Algérie: pourquoi le MAK est cité après la condamnation d'un journaliste français pour "apologie du terrorisme"

La condamnation d'un journaliste français, Christophe Gleizes, à sept ans de prison en Algérie ce dimanche 29 juin a braqué les projecteurs sur le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK). Cette organisation, qui revendique l’indépendance de la région kabyle, est classée comme une "organisation terroriste" par Alger depuis 2021. 

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Fehart Mehenni, président du Mouvement pour l'autodétermination pour la Kabylie, 1 juin 2025.

Fehart Mehenni, président du Mouvement pour l'autodétermination pour la Kabylie, 1 juin 2025. © Page Facebook 

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Collaborateur des magazines "So Foot" et "Society", Christophe Gleizes, 36 ans, a été condamné dimanche à sept ans de prison ferme en Algérie, notamment pour "apologie du terrorisme" et "possession de publications dans un but de propagande nuisant à l'intérêt national". 

La condamnation, dont il a fait appel, est intervenue au terme de 13 mois de contrôle judiciaire avec interdiction de quitter le pays. La justice lui reproche d'avoir été en contact avec un dirigeant du club de foot de la Jeunesse Sportive de Kabylie (JSK), par ailleurs responsable du Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie (MAK). 

(Re)lire Algérie : RSF "très en colère" après la condamnation de Christophe Gleizes pour "apologie du terrorisme"

Pour le président du "Front de l'Algérie Nouvelle" (FAN), le journaliste français a enfreint les lois. "Il n'a pas obtenu les autorisations nécessaires pour faire ce travail qu'il avait entamé de manière illégale, ce qui a poussé les autorités algériennes à prendre les mesures adéquates". Origines, idéologie, reconnaissance internationale : on fait le point sur ce mouvement controversé, avec notre éditorialiste de TV5MONDE, Slimane Zeghidour.

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Le "Printemps noir" de 2001

En avril 2001, un jeune lycéen kabyle âgé de 18 ans, Massinissa Guermah, est grièvement blessé par une rafale de kalachnikov dans la gendarmerie de Béni-Douala, un village près de Tizi Ouzou, à l'est d'Alger. Le lycéen avait été interpellé après une banale altercation entre jeunes et gendarmes. Deux jours après, il meurt dans un hôpital. 

Sa mort déclenche un vaste soulèvement populaire en Kabylie, connu sous le nom de "Printemps noir", marqué par des émeutes, des marches et des affrontements. Le bilan est lourd : plus de 120 morts et des centaines de blessés. 

C’est dans ce contexte que Ferhat Mehenni, chanteur engagé et militant de longue date pour la cause berbère, fonde en 2001 le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK). "En 2010, le mouvement se radicalise", explique Slimane Zeghidour, il devient le MAK-Anavad, prônant non plus seulement l’autonomie mais l’autodétermination et la création d’un État kabyle indépendant.

Le MAK va se radicaliser un peu plus en créant son propre drapeau, distinct de celui arboré jusqu'à présent par l'ensemble des Berbères. 

Re(voir) aussi : Algérie : la Kabylie, histoire d'une région pas comme les autres

Le gouvernement provisoire kabyle

En 2010, Ferhat Mehenni, président du MAK, crée un « gouvernement provisoire kabyle » en exil, installé à Paris, "pour ne plus subir l’injustice, le mépris, la domination" du gouvernement d’Alger, selon les propos des responsables de l'organisation à l'époque. 

Il milite contre ce qu'il estime être "un pouvoir colonial algérien" pour une indépendance par les voies pacifiques.

Slimane Zeghidour, éditorialiste à TV5MONDE

Le MAK développe ses structures à l’étranger et en Kabylie, organisant des marches, des campagnes d’information et déposant en 2017 un mémorandum à l’ONU. 

L’État algérien face au MAK

L’État algérien considère le MAK comme une menace à l’unité nationale. En mai 2021, le Haut Conseil de Sécurité algérien classe officiellement le MAK comme une organisation terroriste. Ferhat Mehenni, fondateur du mouvement, est accusé "d’atteinte à l’intégrité territoriale", "d’intelligence avec des puissances étrangères", et d’avoir organisé des actions de sabotage.

Le pouvoir accuse aussi le MAK d’être impliqué dans les incendies meurtriers qui ont ravagé la Kabylie en 2021, des accusations que le mouvement dément fermement. Des dizaines d’arrestations ciblent des militants ou des sympathisants du MAK à Tizi-Ouzou et Béjaïa, les principales villes de Kabylie, selon l'hebdomadaire Le Point.

Incendie algérie

Des images diffusées par la protection civile algérienne montrent des incendies de forêt dans la province de Bejaïa, dans le nord-est de l'Algérie.

AFP

Les débats autour de l’autodétermination

"Une minorité de la jeunesse kabyle, en particulier dans la diaspora, soutient les revendications du MAK", explique Slimane Zeghidour. Elle est attirée par l’idée d’un État démocratique, laïque, tourné vers l'Occident. D’autres Kabyles rejettent l’idée d’indépendance, mais réclament une large autonomie régionale. Enfin, certains parmi eux, dénoncent le MAK comme un mouvement minoritaire, déconnecté des réalités socio-économiques de la Kabylie et instrumentalisé politiquement.

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Une volonté de rupture

Au-delà de la politique, le MAK représente aussi un symbole de résistance culturelle. La reconnaissance de la langue amazighe comme langue nationale (2002) puis officielle (2016) est un pas en avant, mais insuffisant pour ceux qui revendiquent une souveraineté complète.

Le mouvement se consolide donc sur des fondements "ouvertement anti-arabe, anti-islamiste et pro-israéliens, y compris lors de la guerre de Gaza", souligne Slimane Zeghidour. "Le mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie incarne une volonté de rupture" dans une Algérie marquée par l’autoritarisme et les crises identitaires. 

Si le MAK reste ultra minoritaire sur le plan politique, les partis kabyles légaux, le Front des forces socialistes (FFS) et le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) rejoignent le pouvoir quant à son caractère sectaire sans toutefois approuver sa désignation en tant que mouvement "terroriste".

Slimane Zeghidour

Aucune reconnaissance internationale 

Bien que le MAK et le Gouvernement provisoire kabyle (GPK) mènent des actions sur la scène internationale, ils ne bénéficient d’aucune reconnaissance diplomatique officielle. Aucun État ni aucune organisation internationale (comme l’ONU, l'Union européenne ou encore l’Union africaine) ne reconnaît leur légitimité sur le plan institutionnel.

Droit de réponse du dirigeant du MAK:

"Responsables et militants du Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie, nous sommes tenus de réagir à l’article. À titre liminaire, il nous importe pour la mémoire de Massinissa Ghermah et de son martyr, de rappeler que ce dernier n’a pas été "interpellé après une banale altercation entre jeunes et gendarmes", mais kidnappé sous le porche de son domicile, par des gendarmes qui videront ensuite une charge de kalachnikov sur lui dans l’enceinte même de la brigade de gendarmerie locale.

Nous regrettons et nous inscrivons en faux contre le propos selon lequel notre mouvement se consoliderait sur des fondements "ouvertement anti-arabes, anti-islamistes et pro-israéliens, y compris lors de la guerre de Gaza". S’il assume pleinement son combat perpétuel contre l’islamisme et toute forme de fanatisme, le MAK n’a jamais nourri le moindre sentiment "anti-arabe". 

Pas plus qu'il n'a jamais pris part au conflit israélo-palestinien, si ce n'est pour souhaiter la fin des hostilités et l’émergence une solution pacifique. Aussi le propos incriminé ne peut être admis, s’inscrivant dans le registre de la diabolisation sionisante, par un régime algérien faisant commerce du drame palestinien. 

Fondé sur les valeurs de l’humanisme et inlassablement attaché à la démocratie parlementaire, socle de la culture kabyle, le MAK invite tous ceux qui souhaitent se forger une opinion juste, à se référer à ses textes fondateurs, disponibles en ligne".