Fil d'Ariane
Une chute inexorable. Face à l’euro et au dollar, le dinar algérien continue de se déprécier chaque jour davantage. Le 2 août dernier, la monnaie algérienne a dépassé la barre symbolique de 150 DA pour un euro. Et selon les chiffres de la Banque d’Algérie, à l’achat, le dinar s’échange actuellement à 151,9124 DA pour un euro et 128,2611 DA pour un dollar.
Si l'on s'en tient aux données officielles du ministère algérien des Finances, publiées sur son site Internet, fin décembre 2019, le taux de change moyen du dinar algérien était de 133,71 DA pour un euro et 119,36 DA pour un dollar. La différence est encore plus nette si on revient à fin décembre 2014. Ces chiffres étaient alors respectivement de 106,91 DA pour un euro et 80,56 DA pour un dollar.
Au vu des derniers taux de change, la chute de la monnaie nationale algérienne est considérable. Cette dépréciation continue du dinar algérien est due principalement à la crise économique et financière que connaît le pays depuis quelques années. Une situation qui s’est aggravée ces derniers mois avec la forte contestation sociale et politique, à laquelle se sont ajoutées la pandémie de coronavirus et la chute des prix du pétrole. D’ailleurs, selon les prévisions du Fonds monétaire international (FMI), cette année l’Algérie devrait connaître un recul spectaculaire de son taux de croissance à -6,4%.
Dans une interview que nous a accordée récemment l’économiste algérien Camille Sari, il déclarait à propos de la situation financière du pays : « Elle est très mauvaise. Elle est liée à une trop grande dépendance aux revenus des hydrocarbures. Le gaz et le pétrole représentent plus de la moitié de l'activité économique de l'Algérie, la quasi-totalité des exportations du pays et 60% des recettes budgétaires de l’État. Or, le budget de cette année 2020 avait été construit sur la base d'un baril à 50 dollars. La crise sanitaire est arrivée et elle est devenue une crise économique mondiale. Et, par conséquent, la demande mondiale en hydrocarbure s’effondre. »
Malgré la gravité de la situation, les autorités algériennes continuent de refuser l’aide de la Banque mondiale et du FMI qui exigent depuis longtemps des réformes structurelles et une dévaluation du dinar qui est surévalué à leurs yeux. Le nouveau président Abdelmadjid Tebboune évoque même « une question de souveraineté ». Pour tenter malgré tout de faire face à la situation, le gouvernement a notamment annoncé une réduction de 50% de son budget de fonctionnement. En refusant l'aide des institutions financières internationales, dans un contexte de crise politique, les autorités algériennes ne veulent surtout pas revivre le scénario des années 80 et 90.
L’économiste Camille Sari rappelle d’ailleurs, s’agissant du FMI dans la mémoire collective algérienne, que cette institution « renvoie à la crise sociale, puis politique des années 80 et 90. En 1988, le régime, pour faire face à la baisse des prix du pétrole, avait donc fait appel au FMI pour sortir de la crise financière. L'État a bien remboursé rubis sur ongle les emprunts contractés auprès de l'institution financière, mais il a dû rapidement réduire très fortement les dépenses sociales. Les émeutes sociales de cette époque en sont la conséquence. Le régime a alors vacillé. »
Aujourd'hui, certains économistes estiment qu'en l'état actuel de la situation, une dévaluation du dinar n’aura que peu d’impact sur l’économie algérienne qui repose essentiellement sur les exportations de pétrole et de gaz. En revanche, une telle décision entraînera à coup sûr une flambée inflationniste et un renchérissement du coût des produits importés. Une hypothèse difficilement envisageable par les autorités qui font toujours face au Hirak, ce vaste mouvement de contestation politique et sociale né en février 2019. Mais en laissant le dinar se déprécier, le gouvernement algérien procède en quelque sorte à une dévaluation de fait de la monnaie nationale.