Fil d'Ariane
L'idée centrale de cette influence par Facebook dans le cas d'Archimedes en Afrique est de polariser les débats, pour forcer les gens à se mettre dans un camp afin de mieux leur distiller ensuite les idées et idéologies qui correspondent à une finalité politique définie.Fabrice Epelboin, enseignant au MediaLab de SciencesPo
Dans le cas de l'influence africaine par Archimedes, pour Fabrice Epelboin, spécialiste du web social et enseignant au Medialab de Sciences Po, c'est pourtant une autre approche que les usines à Trolls russes, qui était à l'œuvre en Afrique : "Les techniques d'usines à Trolls des équipes russes ne sont pas celles utilisées par des entreprises spécialisées dans les "PsyOps" (opérations d'influence psychologique, d'origine militaire, ndlr) comme Archimedes qui est une société israélienne. En Israël, ces techniques sont très développées. Déjà en Tunisie au moment des Printemps arabes, il y avait de nombreuses actions de ce type par Israël, utilisant FaceBook, avec de la surveillance, de l'infiltration, des manipulations en ligne. Les Israéliens n'ont pas les moyens surdimensionnés des Russes de toute manière, et ils sont surdiplômés, donc ils n'ont pas de main d'œuvre corvéable à merci dans des centres d'appels. Et puis ce n'est pas leur état d'esprit."
Archimedes opérait avec des faux comptes, des fausses pages, des faux groupes, suivis par 2,8 millions d'utilisateurs, selon Facebook. 812.000 dollars ont été dépensés depuis 2012 pour des publicités liées aux contenus diffusées sur le réseau social par l'entreprise israélienne. Les techniques pour "changer la réalité" (des électeurs potentiels ou des cibles diverses de leurs clients) comme l'entreprise s'en vantait sur son site, ne sont pas toutes connues, mais quelques unes ont été communiquées par la firme de Mark Zuckerberg : création et animation d'influenceurs, de victimes imaginaires, d'évènements, de rumeurs à forte connotation émotionnelle, de pages de faux médias aux allures officielles, de groupes, etc…
Nous avons éliminé ces pages et ces comptes sur la base de l'activité de leurs initiateurs, et non pas pour le fond des contenus publiés.Un responsable de Facebook, après le bannissement d'Archimedes
Fabrice Epelboin explique qu'Archimedes n'étant pas une grosse entreprise était forçée de tout calculer "au plus juste" pour chaque pays : "Ce sont des petites équipes très très compétentes, qui définissent leur stratégie en fonction de l'objectif à atteindre, il n'y a donc pas de méthode générale. Ils s'adaptent en fonction de la situation politique, sociale du pays. Ils ont certainement utilisé les groupes Facebook qui sont devenus très importants depuis un an, au Mali par exemple, du peu que l'on sait aujourd'hui, ils ont misé sur la dénonciation de la Françafrique. L'idée centrale de cette influence par Facebook dans le cas d'Archimedes en Afrique est de polariser les débats, pour forcer les gens à se mettre dans un camp afin de mieux leur distiller ensuite les idées et idéologies qui correspondent à une finalité politique définie. Cela peut être aussi fait pour pousser les gens à l'abstention, pas forcément les faire voter."
"Nous avons identifié ces comptes et pages grâce à des enquêtes internes (...) Nous travaillons constamment pour détecter et stopper ce type d'activité, car nous ne voulons pas que nos services soient utilisés pour manipuler l'opinion" a indiqué un responsable de Facebook. Et de préciser : "Nous avons éliminé ces pages et ces comptes sur la base de l'activité de leurs initiateurs, et non pas pour le fond des contenus publiés". Cet aspect de l'affaire est très important, puisque des pages officielles de décryptage de fausses informations ont été créées par Archimedes en Tunisie, par exemple.
Des pages qui semble-t-il ne pouvaient pas être accusées de "mentir" au niveau de leur contenu, au contraire, puisqu'elles participaient à décrypter les rumeurs et les fausses informations.
Les PsyOps qui ont eu lieu en Afrique francophone ne sont peut-être pas toutes commandées par des acteurs des pays concernés.Fabrice Epelboin, enseignant au MadiaLab de Sciences Po.
Fabrice Epelboin explique l'intérêt de ces techniques : "Il est intéressant pour le client final d'empêcher des fausses rumeurs de se diffuser si celles-ci vont contre son intérêt. Donc créer des pages de décryptage qui se veulent officielles, aux allure de médias sérieux a été effectué par Archimedes pour s'assurer de filtrer et de réguler l'information autant que cela était possible. Rien ne dit que des faux décryptages n'ont pas été faits, d'ailleurs, pour à l'inverse, faire passer des vraies informations comme des fausses, en laissant croire que l'on décrypte les fausses informations. Un faux décryptage du vrai… et du faux en quelque sorte."
Au Kenya, Cambridge Analytica était par exemple payée par le président Kenyatta pour gagner l'élection de 2013 et celle de 2017, ce que TV5Monde expliquait alors que cette dernière était terminée mais contestée :
> Kenya : les mégadonnées et la propagande numérique américaine ont-elles influencé la présidentielle ?
Les méthodes employées par ces entreprises sont mieux connues depuis l'enquête — toujours en cours — sur l'influence des électeurs américains — que Cambridge Analytica a exercé durant la campagne de Donald Trump. C'est ce laisser-faire de Facebook en 2016 qui lui est reproché depuis lors et c'est probablement pour cette raison que l'entreprise de Mark Zuckerberg fait aujourd'hui la chasse aux comptes spécialisés dans l'influence et la manipulation de l'information, comme ceux de Archimedes Group.