Algérie : quels sont les enjeux de la visite du président Abdelmadjid Tebboune en Chine ?

Accompagné d’une dizaine de ministres et de chefs d’entreprises, le président algérien Abdelmadjid Tebboune achève ce vendredi une visite de cinq jours en Chine. Candidature aux BRICS, partenariats économiques ... Quels ont été les enjeux de ce déplacement ? Entretien avec Kader Abderrahim, maître de conférences à Sciences Po Paris et auteur de Géopolitique de l’Algérie, paru aux éditions Bibliomonde.

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Visite de Tebboune en Chine

Le président chinois Xi Jinping, à droite, et son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune, après avoir assisté à une cérémonie de signature au Grand Palais du Peuple à Pékin, en Chine, le mardi 18 juillet 2023.

© AP Photo/Ng Han Guan, Pool
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TV5MONDE : Le voyage en Chine du président Abdelmadjid Tebboune est le premier d’un chef d’Etat algérien depuis quinze ans. Pourquoi n’y a-t-il pas eu de visite depuis tout ce temps, et que peut attendre le président Tebboune de Pékin ?

Kader Abderrahim : Il n’y a pas eu de visite car à partir de 2013, l’accident vasculaire cérébral de l’ex-président Abdelaziz Bouteflika a fait qu’il n’était plus en état d’assumer les charges de sa fonction, et encore moins d’effectuer de longs voyages comme celui vers la Chine.

C’était aussi une autre époque. En 2008, le prix du baril de pétrole flambait, il avait atteint des sommets, autour de 140 dollars. Pendant ces années, l’Algérie avait beaucoup d’argent dans ses caisses. La Chine était devenue son premier partenaire commercial.

Cérémonie de signature de contrat Chine Algerie

Le président chinois Xi Jinping, en haut à droite, applaudit aux côtés du président algérien Abdelmadjid Tebboune, alors qu'ils assistent à une cérémonie de signature au Grand Palais du Peuple à Pékin, en Chine, le mardi 18 juillet 2023.

© AP Photo/Ng Han Guan, Pool

Aujourd’hui, le voyage du président Tebboune s’inscrit dans un contexte différent. Il y a la guerre en Ukraine qui a provoqué une déstabilisation et un ralentissement de l’économie mondiale. Mais surtout, l’enjeu du gaz est devenu essentiel pour les Européens et l’Algérie est très sollicitée pour ses réserves.

Par ailleurs, après la fin de règne chaotique de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika [au pouvoir pendant vingt ans, de 1999 à 2019, NDLR], l’Algérie s’est retrouvée isolée sur le plan diplomatique. Ce voyage contribue sans doute à lui redonner une place de choix sur la scène internationale.

TV5MONDE : L’Algérie souhaite intégrer les BRICS et le président Abdelmadjid Tebboune sollicite l’appui de Pékin, malgré les réticences de l’Inde. Est-ce que cette démarche a des chances d’aboutir ?

Kader Abderrahim : L’Inde n’a pas exprimé formellement de refus lors du sommet tripartite entre les présidents indien, russe et chinois. Elle s’est abstenue d’une certaine manière, alors que l’Algérie était soutenue par la Russie.

Est-ce que l’Algérie satisfait aux critères d’adhésion aux BRICS ? Oui et non ! Oui, parce que c’est quand même un pays qui compte aujourd’hui comme hier sur le plan africain. On connaît l’enjeu que représente l’Afrique dans les relations internationales à venir. On le voit déjà avec les présences russe et chinoise qui sont de plus en plus importantes sur le continent.

Il n’y a pas de tissu industriel à proprement parler en Algérie, d’autant que l’économie reste toujours très largement contrôlée par l’Etat.

Kader Abderrahim, maître de conférences à Sciences Po Paris

Mais l’Algérie reste malgré tout un pays avec une démographie limitée, 40 millions d’habitants seulement. Je rappelle que les BRICS représentent aujourd’hui 40% de la population mondiale et 21% de l’économie globale. L’économie algérienne reste elle très dépendante des hydrocarbures.  

Il est donc très important pour l’Algérie d’adhérer à une organisation telle que les BRICS, surtout dans le contexte actuel de redéfinition des relations internationales et de l’économie mondiale, en raison de la guerre russo-ukrainienne.

TV5MONDE : Est-ce que cette visite en Chine peut permettre à l’Algérie de diversifier son économie ?

Kader Abderrahim : On peut toujours l’imaginer. Le problème c’est que nous ne sommes pas dans cette configuration. Ça fait très longtemps qu’il y a en Algérie ce débat sur la diversification de l’économie, afin de sortir de la dépendance aux hydrocarbures (pétrole, gaz).

Au moment où les Occidentaux s’orientent progressivement vers des économies décarbonées, et donc où leurs demandes en gaz et en pétrole iront en diminuant, l’Algérie n’a pas véritablement entrepris cette prise de conscience. Elle existe sur le papier, mais pas dans les faits.

Par ailleurs, il n’y a pas de tissu industriel à proprement parler en Algérie, d’autant que l’économie reste toujours très largement contrôlée par l’Etat. Je ne vois pas comment des entrepreneurs algériens seraient capables de mettre en œuvre des solutions alternatives au pétrole et au gaz.

TV5MONDE : Abdelmadjid Tebboune sera candidat à sa propre succession lors de la prochaine présidentielle de décembre 2024. Est-ce que cette visite à Pékin constitue pour lui un enjeu important en vue de ce futur scrutin ?

Kader Abderrahim : Cette visite n’a qu’une importance marginale pour l’éventuelle réélection du président Tebboune. Je rappelle que la Chine pèse d’abord en tant que partenaire commercial vis-à-vis de l’Algérie. Et comme tous les partenaires de l’Algérie, ce qui compte d’abord c’est la stabilité. Ce qui permet de mener à bien les projets économiques en cours.

Armée algérienne

Le chef de l'armée algérienne, le général Saïd Chanegriha, au centre, et le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, passent en revue une haie d'honneur dans le cadre de la visite officielle de Chengriha au ministère de la Défense à Paris, le mardi 24 janvier 2023.

© Christophe Archambault, Piscine via AP

Je ne crois pas que la Chine ait envie de s’impliquer dans les affaires intérieures algériennes. Ce qui n’est en revanche pas le cas lorsqu’il s’agit de la Russie. Juste un exemple : depuis près d’un demi-siècle, 90% du matériel militaire utilisé par l’armée algérienne provient de la Russie. Ce sont des contrats importants sur le plan financier et économique.

Après la Russie et le Qatar, cette visite de Tebboune est l’occasion pour lui d’être « adoubé » par ses pairs sur la scène internationale. Quant à l’élection présidentielle, elle se jouera dans un tout petit cénacle de militaires ou de dirigeants politiques très influents. Mais ça ne se passera pas par Pékin, ni même par Moscou.