Algérie : "L'application de l'article 102 ne peut qu'arranger le pouvoir en place"

Abdelwahab Fersaoui est le président de l'association RAJ, Rassemblement Action Jeunesse. Pour lui, l'appel du chef de l'armée en faveur "d'un empêchement du président Abdelaziz Bouteflika" n'est destiné qu'à jouer la montre. Entretien. 
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Algerie manif systeme 19 mars 2019
Davantage que le 5è mandat de Bouteflika, c'est l'ensemble du système qui est aujourd'hui remis en cause.
© AP Photo/Anis Belghoul
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TV5MONDE : Quelle a été votre réaction en entendant le général Ahmed Gaïd Salah évoquer l'article 102 et l'éventuel empêchement d'Abdelaziz Bouteflika

Abdelwahab Fersaoui : Dans cette demande du chef d'état-major, il y a une faute dans la forme et dans le fond. Dans la forme, c'est une nouvelle preuve que l'institution militaire s'ingère dans les affaires politiques et a un poids dans les prises de décisions. Logiquement, c'est le Conseil constitutionnel qui doit prendre l'initiative.

Sur le fond, faire référence à l'article 102 arrive tard. Cela aurait pu être fait dès 2014 lors de l'élection présidentielle pour le 4è mandat. Cette année-là, le président était déjà malade, il n'avait ni les capacités physiques ni les capacités intellectuelles d'assumer les fonctions de président de la République. D'ailleurs, il n'avait même pas pu terminer son serment constitutionnelle !

L'application de cet article à quelques semaines de la fin de son mandat est, selon nous, une autre manoeuvre pour étouffer le mouvement populaire et citoyen. Pour nous, la crise est politique et la solution ne peut être que politique.

L'utilisation de l'actuelle Constitution est dépassée car elle est déjà été bafouée par ce président qui l'a modifiée trois fois. La Constitution algérienne est vidée de son sens, elle n'a pas de légitimité. Le peuple demande le départ de toutes les personnes qui ont géré au cours des vingt dernières années : elles n'ont pas à gérer une période de transition.

La question du calendrier se pose également : pourquoi maintenant alors qu'il n'y a aucune information nouvelle sur l'état de santé du président Bouteflika ?  

Il s'agit pour eux de donner l'illusion du respect de la légalité constitutionnelle et de permettre au système de rester et de se régénérer sous une autre forme. Par l'application de l'article 102, le pouvoir va se donner 135 jours supplémentaires. (Voir notre encadré ci-dessous)

Le texte prévoit que le président du Sénat devienne chef de l'Etat mais cet homme est l'un des alliés, l'un des bras droits de Bouteflika. Abdelkader Bensalah est devenu l'un des symboles du régime au cours des vingt dernières années.

Nous demandons le départ de ces symboles responsables de la situation actuelle sur les plans politique et économique. L'application de l'article 102 ne peut qu'arranger le pouvoir en place.

Que dit l'article 102 ?

Il a été invoqué par le chef de l'armée pour justifier la demande d'empêchement à l'encontre d'Abdelaziz Bouteflika. Cette demande a été soumise au Conseil constitutionnel. Charge à lui de proposer cet "état d'empêchement". Au Parlement de le déclarer. Deux conditions doivent être remplies : le président doit souffrir d'une "maladie grave et durable" le plaçant "dans l'impossibilité totale d'exercer ses fonctions". 
Une fois l'empêchement déclaré, le pouvoir revient au président du Conseil de la nation, la chambre haute du Parlement (le Sénat), pour 45 jours maximum, avec des pouvoirs limités. Si à l'issue de ces 45 jours, le président n'est pas apte à reprendre ses fonctions, l'article 102 prévoit la vacance du pouvoir. L'intérim reste assuré pour 90 jours maximum au cours desquels l'élection présidentielle doit être organisée.

La détermination de la société algérienne semble renforcée par chaque annonce des autorités algériennes...

A chaque déclaration, le pouvoir confirme son refus d'entendre les revendications de la rue. Il dit le contraire mais chaque proposition écarte et nie la rue. Je pense que le peuple algérien va donner sa réponse de manière claire et forte vendredi prochain.
Ce qui se passe en Algérie est une renaissance, c'est extraordinaire. Pas de débordements, pas de violences, un consensus dans la rue, pas de revendications idéologiques. La rue a fait son devoir et va continuer son travail. Ce vendredi sera un autre rendez-vous avec l'histoire. Le peuple algérien s'est libéré, il n'a plus peur. C'est un grand acquis. Le chemin est encore long. La mobilisation pacifique doit continuer.

 

Algerie Manifestation du 22 mars
Une manifestante à Alger le 22 mars 2019.
© AP Photo/Anis Belghoul