Algérie : un autre son de cloche

Les nostalgiques de l'Algérie française ont du mal à digérer le discours que François Hollande a prononcé auprès du parlement algérien lors de sa visite d'Etat qui s'est achevée hier, jeudi 20 décembre 2012. L'historien Jean Monneret fait partie de ceux là. Lui-même "pied-noir", il n'est jamais revenu "chez lui", en Algérie, depuis son départ en 1962.     
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Algérie : un autre son de cloche
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Algérie : un autre son de cloche
Jean Monneret (DR)
Qu'avez vous pensé du déplacement de François Hollande en Algérie? Il a fait un discours dont tout le monde parle. Bien entendu, il n y a pas eu de repentance et on peut considérer que c'est une bonne chose. Mais il y a quand même eu une mise en accusation globale de toute la période française en Algérie. Ce que personnellement, en tant qu'historien, je ne peux pas accepter, car, dans un phénomène d'une aussi longue durée - 132 ans - il y a forcément des aspects positifs et des aspects négatifs. En rejetant toute la période française dans le ténèbres extérieures, je pense que le président de la république a fait plaisir au gouvernement algérien, mais à mon avis, n'a pas servi la vérité, qui est beaucoup plus complexe. Qu'est ce qu'il aurait du faire? Je pense que si l'on veut purger véritablement les relations algériennes de toutes les scories qui l’embarrassent depuis 50 ans, il y a un moyen qui serait efficace, celui de réunir des historiens de toutes les tendances et non pas de parler toujours de devoir de mémoire - ce qui pour un historien n'a aucun sens - mais de parler d'un devoir d'inventaire. Que des historiens professionnels, sérieux, compétents, fassent le bilan de cette période. Parce que ce n'est pas, ni aux hommes politiques de dire l'histoire, ni d'ailleurs aux journalistes. Il faut donner la parole aux historiens. C'est ce que monsieur de Villepin avait dit. Mais depuis j'ai vu beaucoup de rhétoriques, beaucoup de propagande. Mais vous ne prenez pas non plus toute cette période comme une période "positive"? Je dis moi, qu'il faut réunir des historiens et discuter de tout ça. Il y a trop d'exagération, il y a trop de propagande. Le même président qui a accueilli Hollande à Alger est celui qui a dit il y a quelques années que la France s'était conduite comme le IIIème Reich en Algérie, qu'il y avait eu des fours crématoires.. Des choses dont même un journal comme Le Monde a trouvé qu'il avait dérapé alors bon... C'est pour ça que je dis qu'il faut réunir des gens qui ont la tête froide, qui ne sont pas des hommes politiques, qui n'ont pas de contrats a signer, et qui n'ont que des échanges humains et intellectuels à opérer.
Algérie : un autre son de cloche
Des réfugiés débarquent à Toulon le 19 juillet 1962 (photo archive/AFP)
Il y a quand même une forte dose d'affectif dans cette histoire, vous qui l'avez vécue, comment faites-vous la part des choses entre votre expérience et votre travail d'historien?  Je ne mêle absolument pas mon vécu à mon travail, je ne suis pas un historien pied noir, je suis un historien tout court. Ceci dit, c'est un avantage pour quelqu'un d'avoir vécu dans le pays, et d'avoir vécu les évènements. Mais je tiens à dire que je ne mélange pas les deux choses. D'ailleurs, tous les récits, les témoignages que nous avons sont concordants de gens qui se sont rendus en Algérie d'anciens habitants de l'Algérie européens comme moi, qui se sont rendus en Algérie, (ce qui n'est pas mon cas) et tout le monde est d'accord pour dire que le peuple algérien accueille très bien ces personnes. Il n y a pas de problème avec le peuple algérien. C'est le gouvernement algérien qui depuis des années a fait un préalable de tout ça. Rappelez vous a propos des évènements du 8 mai 1945, alors ça je ne dis pas qu'il ne s'est rien passé à ce moment là, mais on avançait des chiffres absolument extravagants de 45 000 musulmans tués.. Il faudrait vraiment que les historiens aient la parole une bonne fois pour toutes, mais sérieusement et dans les médias français, on a souvent l'impression qu'on entend qu'un seul son de cloche. Justement, que pensez vous de la reconnaissance du massacre de Sétif? Moi je suis pour que tous les problèmes soient mis sur le tapis. Et qu'on en discute, mais alors qu'on en discute sérieusement, pas en lançant des accusations du style four crématoire etc. Enfin passons. Ceci dit, vous vous trompez en parlant de Sétif, c'est pas à Sétif qu'il y a eu des exactions, ça serait plutôt à Guelma. Il faut savoir que Guelma est a 200 km de Setif mais enfin disons les troubles du Constantinois. Tous ces problèmes il faut en parler. Il y a ça, il y a les massacres que le FLN a commis a Melouza, il y a les enlèvements d'européens en 1962, moi je suis pour qu'on mette tous ces problèmes sur le tapis. Dans mon esprit, il n y a pas de tabous.

Le discours de François Hollande au parlement algérien