Algérie : les défenseurs des droits humains dénoncent une nouvelle étape dans la répression

Deux jours après la condamnation d'Amira Bouraoui, figure de l'opposition de l'ère du président déchu Abdelaziz Bouteflika, la justice algérienne a condamné cinq personnes interpellées à Tizi Ouzou, ce 23 juin, à des peines allant de six mois à un an de prison ferme. Elles auraient participé à une manifestation interdite. Des responsables d'ONG dénoncent une nouvelle étape dans la répression contre les militants du Hirak.
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Algérie HIRAK
Des militants du Hirak manifestent ce 21 février pour célébrer la première année du mouvement.
AP Photo/Toufik Doudou
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Le verdict est tombé. Un an de prison ferme. L’opposante Amira Bouraoui, figure du mouvement "Barakat" (ça suffit), mouvement d'opposition à la candidature d'Abdelaziz Bouteflika en 2014, vient de prendre le chemin de la prison. Son avocat, Mustapha Bouchachi, a annoncé faire appel. « Une condamnation injustifiée. Un dossier vide. »

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Amira Bouraoui, gynécologue de 44 ans, avait été interpellée quatre jours avant sa condamnation pour être donc reconnue coupable de six chefs d’accusation dont "offense à l’islam"," offense au président de la République" ou "incitation à violer le confinement pendant la crise sanitaire."

Lire : Algérie, Amira Bouraoui, l'une des figures du mouvement Hirak, condamnée à un an de prison

Cette condamnation symbolise  le tour de vis du régime contre les opposants selon Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme.  "Amira Bouraoui était une figure de l'opposition, surtout connue et active dans son rôle contre la candidature de Bouteflika en 2014. Et pourtant, même sous le régime autoritaire de Bouteflika, elle n'avait pas été réellement inquiétée". Ces derniers jours, les coups de filets et les arrestations se sont multipliés sur l'ensemble du territoire algérien. L'ONG tient les comptes.

Retrouvez l'intégralité de l'entretien avec Saïd Salhi :

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"En 24 heures, ce vendredi 19 juin, près de 500 personnes du mouvement Hirak ont été interpellés dans 23 wilayas (préfectures) du pays. Toutes n'ont pas été mises en détention provisoire ou renvoyées vers un tribunal mais depuis le début du déconfinement les arrestations se multiplient et prennent une ampleur assez inédite", confie le militant des droits humains, Saïd Salhi.

Si la répression a pris une telle importance, selon ces responsables d'ONG, elle a évolué aussi dans ses procédures. "La crise sanitaire est utilisée pour justifier les arrestations. Tel militant qui aurait incité à manifester, aurait mis en danger la santé des Algériens. C'est bien entendu faux, le Hirak a su se montrer responsable en mettant de côté une liberté fondamentale, celle de manifester, mais le régime se sert du virus pour enfermer les opposants", décrit Saïd Salhi.

"Le pays est en train de se déconfiner et le pouvoir entend clairement empêcher toute reprise des manifestations", constate de son côté, depuis Tunis, Amna Guellali, directice adjointe d'Amnesty International pour l'Afrique du Nord.

La crise sanitaire n'est pas le seul motif pour justifier les arrestations, note le militant des droits de l'homme Saïd Salhi. Le pouvoir algérien a mis en place au sein de son arsenal répressif d'autres chefs d'accusation."Les personnes arrêtées peuvent être poursuivies pour "atteinte à l'unité nationale" où à "l'intêret national". Ce sont des concepts assez fourre-tout, très vagues qui peuvent justifier n'importe quelle arrestation", décrit la militante des droits humains Amna Guellali. "Les avocats de la défense sont souvent démunis. Comment plaider ? Ces infractions ne renvoient à aucun texte de loi précis", indique Saïd Salhi, vice-président de la Ligue des droits de l'homme algérienne.

Plusieurs journalistes arrêtés ces derniers jours


Le correspondant du journal Ennahar, Djamel Ali Toubal a été ainsi condamné le 17 juin dernier à deux ans de prison ferme pour "publications Facebook pouvant porter atteinte à l'intérêt national” et "outrage à corps constitué" . Profondément choqué, le journaliste a fait un malaise à l’énoncé du verdict, selon l'ONG Reporters sans frontières.

Quelques jours auparavant, Merzoug Touati,  blogueur et journaliste du site d’information L'Avant-Garde, (bloqué en Algérie) a été lui arrêté lors d’une manifestation de soutien aux détenus d’opinion. Poursuivi pour "incitation à attroupement, publication et distribution de publications pouvant porter atteinte à l'unité nationale et mettre la vie d'autrui en danger durant la période du confinement", selon RSF. 

Le blogueur a été placé, samedi 13 juin, sous mandat de dépôt par le tribunal de Béjaïa. "Le concept d'atteinte à l'intégrité et à l'unité nationale a été utilisé fortement par le pouvoir au début du Hirak. Il suffisait qu'un manifestant brandisse un drapeau amazigh (berbère) pour qu'il soit arrêté", indique Amna Guellali.

Khaled Drareni, correspondant de TV5MONDE en Algérie est  incarcéré depuis le 29 mars entre autres pour "atteinte à l'intégrité du territoire national”.

Lire :  le journaliste Khaled Drareni maintenu en détention, inquiétude des défenseurs des droits humains

Karim Tabbou, arrêté le 24 mars dernier, figure emblématique de la contestation a été condamné lui en appel à un an de prison ferme pour "atteinte à l'intégrité du territoire national". Son procès doit se tenir ce 29 juin. Il avait été déjà ajourné à deux reprises pour cause de pandémie du coronavirus.

La répression contre les journalistes pourrait s'accentuer dans les prochains jours sur la base d'un nouveau texte, selon des responsables d'ONG de défense des droits humains. Le 22 mars dernier, les députés adoptent un projet de réforme du code pénal "criminalisant" la diffusion de fausses informations qui portent "atteinte à l'ordre public et à la sûreté de l'Etat". "La presse est déja régie par des textes contre la diffamation et l'injure publique. Ce texte sur les fausses informations que nous avons dénoncé est un nouveau cadre juridique pour réprimer", estime le militant des droits humains Saïd Salhi.

Les poursuites judiciaires continuent. Cinq personnes ont été condamnées ce mardi 23 juin à des peines allant de six mois à un an de prison ferme pour avoir participé à une manifestation interdite à Tizi Ouzou, dans le nord-est de l'Algérie, selon une association de soutien aux détenus d'opinion.
 


Fermeture d'El Manchar, un site satirique populaire

Le journal satirique algérien en ligne «El Manchar» a fermé le 14 mai dernier pour échapper à la "répression", soulevant un vif émoi sur les réseaux sociaux. El Manchar avait en effet cinq ans d'existence et comptait plus de 550 000 abonnés sur sa page Facebook. Les fondateurs du site ont préféré mettre fin au site eux-mêmes que risquer des poursuites du pouvoir en place, selon l'AFP.

"Le climat de répression des libertés, les incarcérations de citoyens à la suite de leurs activités sur les réseaux sociaux nous ont conduits à réfléchir sur les risques que nous encourons" pouvait-on lire sur la page facebook du site . "Nous nous retrouverons dans une Algérie meilleure où cette peur n'existera pas", ajoute sur l'équipe du site. Sa page Facebook n'existe plus.