Fil d'Ariane
Emmanuel Macron s'est rendu en Algérie les 24, 25 et 26 août dernier. Élisabeth Borne, la cheffe de gouvernement était également à Alger le 10 octobre 2022. "La question du gaz n'était pas officiellement au centre des discussions mais le patron d'Engie était bien présent lors de la visite de la cheffe du gouvernement ", explique Camille Sari, économiste algérien. La France importe de l'Algérie un peu plus de 11% de son gaz.
Le régime est devenu fréquentable aux yeux des Européens. L'Italie n'a jamais réellement critiqué les atteintes aux droits humains en Algérie. Maintenant c'est la France qui lui emboite le pas. Camille Sari, économiste algérien
Le gaz algérien est également prisé par l'Allemagne, première puissance économique de la zone euro et qui a en grande partie construit son modèle énergétique sur l'achat du gaz russe à bon marché. Le ministre allemand de l'Economie, Robert Habeck, devant les industriels allemands a ainsi plaidé pour l'installation de station de liquéfaction de gaz naturel. Et l'Allemagne entend importer du gaz algérien dans ce sens à partir de 2024.
Le chancelier Olaf Scholz milite lui pour la construction d'un gazoduc transportant du gaz algérien qui partirait de l'Espagne, du Portugal et se rendrait en France, en Allemagne et en Europe centrale. Il transporterait huit milliards de mètres cubes par an contre 50 milliards pour les deux principaux gazoducs russes. Le projet est cependant presque mort-né suite aux mauvaises relations entre l'Algérie et l'Espagne, jugée trop proche des positions du Maroc par Alger.
Avec la crise ukrainienne, la France a besoin du pétrole algérien, du gaz algérien, donc on voit très bien la limite de l'action possible.Patrick Beaudoin, président de la Ligue des droits de l'Homme
"Le régime est en tout cas devenu fréquentable aux yeux des Européens. L'Italie n'a jamais réellement critiqué les atteintes aux droits humains en Algérie. Maintenant c'est la France qui lui emboite le pas. Les intérets énergétiques dépassent la question des respects des droits humains", explique Camille Sari, spécialiste de l'économie algérienne.
Les ONG de défense des droits humains font le même constat. "Avec la crise ukrainienne, la France a besoin du pétrole algérien, du gaz algérien, donc on voit très bien la limite de l'action possible", constate Patrick Baudouin, président de la Ligue des droits de l'homme en France.
Il a ainsi souhaité que la France puisse "au sein de l'Europe et par la voix de l'Europe" agir "pour essayer de venir en aide à la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme et plus largement aux défenseurs algériens des droits de l'Homme". Le président de la LDH dénonce la "timidité" de la diplomatie française face à la récente dissolution de la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme et à d'autres "violations" dans ce pays.
Zaki Hannache, défenseur des droits humains algérien exilé en Tunisie a affirmé avoir documenté au moins "5.500 poursuites judiciaires, 1.200 mandats de dépôt et 12.000 arrestations" en Algérie depuis le début du mouvement de protestation du Hirak.
"Grâce à la guerre en Ukraine, la séquence est politiquement très bonne en Ukraine, le pouvoir peut continuer d'enfermer les opposants sans que cela soit réellement dénoncé par les chancelleries européennes. Les prix du baril et donc du gaz ont augmenté ce qui a permis de donner plus de marges financières au pouvoir. Plus de 98% de la valeur des exportations du pays sont constitués par les prix des hydrocarbures. Et plus de 60% des recettes de l'Etat viennent des hydrocarbures et surtout du gaz. Les recettes sont là et le régime peut acheter la paix sociale", explique l'économiste Camille Sari.
Mais l'Algérie peut-elle à elle seule fournir le gaz nécéssaire à l'Europe ou du moins répondre en partie aux demandes européennes. "Pour l'instant l'Algérie ne fournit que 5% du gaz dont a besoin l'Europe. Ces dernières années l'Algérie a moins investi dans le secteur et la production de gaz a baissé", constate l'économiste Camille Sari.
Faute d’investissements, les capacités d’exportations algériennes en gaz ont baissé passant de 65 milliards de mètres cubes en 2007 à 42 milliards de mètres cubes en 2021. Avec une croissance de 8 % en 2021, la consommation interne en gaz, dépasse désormais le niveau des exportations gazières du pays. " La croissance démographique est là. Des villes nouvelles comme Draria à 30 kilomètres d'Alger fonctionnent entièrement au gaz", constate l'économiste Camille Sari.
Les Européens se trompent-ils donc sur la capacité de l'Algérie à leur fournir assez de gaz pour leurs besoins. En tous cas les principales chancelleries européennes n'ont pas réagi aux dernières arrestations en Algérie.
Le Conseil d'Etat, plus haute juridiction administrative en Algérie, a confirmé jeudi la dissolution du Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ), une ONG qui avait été aux premiers rangs du mouvement pro-démocratie Hirak.
L'ONG a annoncé elle-même sur sa page Facebook la confirmation par le Conseil d'Etat "du verdict du tribunal administratif: (la) dissolution du RAJ", qui avait été annoncée par le tribunal administratif d'Alger en octobre 2021.