Afrique : pourquoi le président congolais Tshisekedi rejette le vaccin AstraZeneca

La campagne de vaccination en Afrique peine à atteindre ses objectifs. Le manque de doses, ainsi que la suspicion de la population et de certains dirigeants mettent à mal le processus. Les récentes sorties médiatiques du président congolais et président en exercice de l'Union Africaine Félix Tshisekedi qui dit rejeter le vaccin AstraZeneca représentent-elles un auto-sabotage ou une vraie décision politique ? Entretien avec Yap Boum, épidémiologiste et représentant Afrique pour Epicentre, la branche de recherche de Médecins Sans Frontières.

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vaccin en Afrique

Un membre du personnel hospitalier de l'hôpital Yaba Mainland à Lagos au Nigéria reçoit une des premières doses de vaccin du pays le 12 mars dernier. C'est le vaccin AstraZeneca, produit en Inde et fournit dans le pays par le biais de l'initiative COVAX qui est administré.

(AP Photo/Sunday Alamba, File)
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Critiqué et pourtant autorisé et validé par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), le vaccin Covishield, vaccin équivalent à celui d'AstraZeneca, mais produit en Inde en partenariat avec le laboratoire anglais, n'est pas encore reconnu par l'Union Européenne et n'arrive pas à convaincre une partie de la population ni même de certains dirigeants du continent africain où il est prévu.

"J'ai bien fait de ne pas me faire vacciner." Cette déclaration du président de la RDC, Félix Tshisekedi, ce jeudi 1er juillet, a fait polémique et a attiré de nombreuses critiques. Communication douteuse ou véritable coup de gueule polémique, la décision du président de l'Union Africaine pose question. 

L'épidémiologiste et représentant Afrique pour Épicentre, Yap Boum livre son analyse.

TV5MONDE : Comment expliquez-vous le refus de Félix Tshisekedi de se faire vacciner ? Est-ce selon vous, un problème avec ce vaccin ou un refus global de la vaccination ?

Yap Boum, épidémiologiste et représentant Afrique pour Épicentre : On peut y voir plusieurs choses. Cela peut être d'abord le refus de ce double standard (ndlr : le vaccin Covishield distribué par le système Covax est identique à l'AstraZeneca mais n'est en revanche pas reconnu par l'Union Européenne). Il peut prendre deux positions, celle du président de la RDC, un des pays les plus touchés du continent, et celle du président de l'Union Africaine, une organisation qui se disait encore il y a quelques jours concernée par le fait que le vaccin ne soit pas reconnu par l'Union Européenne. 

Le fait de refuser ce vaccin sous la suspicion d’un double standard, c'est un véritable geste politique fort, je pense. Car finalement on n’a pas beaucoup de leviers en termes de résistance. Cela va forcément avoir un impact majeur. Il envoie un message qui peut avoir une grande portée. On en parle dans la presse. À part ça, quel poids réel l'Union Africaine peut avoir aujourd'hui sur la décision de partage des vaccins ? 

TV5MONDE : C’est un aveu d‘impuissance, d'une certaine manière ?

Yap Boum : Complètement ! Quand en Ouganda on manque de doses de vaccins pour continuer la campagne de vaccination, en France on se demande si on va vacciner les enfants, qui, et cela a été prouvé, ne sont pas prioritaires en terme de risques. Quelles sont les armes à notre disposition face à ce double standard ? Félix Tshisekedi a utilisé l’arme de la communication en disant “non je le prends pas”. Dire non a un impact réel. On a conscience que nous sommes tous sur le même bateau. Tant que tout le monde n’est pas immunisé, les autres sont toujours à risques.

(Re)lire : Vaccins contre le Covid : comment l'égoïsme des pays riches favorise l'apparition de nouveaux variants

TV5MONDE : Quelles sont les raisons officielles de cette non reconnaissance de ce vaccin de l'Union Européenne ? Sont-elles légitimes, selon vous ?

Yap Boum : C'est une question réglementaire. Un vaccin est utilisé dans un environnement s'il a l'autorisation de mise sur le marché, et si cette autorisation a été demandée. Ce n'est pas le cas du vaccin Covishield qui n'était pas destiné au marché européen. Donc cela peut se comprendre. Maintenant sur le plan politique, ce qui est demandé est qu'il soit reconnu et intégré dans le pass sanitaire, pour que les gens l'ayant eu puissent voyager. C'est une décision politique, ce n'est pas la même demande que de l'utiliser sur le marché européen. L'AstraZeneca et les autres vaccins sont homologués par l'OMS. Nous ne sommes plus dans le médical mais le politique. De toute manière, une pandémie comme celle-ci est politique. 

TV5MONDE : Les déclarations de Félix Tshisekedi peuvent-elles remettre en cause la campagne de vaccination sur le continent africain ? 

Yap Boum : Si elle ne la remet pas en cause, c'est en tout cas un véritable challenge à relever. On se tire une balle dans le pied ici. Mais en réalité, s’il n’y avait pas eu de suspicion quant à la différence entre les vaccins AstraZeneca et Covishield, il ne se serait pas prononcé. Je pense que tout part de là. Il y a un problème en termes de communication de la part des laboratoires AstraZeneca, qui produit les deux vaccins, dans deux environnements différents (en Inde et en Europe). À mon sens, il est compréhensible et normal, d’un point de vue réglementaire, que des vaccins produits en Inde ne soient pas soumis au marché européen. Mais le problème se pose pour la population. Si les choses avaient été expliquées clairement dès le début du processus, les choses se seraient mieux passées. Ils auraient dû communiquer sur le fait que ce sont deux vaccins identiques, mais produits avec des procédures différentes. Là, les gens l'ont appris au moment où certains ont voulu voyager. Ils ne pouvaient pas car ils avaient "l'autre vaccin".  C'est alors devenu un problème. 

Du coup, le public, même averti, ne va pas massivement se faire vacciner. Ce matin je donnais cours à une cinquantaine d’épidémiologistes. Seuls quatre étaient vaccinés. Le facteur d’hésitation, qui revenait le plus, c'était le doute sur ce vaccin. Surtout que nous sommes dans un pays où on ne connaît pas de flambée majeure (Cameroun, ndlr).

TV5MONDE : Ces doutes, ou critiques sont-ils justifiés ? Ou sont-ils dûs uniquement à cette mauvaise communication ? 

Yap Boum : Je pense que c'est avant tout la conséquence de cette mauvaise communication dans un premier temps. Le vaccin est homologué par l’OMS. Il est attribué à la population. Le message envoyé à ces populations est "vos vaccins ne sont pas satisfaisants pour notre environnement, vous ne pouvez donc pas entrer sur notre territoire”. Il y a un double discours discriminatoire. Il faut un vaccin homologué en Europe, ce qui n'est donc pas le cas de celui que nous avons maintenant. C'est une impasse. Je crois savoir que la Haute Autorité de la Santé française travaille sur ce sujet, pour que ce vaccin soit introduit dans le pass sanitaire européen. Mais il faut le faire rapidement.

En vérité, l'enjeu du voyage est limité. La proportion d’Africains qui voyagent en Europe est minime, mais l’impact est ailleurs. Il est dans l'appréciation du vaccin. Les gens se disent que si ce vaccin n'est pas accepté pour voyager, alors il y a un problème. Déjà que le public n'en voulait pas forcément. Beaucoup de gens ont peur d'un vaccin produit trop rapidement selon eux. Si en plus on montre une différence de traitement, c’est pire. C’est un vrai challenge pour la sensibilisation du public.

 TV5MONDE : Le vaccin AstraZeneca a mauvaise presse en Europe également, avec des cas très rares de thrombose, d’effets secondaires compliqués. Cela joue aussi sur la manière dont il est perçu sur le continent africain, au-delà de la différence entre celui produit en Europe et celui produit en Inde ? 

Yap Boum : Cela a joué dans les premières phases de production du vaccin. Au Cameroun par exemple, on vaccine avec le vaccin Sinopharm (Chine) et l'AstraZeneca. Effectivement, en moyenne la population allait davantage vers le Sinopharm à cause de cela. Une fois la campagne déployée, on n'a pas constaté de cas majeurs d'effets indésirables dans le pays. Je ne crois pas que le public se souvienne de ces craintes. Aujourd’hui sur les 80 000 personnes vaccinées au Cameroun, environ 50% le sont avec l'AstraZeneca. En Ouganda, il y aura bientôt un million de vaccinés et le risque de thrombose est aussi oublié. Les gens ont mesuré les risques entre les thromboses et le Covid lui-même.

TV5MONDE : Que peut-on dire de l’état de la campagne de vaccination sur le continent africain ? 

Yap Boum : Globalement, ce sont ceux qui en ont le plus besoin qui n'en ont pas assez. Et ceux qui, à priori, en ont le moins besoin par rapport à leur épidémiologie ne l'utilisent pas suffisamment. Prenons des exemples simples. Au Cameroun, nous en sommes à environ 80 000 personnes vaccinées, alors que nous avons reçu près de 500 000 doses. Nous sommes loin du compte. Pourquoi ? La deuxième vague est passée et aujourd'hui les gens ne voient pas l'intérêt de se faire vacciner. Ils ne voient ni le besoin ni le risque encouru. En revanche, en Ouganda, ou en Afrique du sud, les besoins sont présents, mais il n'y a pas assez de doses.  

TV5MONDE : Par manque de moyens ou de ressources ?

Yap Boum : L’initiative Covax qui prévoyait l’apport de doses pour vacciner la population s’appuyait avant tout sur le vaccin Covishield produit en Inde. Avec la deuxième vague monstrueuse dans le pays, l’Inde ne pouvait plus produire en plus pour l’Afrique. Cela crée un déficit majeur pour le continent. Des doses du vaccin Johnson & Johnson ont été envoyées, notamment en Afrique du Sud, mais cela reste minime par rapport à la demande.

TV5MONDE : De nombreux variants sont déjà apparus. La grande menace qui pèse actuellement, c’est le variant Delta, y compris sur le continent africain. Qu’en est il de la protection du vaccin AstraZeneca/Covishield contre ce variant ?

Yap Boum : Ce variant se propage en effet déjà beaucoup en Afrique. Il représente près de 97 % des contaminations en Ouganda, et près de 80 % en Afrique du Sud et en Namibie. On voit même que les profils des personnes touchées varient. Ce sont des personnes de plus en plus jeunes qui sont malades. Il y a une transmission plus importante mais aussi une plus grande sévérité des cas. L’Ouganda avait connu une première vague pendant laquelle les hôpitaux n’étaient pas saturés. Aujourd’hui, c’est le cas. On voit bien la différence. Pour ce qui est de la résistance du vaccin aux différents variants, il existe certaines études qui montrent qu'il y a certes une efficacité un peu moindre sur ce variant Delta, en particulier. Néanmoins le vaccin reste l’arme la plus efficace que nous avons entre nos mains pour faire face à cette épidémie. 

TV5MONDE : Le variant Delta amplifie-t-il les suspicions auprès du public ? Comment faire pour convaincre les populations d’accepter le vaccin ? 

Yap Boum : La première chose, c’est de continuer la sensibilisation. Si nous ne vaccinons pas, que pouvons-nous faire ? Il n’y a pas grand chose d’autre. Les gestes barrières, on a essayé, et on s’est rendu compte qu’on a tout de même beaucoup de mal à les respecter. Quand on regarde ce qui se passe dans les pays européens, on a bien compris que c’était la vaccination qui a permis de sortir du confinement. Le confinement et les gestes barrières ne suffisaient pas à contenir l'épidémie. C’est le même message qui est communiqué mais c’est difficile de dire "vaccinez-vous" alors qu’on n’a pas de dose d’un côté ou qu’on n’a pas de cas sévère de l’autre. La communication est alors compliquée.

(Re)voir : Covid-19 : la France homologue le vaccin Covishield

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