Algérie : Bouteflika, de la revanche à la chute

"Non au 5e mandat !" Tel était le slogan lorsque les Algériens ont commencé à descendre dans la rue fin février. Au fil des semaines, les revendications se sont élargies, les manifestants demandant la fin de tout le "système". Ce mardi 2 avril, le vieux président malade a présenté sa démission.
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Bouteflika prestation de serment avril 2014
28 avril 2014, Abdelaziz Bouteflika prête serment pour un 4e mandat, cloué dans un fauteuil, quelques mois après un accident vasculaire cérébral.
© AP Photo/Sidali Djarboub
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On le voyait président 20 ans plus tôt. Il lui aura fallu attendre 1999. Cette année-là, l'Algérie est par terre, foudroyée par une guerre civile débutée sept ans auparavant lorsque les autorités ont annulé le résultat des élections législatives remportées par le Front islamique du salut. Le pays a sombré. Les violences auront fait entre 150 000 et 200 000 morts. 
Adoubé par l'armée, Abdelaziz Bouteflika est le seul candidat. Les six autres se sont retirés, estimant que le scrutin était tronqué. Il est élu avec 73,79% des voix. 

"Boutef" n'est alors pas un nouveau-venu. Mais il est un revenant.
Politicien de premier plan après l'indépendance, il est chef de la diplomatie dès 1963, le plus jeune au monde, à seulement 26 ans. "Un plaisir d'intelligence", dit de lui Léopold Sédar Senghor. "Un personnage surprenant", selon Valéry Giscard d'Estaing. Sportif et talentueux, il brille sur la scène internationale et mène grand train. Mais son parcours est stoppé net par la mort de son mentor, le président Houari Boumediène le 27 décembre 1978, dont il prononcera l'oraison funèbre. Bouteflika est pressenti pour lui succéder, mais l'armée lui préfère Chadli Bendjedid. D'abord au placard, Abdelaziz Bouteflika entamera une longue traversée du désert politique deux ans plus tard, loin de son pays, sorti du gouvernement et suspendu des instances du FLN.

C'est donc au terme de la "décennie noire" qu'il revient en grâce, à l'invitation d'une armée ébranlée par la guerre civile. Son mandat est clair : la réconciliation. Si son élection paraît faussée, c'est par un plébiscite qu'il asseoit son pouvoir. En septembre 1999, le référendum sur la concorde civile (qui promet une amnistie aux islamistes n'ayant pas de sang sur les mains) remporte un oui massif, presque 99%. Bouteflika avait promis de démissionner en cas de victoire du non. Cette politique porte ses fruits : l'immense majorité des islamistes quittent le maquis et la clandestinité.

Bouteflika 1999
Après vingt ans de mise à l'écart, Abdelaziz Bouteflika est élu président en 1999. Son objectif, réconcilier le pays.
© Radio Télévision Suisse

Parallèlement, aidé par la hausse du prix du pétrole, Bouteflika peut mener une politique économique ambitieuse et cinq ans plus tard, il est réélu avec près de 85% des voix. Nouveau référendum sur la réconciliation, offrant le "pardon" aux islamistes n'ayant pas encore rendu les armes. Il offre aussi l'amnistie aux membres des forces de sécurité ayant commis de graves exactions au cours de la guerre civile.  
Ce 2e mandat sera marqué par un vaste ménage au sein de l'armée mais aussi par le début de ses problèmes de santé. Novembre 2005, il disparaît un mois après une opération à Paris pour ce qui est présenté comme un "ulcère hémorragique à l'estomac". A Alger et partout dans le monde, les rumeurs se multiplient. Il rentre le 31 décembre dans son pays. C'en est fini du président énergique.

Modification constitutionnelle

Mais Bouteflika n'a pas abandonné une ambition, la présidence à vie.
Il faut retoucher la Constitution pour lui permettre de se représenter ? C'est chose faite fin 2008, le Parlement lève le verrou des deux mandats maximum.
Il est réélu dès le premier tour, le 9 avril 2009, avec 90,24 % des voix. Ce 3e mandat sera marqué par les scandales de corruption et cette santé qui n'en finit de décliner. 
Au premier semestre 2013, il est victime d'un accident vasculaire cérébral qui va le laisser très amoindri. Les séquelles sont nombreuses. C'est sur un fauteuil roulant qu'il prête serment en 2014 après une réélection à plus de 81% mais une très faible participation.

C'est dans l'ombre qu'Abdelaziz Bouteflika va conduire ce 4e mandat. Ses apparitions sont rares. Désormais, impossible d'entendre le son de sa voix. Quelques photos et vidéos -plus ou moins habilement  montées- le montrent recevant des responsables étrangers. On lui prête déjà un successeur, son frère Saïd.

Le choix du FLN de le présenter à un 5e mandat pourrait presque prêter à sourire tant le décalage est grand entre une population essentiellement jeune et ce candidat grabataire et absent. Cette perspective déclenche fin février les premières manifestations. 
Ce mardi 2 avril, les manifestants ont remporté une bataille, celle de leur revendication initiale, "non au 5e mandat". 

► En images : Bouteflika, une vie en politique

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Commentaire : S. Rodier, L. Bureau - montage : B. Tricot