Fil d'Ariane
Le gouvernement algérien cherche t-il à calmer la colère sociale ? Un an, presque jour pour jour après la naissance du Hirak, le tout nouveau Premier ministre Abdelaziz Djerad vient d’annoncer des mesures destinées aux plus fragiles. Le salaire minimum mensuel(le SNMG) devrait être revalorisé de 18 000 à 22 000 dinars (130 à 160 euros). C’est une première depuis 2012, si cela se confirme. Une autre revalorisation est prévue, celle des petites retraites. Les foyers gagnant moins de 30 000 dinars par mois (230 euros) seraient aussi exemptés d’impôts sur les revenus. Le montant global de cette politique, destinée à relancer le pouvoir d’achat, n’a pas été encore chiffré.
Cette absence sème le doute, chez certains économistes, sur la capacité du gouvernement algérien à financer ce plan de relance sociale. « Les réserves de change ont fondu. Elles atteignent à peine 60 milliards de dollars contre 200 milliards en 2012. Or la puissance publique est dépendante des recettes fiscales pétrolières. Elles ont été divisées par deux en 7 ans. Le gouvernement aujourd’hui ne peut équilibrer son budget qu'avec un baril de pétrole à 100 dollars. Il dépasse à peine les 50 dollars aujourd'hui. La production des hydrocarbures chute et la consommation nationale augmente. Le pays pourrait ne plus être exportateur net de produits pétroliers d’ici 2030 », décrit l’économiste Camille Sari. La rente pétrolière paraît bel et bien condamnée à terme.
Relire : Algérie, une économie à bout de souffle
« Ces mesures sociales se chiffrent à plusieurs milliards de dollars. Il se peut que le gouvernement réussisse à récupérer des fonds issu des détournements de l’ancien clan au pouvoir, notamment dans l’adjudication des marchés publics mais cela ne devrait pas suffire. Il n’est pas impossible que l’Etat décide de faire tourner la planche à billets, comme il a fait en 2018", poursuit Camille Sari. Ce type de financement crée de l’inflation. "Les maigres gains de pouvoir d’achat qu’obtiendront les classes les plus populaires seront très vite absorbés par la hausse des prix », décrit ainsi Camille Sari.
Le tout nouveau gouvernement algérien selon Hasni Abidi, politologue, spécialiste de l’Algérie contemporaine veut donner le sentiment qu’il a encore la main comme en 2011. « Au lendemain du printemps arabe, le régime d’Abdelaziz Bouteflika avait réussi a juguler toute forme de contestation sociale et par conséquent politique en ouvrant les vannes budgétaires, en donnant des allocations pour les jeunes chômeurs ou en subventionnant presque entièrement des produits de première nécessité, comme l‘huile, le pain, le sucre. Pour résumer, le pouvoir avait acheté la paix sociale et donc une forme de trêve politique pendant quelques années. Aujourd’hui il n’ a plus clairement les moyens de cette politique », estime le chercheur algérien, basé en Suisse
Les conséquences sociales et économiques de ces annonces devraient donc rester limitées pour le public visé. Hasni Abidi, voit surtout dans ce programme social, une entreprise politique. « Le Hirak va fêter son premier anniversaire. Le mouvement est en train de se structurer mais la contestation du Hirak reste avant tout politique. Le gouvernement algérien veut à tout prix éviter une sorte de convergence des luttes politiques et des revendications sociales. Les classes populaires les plus fragiles ne doivent pas rejoindre ce mouvement. Il faut montrer aux yeux des plus pauvres que le gouvernement pense à eux », estime le chercheur. Une opération suffisante pour détourner les classes populaires de la contestation politique ? Le pays s'enfonce en tous cas dans la crise sociale. Un jeune algérien sur trois est aujourd'hui au chômage.
Un programme destiné à 'l'Etat profond" ?
Ce plan, une simple opération de communication destiné au simple citoyen algérien ? C'est surtout "un plaidoyer", selon Hasni Abidi, destiné à ceux qui détiennent la réalité du pouvoir, les militaires, symbole de ce que l'on nomme "l'Etat profond", un terme sociologique pour dessiner ceux qui possèdent la réalité du pouvoir étatique. « Le premier ministre a posé un diagnostic très sévère sur l’état économique de l’Algérie, chose rare au sein de l’appareil étatique. Son discours semblait s’adresser aux hommes qui tiennent les clés de l’avenir économique du pays, les généraux. Le gouvernement veut par exemple freiner les importations et encourager la production alimentaire dans le pays. Mais les hommes qui contrôlent les filières d’importation sont des gens issus de l’armée". Ces filières sont tres lucratives.
Le poids économique de l'armée est conséquent. L'armée contrôle la gestion de la Sonatrach, la compagnie nationale pétrolière. Le premier budget de l'Etat reste, en outre, celui de l'armée. Le déficit budgétaire devait dépassser les 10 milliards de dollars pour l'exercice 2019. Les militaires renonceront-ils à leurs privilèges ? Difficile pour l'instant de répondre à cette question, selon Hasni Abidi. "Nous sommes peut-être dans une phase de transition, dans une zone grise. Le président Tebboune veut agir pour tenter de sauver le régime face à la contestation mais sans réellement chercher à modifier le poid politique de l'armée, ce qui est contradictoire".