Afrique : que faire des dépouilles des anciens présidents et dictateurs morts en exil ?

Après sa mort, mardi 24 août, des suites du Covid-19 et son inhumation au cimetière musulman de Yoff, à Dakar, au Sénégal, l’ancien président tchadien Hissène Habré repose désormais aux côtés de son homologue, le Camerounais Ahmadou Ahidjo. Un destin que partage avec eux l’ex-président congolais Mobutu Sese Seko, mort et enterré à Rabat, au Maroc, en septembre 1997. Aujourd’hui, la question du rapatriement des dépouilles de ces anciens présidents se pose avec acuité.  

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Hissene Habre
L'ancien président tchadien Hissène Habré, à sa sortie du tribunal, à Dakar, au Sénégal, le 25 novembre 2005.
© AP Photo/Schalk van Zuydam
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C’est ce jeudi 26 août que l’ancien chef d’Etat et dictateur tchadien Hissène Habré a été enterré au cimetière musulman de Yoff, à Dakar, au Sénégal. Condamné à la prison à vie en 2016 pour crimes contre l’humanité, il est décédé du Covid-19 dans la capitale sénégalaise, à l’âge de 79 ans. Dès l’annonce de sa mort quarante-huit heures auparavant, la question du lieu de son inhumation s’est immédiatement posée.

Pas d'hommage officiel pour Hissène Habré au Tchad

Dans une déclaration à nos confrères de l’AFP, Abderaman Koulamallah, le porte-parole du gouvernement tchadien affirmait : « Nous ne nous opposons pas à ce que le corps soit rapatrié au Tchad. […] Ce sera à sa famille de décider. » Les autorités tchadiennes précisaient par ailleurs qu’aucun hommage officiel ne lui serait rendu, « en raison de ses condamnations et par respect pour ses victimes. »

Victimes
L'avocate tchadienne Delphine Djiraibe (en lunettes, au premier plan), aux côtés de quelques-unes des victimes du régime de feu le président Hissène Habré, lors d'une conférence de presse à Dakar, au Sénégal, le 17 juillet 2013. 
© AP Photo/Rebecca Blackwell

En guise de réponse, l’une des épouses de l’ancien président tchadien, Fatimé Raymonde Habré, a déclaré par voie de communiqué signé par l’un des avocats de feu son époux, Me François Serres : « Nous n’avons rien demandé au gouvernement tchadien, et, un jour viendra où le président Habré sera entièrement réhabilité, et tout ce qu’il a fait pour son pays, sera reconnu. Ce jour-là, il reposera en terre tchadienne, avec dignité, respect, considération et, avec tous les honneurs dus à son rang et à ce qu’il a été toute sa vie. Telle a été toujours sa volonté et celle de sa famille. Aujourd’hui, en respect à sa mémoire et les idéaux qu’il a défendus toute sa vie, il reposera par conséquent en terre sénégalaise, une terre d’islam. »

A l’évidence, Fatimé Raymonde Habré a très mal vécu la façon dont son défunt mari a été traité par le Tchad, en particulier de son vivant. Et pour le journaliste et écrivain nigérien Seidik Abba, « elle pense que c’est une concession faite au Tchad que d’aller l’inhumer là-bas. » Et il ajoute : « Il y a aussi le fait que si elle avait décidé d’inhumer Hissène Habré au Tchad, cela l’obligerait peut-être à y retourner définitivement. Ce qui dans le contexte actuel ne lui semble pas facile. »

Hissène Habré a participé à la construction de l’Etat tchadien et à la modernisation du pays

Seidik Abba, journaliste et écrivain

A la tête du pays de 1982 à 1990, Hissène Habré laisse derrière lui l’image d’un chef de guerre, mais aussi d’un patriote dont la présidence a cependant été entachée par une répression féroce. « Hissène Habré a participé à la construction de l’Etat tchadien et à la modernisation du pays, souligne toutefois le journaliste et écrivain nigérien Seidik Abba. Cette dimension, on ne peut pas l’occulter totalement. Sa réhabilitation pourrait advenir le jour où on verra que Hissène Habré n’a pas seulement été le dictateur hideux que tout le monde connaît, et que personne ne conteste. »  

Le corps de l'ex-président camerounais Ahmadou Ahidjo repose toujours à Dakar

Désormais, Hissène Habré repose au cimetière musulman de Yoff, à Dakar, aux côtés de son homologue camerounais, Ahmadou Ahidjo, décédé lui aussi en exil dans la capitale sénégalaise le 30 novembre 1989. Arrivé au pouvoir avec l’indépendance du pays en janvier 1960, Ahmadou Ahidjo affirme rapidement sa volonté d’être le seul maître à bord. Au pas de charge, il met en route le processus de réunification avec les régions anglophones, anciennement sous tutelle britannique.

C’est l’époque des partis uniques. Le président Ahidjo crée donc l’UNC, l’Union nationale camerounaise. Il musèle l’opposition et surtout, mène une chasse féroce à tous ceux qu’on appelle alors les maquisards, autrement dit les membres de l’UPC, l’Union des populations du Cameroun, parti nationaliste fondé en 1948 et contraint ensuite à la lutte armée par les autorités coloniales françaises. Durant toutes les années de la présidence Ahidjo, les libertés individuelles sont sacrifiées. Cependant, ce régime n’aura de cesse d’œuvrer à la modernisation du pays.

Ahidjo
L'ancien président camerounais Ahmadou Ahidjo, accueillant à Yaoundé, au Cameroun, son homologue français Georges Pompidou, le 9 février 1971.
© AP Photo/Jean Jacques Levy

Le 4 novembre 1982, alors que la majorité de la population ne s’y attend absolument pas, le président Ahmadou Ahidjo annonce qu’il quitte volontairement le pouvoir, à l’instar du chef de l’Etat sénégalais Léopold Sédar Senghor, deux ans auparavant. Et comme le prévoit la constitution d’alors, il transmet les rênes du pouvoir à Paul Biya, son Premier ministre de l’époque. Au terme d’une manœuvre institutionnelle destinée à le remettre au cœur du pouvoir et déjouée par son successeur, l’ex-président Ahidjo s’exile et partage sa vie entre la France et le Sénégal.

En 1984, un coup d’Etat échoue à renverser le régime du président Paul Biya. A l’issue du procès des putschistes accusés d’être proches d’Ahmadou Ahidjo, l’ancien président est condamné à mort par contumace. Après sa mort, son épouse, Germaine Ahidjo, décédée elle aussi à Dakar en avril dernier, se battra sa vie durant pour ramener la dépouille de son défunt mari au Cameroun. Elle ne parviendra cependant jamais à se mettre d’accord avec le pouvoir sur les modalités de ce rapatriement.

Mobutu, mort en exil et inhumé lui aussi loin de son pays 

Autre chef d’Etat africain mort en exil et inhumé loin de son pays, l’ancien président congolais Mobutu Sese Seko. Après la chute de son régime, Mobutu s’envole pour Lomé, au Togo, en mai 1997, avant de rejoindre Rabat, au Maroc, où il décède en septembre de la même année, à l’âge de 66 ans. Cette année-là, l’homme à la toque de léopard avait dû fuir Kinshasa, la capitale du Zaïre, actuelle RDC, après 32 ans de pouvoir sans partage.

Présent au cœur de l'Etat dès l’indépendance de l’ancien Congo belge en 1960, aux côtés notamment de Patrice Lumumba, Mobutu ne devient président qu’en 1965, à la suite d’un coup d’Etat contre Joseph Kasa-Vubu, premier président de l’ex-Congo belge. Très vite, il instaure un régime autoritaire à parti unique, et engage le pays dans une politique dite de « zaïrianisation », fondée sur le retour à l’authenticité africaine.

Mobutu
L'ancien président congolais Mobutu Sese Seko, lors d'une de ses visites officielles aux Etats-Unis, en 1983. 
© AP Photo

A travers cette politique qui se veut résolument nationaliste, Mobutu préconise notamment l’usage du lingala, l’une des langues les plus parlées dans le pays, ou encore l’abandon des prénoms chrétiens. Il abandonne alors ses prénoms de naissance Joseph Désiré, et devient officiellement Mobutu Sese Seko Kuku Ngenbdu wa Zabanga, qui pourrait se traduire par « le guerrier tout-puissant et victorieux qui va de victoire en victoire sans que rien ne puisse l’arrêter. »

Il existe une certaine nostalgie liée notamment à la grandeur du pays, au fait qu’il [Mobutu] incarnait une forte personnalité qui en imposait non seulement en Afrique mais aussi sur la scène internationale.

Bob Kabamba, professeur de sciences politiques

Convaincu que le pouvoir s’exerce d’une main de fer, Mobutu n’hésite pas non plus à réprimer la révolte étudiante de 1969, ou encore la marche de l’espoir organisée à Kinshasa en 1992. Mais comme le souligne Bob Kabamba, professeur de sciences politiques à l’université de Liège, en Belgique, aujourd’hui en RDC, « il existe une certaine nostalgie liée notamment à la grandeur du pays, au fait qu’il [Mobutu] incarnait une forte personnalité qui en imposait non seulement en Afrique mais aussi sur la scène internationale. »

Un temps envisagé par le président Joseph Kabila, le rapatriement en RDC du corps de l’ancien président Mobutu n’a toujours pas eu lieu à ce jour.

Que faire alors des dépouilles de ces anciens chefs d’Etat morts et inhumés loin de leurs pays ? Selon le journaliste et écrivain nigérien Seidik Abba, « il y aura une évolution, il y aura un changement de la perception de ce qu’a été l’action de Hissène Habré au Tchad, Ahmadou Ahidjo au Cameroun, ou encore Mobutu Sese Seko en RDC. La question se posera alors à nouveau, et cela aboutira peut-être au rapatriement de leurs dépouilles dans leurs pays. Et même s’ils ne bénéficient pas à ce moment-là des hommages de leurs nations respectives, ils seront rapatriés avec la reconnaissance qu’ils ont servi leurs pays. »