Algérie : les enjeux du voyage de François Hollande

La visite officielle du président français à Alger du 19 et 20 décembre 2012 pourrait engendrer de nouvelles relations entre les deux pays, tant d'un point de vue politique qu'économique. François Hollande a choisi de visiter l'Algérie avant le Maroc et certains y voient les signes d'un “nouveau départ“, alors que depuis 2005 et la loi sur “ les aspects positifs de la colonisation“ votée à l'Assemblée nationale, les relations ne sont pas au beau fixe entre Paris et Alger. Mais quels sont les véritables enjeux de ce déplacement ?
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Algérie : les enjeux du voyage de François Hollande
En 2006, François Hollande, premier secrétaire du PS est reçu par le président algérien (photo : AFP)
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La liste des sujets politiques que pourrait aborder François Hollande lors de sa visite à Alger est longue : intervention au Nord-Mali, reconnaissance des exactions françaises pendant la période coloniale, enquêtes sur le massacre des moines de Tibéhirine, visas étudiants algériens en déclin et à augmenter, investissements français en Algérie et bien entendu les incontournables ventes de matériels militaires français. Comment François Hollande compte-il s'y prendre pour rétablir un climat de confiance constructif entre les deux pays à couteaux tirés depuis plusieurs années tout en abordant les différents sujets à l'agenda, sans froisser l'Algérie ni relancer des guerres idéologiques en France ?  

Hollande Vs Sarkozy

Le président français ne découvre pas l'Algérie avec ce voyage : François Hollande a déjà été reçu par le président Bouteflika en 2006 alors qu'il était secrétaire général du Parti Socialiste et chef de l'opposition. L'entrevue s'était bien déroulée, au point de durer bien plus longtemps que prévue. En 2010, le chef de l'Etat français s'est de nouveau rendu à Alger pour rencontrer cette fois-ci Ahmed Ben Bella, le premier président de l'Algérie indépendante. Lors de la campagne électorale de 2012, François Hollande s'engage à reconnaître la répression sanglante du 17 octobre 1961 par les forces de police françaises à Paris qui fit 200 morts algériens selon les historiens : il tient promesse par le biais d'un communiqué le 17 octobre 2012… Le président français ne semble donc pas, avec ce voyage officiel de deux jours en Algérie, dans une démarche improvisée. Si une partie des Algériens attend beaucoup du discours qu'il doit tenir — "hautement symbolique" pour certains qui rêveraient d'une forme de repentance de l'Etat français pour la période coloniale — un conseiller de François Hollande s'est empressé de démentir toute possibilité d'excuses ou de forme de repentance dans le discours à venir. Reste que la délégation qui accompagne le président français n'est pas sans donner des indices sur l'orientation des futures relations franco-algériennes : si l'acteur Kad Merad, la chanteuse Souad Mouassi ou l'historien Benjamin Stora et 8 ministres sont du voyage, 25 chefs d'entreprises vont aussi débarquer à Alger : Sarkozy avait commis l'erreur de recevoir des dignitaires harkis à l'Elysée à peine rentré d'Alger, déclenchant la fureur du président Bouteflika, Hollande donne l'impression de ne surtout pas vouloir suivre la même voie et au contraire être décidé à réserver une place de choix à l'Algérie dans l'échiquier des relations internationales de l'hexagone. Côté algérien, la visite du président français revêt un caractère solennel qui marque un changement important selon le rédacteur en chef de "Jeune Afrique", Ziad Limam : "il y a un aspect symbolique important dans les relations entre la France et l'Algérie, et le déplacement de Hollande revêt cet aspect de manière forte : les Algériens ont mis en place tout un protocole, on sent que des choses ont été dénouées, le problème affectif plus particulièrement."
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François Hollande : hommage aux victimes du 17 octobre 1961

Ce que veulent les diplomaties…et les autres

Les responsables politiques algériens ont semble-t-il apprécié la reconnaissance de la responsabilité de l'Etat français pour la mort des manifestants du 17 octobre 1961 à Paris, comme du côté des associations de défense des droits de l'homme, tant françaises qu'algériennes. Pour autant, ces dernières ont tout de même publié une lettre ouverte au président français le 17 décembre (document consultable en fin d'article) afin d'attirer l'attention du "sur les questions relatives aux droits de l’Homme, y compris les droits économiques, sociaux et culturels, et aux libertés fondamentales dans le cadre des relations entre la France et l’Algérie." Les signataires soulignent des points très dérangeants pour la diplomatie française de la politique algérienne actuelle : "depuis l’annonce des réformes politiques en avril 2011, la répression à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme et des militants syndicaux n’a fait que s’amplifier en Algérie. En contradiction avec la Constitution du pays et les conventions internationales que l’Algérie a ratifiées, le harcèlement judiciaire à l’égard de défenseurs des droits de l’homme et de militants syndicaux, la répression policière, l’interdiction injustifiée de manifestations et réunions publiques, le recours à des pratiques administratives abusives entravant la création et le fonctionnement des associations et des syndicats autonomes élèvent des obstacles considérables à l’action de la société civile algérienne". Rien ne laisse présumer une "politique algérienne" de François Hollande différente de la "realpolitik" française habituelle : celle des ventes d'armes, des contrats et des discours convenus d'avance, bien que dans les discours justement, des efforts certains sont effectués de part et d'autre. Pour Ziad Limam "L'aspect "business has usual" est logique, puisque des intérêts convergents lient les deux pays et la rupture de ton de la France a joué positivement pour que de nouveaux accords puissent se nouer. Il y a quelque chose de nouveau qui est en train de survenir entre la France et l'Algérie".
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Combattants du groupe islamiste Ansar Dine au Nord Mali, près de la frontière algérienne (AFP)

Une politique du gagnant-gagnant ?

La France et l'Algérie ont chacune intérêt à renouveler leur alliance politico-économique  : côté français on aimerait convaincre Alger d'accepter une intervention militaire au Nord-Mali (voir de la diriger), signer des contrats de matériels militaires… Côté algérien on voudrait bien voir affluer des investisseurs français, comme pouvoir obtenir plus facilement des visas, plus particulièrement pour les étudiants voulant étudier en France. Bouteflika a déjà annoncé la couleur en déclarant à l'AFP la semaine dernière : "La "déclaration d'Alger", signée en mars 2003 par nos deux pays, a maqué leur intention commune de bâtir un partenariat fondé sur ce qui rassemble les deux pays, soit l'ancrage historique, la proximité géographique, les liens humains et les nombreuses interdépendances bilatérales. Cette ambition est toujours de rigueur, pour la partie algérienne qui souhaite donner un contenu concret et opérationnel à ce partenariat d'exception que les deux peuples appellent de leur vœux". Le "partenariat d'exception" dont parle le président Bouteflika est-il prêt de se conclure après plus de 7 ans de relations gelées ? La balle est dans le camp français plus que dans l'algérien : les deux jours de voyage de François Hollande et son discours, très attendu, donneront la réponse…qui semble plutôt pencher en faveur d'un "oui".

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