Fil d'Ariane
C'est une première depuis 2014. La balance commerciale algérienne est à nouveau positive. C'est du moins ce que projette le ministère du Commerce algérien. Les cours des hydrocarbures repartent à la hausse. Le prix du baril de pétrole côté à Londres, le Brent, dépasse les 85 dollars. Et son équivalent en gaz se négocie à plus de 150 dollars.
Alger respire enfin. Pour l'année 2021, le pays devrait enregistrer selon les données des douanes algériennes un surplus commercial de plus de cinq milliards de dollars. Cette année 2021 les exportations seront supérieures aux importations. En 2020, en pleine épidémie mondiale de coronavirus le prix du baril était tombé à 9 dollars. Le PIB du pays a chuté de plus de 40% depuis 2014. L'enjeu est vital pour le pays.
Les exportations de gaz et de pétrole représentent un peu plus de 98% des exportations algériennes. Les revenus des exportations constituent un peu plus de 60% des recettes budgétaires de l'État algérien.
Camille Sari, économiste
La santé de l'économie algérienne dépend fortement du niveau des prix des hydrocarbures constate l'économiste algérien, Camille Sari. L'Algérie est le deuxième producteur de pétrole en Afrique.
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Alger est également le septième exportateur de gaz au monde. "Les exportations de gaz et de pétrole représentent un peu plus de 98% des exportations algériennes. Les revenus des exportations constituent un peu plus de 60% des recettes budgétaires de l'Etat algérien. Sans un prix élevé du baril de pétrole ou du prix du gaz, le gouvernement algérien doit puiser dans ses réserves pour payer les salaires des fonctionnaires ou les dépenses sociales", décrit l'économiste.
De 2005 jusqu'en 2014, hormis lors de la crise 2008-2009, le prix du baril a atteint les 100 dollars. L'État algérien a pu grâce à ces prix élevés thésauriser des dizaines de milliards de dollars. Ses reserves de change étaient estimées à plus de 200 milliards de dollars en 2014. Aujourd'hui, elles ne dépassent pas les 30 milliards de dollars.
"Le régime algérien dépend de cette manne pétrolière. C'est ce qu'il lui permet d'acheter une forme de paix sociale. Sous la présidence Bouteflika (1999-2019), le pouvoir avait reversé une partie des bénéfices de la rente pétrolière sous formes de suvbventions notamment sur les produits de première necessité. Cette politique généreuse s'était alors arrêtée avec la chute des prix du baril et du gaz", explique Camille Sari.
Le régime algérien dépend de cette manne pétrolière. C'est ce qu'il lui permet d'acheter une forme de paix sociale.Camille Sari, économiste
"Les primes des professeurs d'université dépendent par exemple des ressources budgétaires de l'État. Avec la chute des prix du baril, ces primes ont cessé d'être versées", explique Camille Sari. "Le pouvoir d'achat de nombreux algériens dépend des revenus de l'État, tirés eux-mêmes des ressources en pétrole et en gaz", poursuit-il.
En 2007, les exportations des hydrocarbures s'étaient élevées à un peu plus de 80 milliards de dollars. En 2020, ce chiffre ne dépassait pas les 20 milliards. Le ministère algérien du Commerce parie pour l'année 2021 sur près de 40 milliards de dollars d'exportations.
La Sonatrach est l'entreprise nationale qui exploite et exporte les ressources en gaz et en pétrole du pays.
L'État algérien peut-il s'en sortir, reprendre une politique sociale plus génereuse et relancer les salaires ? Rien n'est moins sûr selon Camille Sari. La consommation intérieure de gaz et de pétrole ne cesse d'augmenter en raison de la croissance démographique du pays.
"Les Algériens consomment un peu plus de 50% de la production en hydrocarbures du pays. Et cette part dans les années à venir ne devrait pas cesser d'augmenter. La production de gaz et de pétrole n'arrive pas à suivre l'augmentation de la demande intérieure, malgré les efforts du gouvernement", précise l'économiste. Le mirage du gaz de schiste n'a pas fait long feu. Les projets d'exploitation sont aujourd'hui à l'abandon.
En 2015 à In Salah, ville du Sahara algérien, le pouvoir algérien avait lançé l’exploitation de son premier puits de gaz de schiste par fracturation hydraulique. Les habitants de la région s'y étaient opposés par crainte d'une pollution des nappes phréatiques.
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Entre l'augmentation de la consommation intérieure et la stagnation de la production de gaz et de pétrole, le volume des exportations d'hydrocarbures diminue de façon mécanique. L'État algérien doit toujours compter sur un prix plus élevé du baril de pétrole pour s'en sortir au niveau budgétaire.
En effet dans les années 2000, le gouvernement réussissait à stabiliser l'économie du pays avec un prix du baril de pétrole autour de 50 dollars selon Camille Sari. "Aujourd'hui le point d'équilibre se situe autour d'un prix à 70 dollars", estime l'économiste.
L'embellie sur les prix du pétrole et du gaz peut-elle durer, pour le plus grand bénéfice de l'État algérien ? Le prix du baril peut-il se maintenir au dessus des 80 dollars ? Françis Perrin, directeur de recherche à l’IRIS à Paris, suit de près les cours du pétrole et se montre prudent.
Au delà de deux ans, il est bien compliqué de prévoir quel sera le niveau des prix du baril de pétrole. Personne ne pouvait prévoir une telle chute des prix des hydrocarbures en 2020.
Françis Perrin, chercheur à l'Iris, spécialiste des prix du pétrole.
"Les prix du baril de pétrole peuvent rester à un niveau élévé pendant deux ans. Nous sommes dans un contexte de reprise économique. Mais au delà de deux ans, il est bien compliqué de prévoir quel sera le niveau des prix du baril de pétrole. Personne ne pouvait prévoir une telle chute des prix des hydrocarbures en 2020", précise Francis Perrin.
Comment échapper aux fluctuations des prix du baril ? "Un seul moyen existe. Il faut diversifier ses activités économiques et sortir de la rente pétrolière", estime ce chercheur, spécialiste des hydrocarbure.
Avec un baril à plus de 100 dollars dans les années 2000, le pouvoir algérien avait les marges de manoeuvres nécessaires pour transformer l'économie du pays selon Camille Sari. "Mais rien n'a été fait. Le pays importe ses biens de première nécessité et n'exporte que des énergies fossiles", constate amer l'économiste.