Mohamed Morsi, très fragilisé, peut-il rester au pouvoir ?
Les Frères musulmans ont un grand atout et une grande faiblesse. Ils sont centralisés, organisés, seuls capables de mener de vrais campagnes. Mais ils sont considérés par beaucoup comme un parti très cynique et opportuniste. Certains pensaient que Morsi serait plus ouvert d'esprit et ça n'a pas été le cas. Maintenant, si Morsi s'en va, cela signifierait encore plus de chaos.
Deux ans après le début de la révolution, l’Egypte est en pleine crise politique. Cela vous surprend-t-il ?
Plusieurs choses ont joué. D'abord, le président Moubarak est parti mais sans que les institutions de l'Etat ne soient vraiment touchées. En dehors de Moubarak et de sa clique, peu de gens ont été démis de leurs fonctions.
L'armée, la police, l'administration n'ont pas beaucoup changées mais n'ont plus de chef. Ces institutions se sont autonomisées par rapport au pouvoir et au Président Morsi. Avec ce qui s'est passé à Port-Saïd [des affrontements meurtriers ont eu lieu après la condamnation à mort de 21 supporteurs du club de foot local], on peut se demander si la police ne joue pas la politique du pire contre Mohamed Morsi.
C'est également ce paradoxe qui rend assez improbable une dictature des Frères musulmans puisqu'ils n'ont pas le contrôle des institutions.
Ensuite, on peut noter l'incompétence politique de tous les responsables, aussi bien du côté des Frères musulmans que de l'opposition. Ils n'ont jamais fait de politique au sens réel - alliance, compromis... Ce qui est un peu normal, puisque le pouvoir a été verrouillé pendant 50 ans. Cependant on n'a pas l'impression d'un apprentissage. Et le refus du dialogue par le Front de Salut National avec le pouvoir en place apparaît étrange compte tenu de l'ampleur du désastre.
Le FSN, qui rassemble plusieurs partis d'opposition, rejette effectivement l'appel au dialogue du président et appelle à manifester le 1er février.
Il ne faut pas oublier que l'opposition est très divisée. Une partie de cette opposition, notamment le parti Egypte Forte dirigé par Abdul Monem Aboul Fotouh et qui n'est pas dans le FSN, est plutôt pour le dialogue. Et puis les gens qui manifestent dans la rue ont assez peu à voir avec le FSN.
Vous vous rendez régulierement en Egypte. Que vous disent les Egyptiens que vous rencontrez ?
C'est difficile de parler pour 80 millions de personnes mais globalement, je ne ressens pas de nostalgie par rapport au passé, ou d'envie de revenir à l'ordre ancien. Mais il y a une désaffection évidente de la politique, on l'a vu avec le taux de participation au référendum sur la Constitution - 35% - à comparer avec la participation aux autres élections, plus de 50%.
Il y a en revanche une volonté de retour à l'ordre, de stabilité face aux manifestations perpétuelles et aux conséquences plus ou moins dramatiques qui vont avec - dégâts, blessés, morts... Sans parler du recul du tourisme et de la disparition des investissements. La vie quotidienne est devenue plus difficile.
Y a-t-il malgré tout des changements positifs entraînés par la révolution ?
Il y a actuellement en Egypte une liberté de la presse sans précédent ! Des opinions diverses s'expriment jusqu'à la télévision ou dans les journaux d'Etat. C'est important, car les gens ne vivent pas seulement de pain mais aussi de liberté. Il y a également une liberté d'organisation et une liberté de manifestation.