC et de ses divisions dans toutes les décisions politiques sud-africaines. C’est le parti qui a désormais le pouvoir de soutenir ou de lâcher le président. « Les problèmes internes du parti posent problème à tout le pays. À chaque conférence nationale de l'ANC, tout le monde est aux abois parce qu'on sait que l'Afrique du Sud peut basculer », souligne Marianne Séverin.
(Re)voir : Afrique du sud : Cyril Ramaphosa visé par une enquête indépendante
Dans ce contexte, l’opposition instrumentalise l’affaire, « et la justice », selon la chercheuse, pour se débarrasser du président. « Ce n'est pas qu'une question de justice, ou de rapport. Ce sont aussi des enjeux politiques, et une question de qui va accéder au pouvoir. Les prochaines élections sont en 2024, autant dire après-demain », insiste-t-elle.
Un problème plus large de corruption
Cyril Ramaphosa avait promis de s’attaquer à la corruption, après la démission de son prédécesseur. Pour Marianne Séverin, les scandales politico-financiers qui ont fini par pousser Jacob Zuma à la démission en 2018 ont des répercussions sur cette affaire.(Re)lire : Afrique du Sud : vers un retour à la case prison pour l'ex-président Zuma
« Les deux affaires ne sont pas liées, et pourtant la première a des conséquences sur la seconde et sur l'avenir politique de Cyril Ramaphosa. Pourtant, il n’a pas volé dans les caisses de l’État, à ma connaissance, donc ce n’est pas du tout le même mécanisme que Zuma. Mais l’affaire Zuma a été un véritable traumatisme pour le pays, qui a déstabilisé toutes les institutions. L'État a été gangrené, la police, les services secrets, le Trésor public, les banques, le secteur privé... ».
L’intransigeance et l'exemplarité sont donc de mise en matière de corruption en Afrique du Sud et au sein de l’ANC. Pourtant, la chercheuse estime que le problème est plus profond, et que d’autres figures du parti, qui accusent Cyril Ramaphosa ou qui pourraient être amenées à le remplacer s’il était évincé, ne sont pas exemptes de ce type de scandales.