Algérie : un journaliste de nouveau condamné à de la prison ferme

La liste des journalistes condamnés s’allonge en Algérie. Rédacteur en chef du site d'information arabophone Essafir broadcast, Abdelhakim Setouane, a été condamné lundi 29 mars à six mois de prison ferme. Le journaliste est notamment poursuivi pour "diffamation" et "chantage journalistique". La raison ?  La publication, le 15 octobre dernier, d'un article dans lequel il révèle une relation extra-conjugale du président de la chambre basse du parlement algérien. Dans la lignée de nombreuses condamnations, ce procès interroge une fois de plus sur l’avenir de la presse en Algérie. Eclairage de Rania Chebbi, responsable de la rédaction du bureau Afrique du Nord de Reporters sans frontières (RSF). 
 
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Photo manifestations Hirak 22 février
Une femme tenant un journal avec en Une "22 février, l'histoire à venir" alors que les Algériens manifestaient à Alger le lundi 22 février 2021, pour marquer le deuxième anniversaire du mouvement Hirak. 
 
©AP Photo/Toufik Doudou
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Les faits remontent au 15 octobre 2020. Sur le site d'information arabophone Essafir broadcast, dont il est rédacteur en chef, Abdelhakim Setouane, publie un article dans lequel il révèle une relation extraconjugale du président de la chambre basse du Parlement algérien, Slimane Chenine. 
 
Cinq jours plus tard, il est placé en détention provisoire, poursuivi pour "diffamation", "atteinte à la vie privée", "chantage journalistique" et "publication d’informations malveillantes"
 

L'étau se resserre de plus en plus sur les médias et les journalistes algériens"

Rania Chebbi, responsable de la rédaction au bureau Afrique du Nord de RSF

"Un réquisitoire disproportionné"

Le 15 mars 2020, après 5 mois passé à la prison d’El-Harrach à Alger, le tribunal algérois de Sidi M'hamed requiert 18 mois de prison ferme contre le journaliste. Un "réquisitoire disproportionné" pour l’ONG Reporters sans frontières (RSF). 
 
Mais une autre particularité du procès interroge RSF et les avocats d’Abdelhakim Setouane. Le procès est intenté, non pas par le principal intéressé, Slimane Chenine - qui n’a pas porté plainte - mais par le ministère de la Communication. Il se porte également partie civile, fait inhabituel comme le souligne un communiqué d'RSF.

Tous les médias sont désormais dans le collimateur du gouvernement

Rania Chebbi, responsable de la rédaction au bureau Afrique du Nord de RSF

"C’est une première en Algérie. Le ministère de la Communication n’a pourtant aucune qualité à se constituer partie civile dans le procès d’autant que ce n’est même pas un tiers", constate Rania Chebbi, responsable de la rédaction au bureau Afrique du Nord de RSF. "Cela montre que l'étau est en train de se resserrer de plus en plus sur les médias et les journalistes algériens".

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"6 mois de trop" 

Ce lundi 15 mars, le tribunal d’Alger requiert finalement 6 mois de prison ferme contre Abdelhakim Setouane. S’il doit quitter la prison le 20 avril prochain, le mal est fait. "Ce sont six mois de trop, ce n’est pas acceptable", martèle Rania Chebbi qui dénonce "une peine ubuesque" aux vues des faits reprochés. 

Faire condamner un journaliste de cette rédaction montre que la politique des autorités envers les médias et les journalistes est en train de se durcir

Rania Chebbi, responsable de la rédaction au bureau Afrique du Nord de RSF

En contact avec les avocats d’Abdelhakim Setouane, Rania Chebbi nous informe que ces derniers ont prévu de faire appel. 

Une nouvelle étape dans la censure des médias algériens ?


Le nom d’Abdelhakim Setouane vient s’ajouter à la liste de plusieurs journalistes condamnés ces derniers mois et cela inquiète Rania Chebbi. "Essafir broadcast est un média d’information général. Faire condamner un journaliste de cette rédaction montre que la politique des autorités envers les médias et les journalistes est en train de se durcir. Ils ne visent plus les médias traditionnellement ciblés comme Casbah Tribune ou Radio M ou encore des journalistes comme Khaled Drareni et Mustapha Bendjama. Désormais, tout le monde est visé. Tous les médias sont désormais dans le collimateur du gouvernement".
 
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Avant Abdelhakim Setouane en effet, plusieurs journalistes ont été condamnés par la justice algérienne, notamment pour avoir couvert les manifestations du Hirak. Parmi eux, le directeur du site d'information Casbah Tribune et correspondant de TV5MONDE et RSF en Algérie, Khaled Drareni. Si la Cour suprême algérienne a accepté, le 25 mars dernier, son pourvoi en cassation présenté par ses avocats, il doit être rejugé. La date de son nouveau procès est pour l’heure inconnue.
 
Khaled Drareni // V. de Victoire

Khaled Drareni est directeur du site d'information Casbah Tribune et correspondant pour. TV5MONDE et RSF en Algérie. 

 Il avait été condamné en appel le 15 septembre 2020 à 2 ans de prison ferme pour "incitation à attroupement non armé" et "atteinte à l'unité nationale". Le 10 août 2020, il avait été condamné à 3 ans de prison ferme. Khaled Drareni aura passé près de onze mois derrière les barreaux, entre le 29 mars 2020 et le 19 février 2021. Khaled Drareni doit être rejugé après que la Cour suprême a accepté le 25 mars le pourvoi en cassation présenté par ses avocats. 

©AP Photo/Str, File

Avec Khaled Drareni, Mustapha Bendjama est le dernier journaliste en l’attente de jugements, comme nous l’informe Rania Chebbi. Il est, lui, poursuivi dans plusieurs affaires : "outrage à corps constitué", suite à une plainte de la direction général de la sureté nationale (DGSN). Il a pour cela été relaxé en première instance le 22 février 2021 mais le procureur a fait appel. Mustapha Bendjama est également poursuivi pour "diffamation et calomnie". Là encore, la date de ces deux procès n’a pas été communiquée.  

Comme Khaled Drareni et Mustapha Bendjama, Abdelhakim Setouane s'inscrit dans le combat pour la liberté de la presse, il est d'ailleurs "le dernier en prison", précise Rania Chebbi. 

L'Algérie figure aujourd'hui à la 146ème place sur 180 du classement mondial de la liberté de la presse 2020 établi par RSF. Une chute de 27 places par rapport à 2015.