Algérie : une économie à bout de souffle

Chômage de masse, montée des prix des denrées alimentaires, appauvrissement de l’État, l’économie algérienne qui avait fondé sa croissance sur la rente pétrolière connaît une grave crise de son modèle. État des lieux.

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Le pays importe une grande partie de ses besoins en biens d'équipement et en denrées alimentaires.
AP/Anis Belghoul
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 La fragilité de l'économie algérienne tient d'abord à sa  dépendance exclusive aux hydrocarbures. Le gaz et le pétrole représentent 96% des exportations du pays, près de la moitié de son PIB et 60% des recettes budgétaires de l’ État, selon la Banque mondiale. Ces ressources sont on ne peut plus vitales pour le régime algérien.

Une économie dépendante des hydrocarbures

L’ère Bouteflika a coïncidé  avec une augmentation continue des prix du pétrole qui a soutenu l’économie. La redistribution des ressources tirées de cette rente pétrolière a permis à l’État algérien de limiter l’ampleur des contestations du printemps arabe de 2010-2011 en achetant la paix sociale à coût de subventions.Mais la période du baril de pétrole à 120 dollars est révolue depuis le début du contre-choc pétrolier en 2014.  De nos jours, le cours du brut peine à se maintenir au-dessus des 60 dollars. Les recettes pétrolières annuelles ont été ainsi divisées par deux, passant de 60 à 30  milliards de dollars ces cinq dernières années.
 
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Le secteur des hydrocarbures tire l'économie algérienne.
AP/Anis Belghoul


« L’ État algérien était encore un Etat riche en 2014 avec près de 200 milliards de dollars dans ses caisses, mis de coté, ce que l’on appelle les réserves de change.  Mais ce pactole a fondu à moins de 60 milliards de dollars aujourd’hui et il est fort probable que d’ici trois à quatre ans, les caisses soient vidées », explique l’économiste Camille Sari.  La croissance économique du pays a été divisée en deux en moins de 5 ans. C’est dramatique parce que le pays aujourd’hui ne produit pratiquement plus rien en dehors des hydrocarbures  et des services liés à ce secteur».
 
Les prix du baril pourraient remonter mais l’Algérie ne serait pas pour autant au bout de ses peines. En effet, la part réservée aux exportations des hydrocarbures recule car la consommation nationale de gaz et de pétrole flambe. « Le régime algérien, qui dépend de la rente pétrolière a choisi la fuite en avant. Il faut trouver de nouveaux gisements coûte que coûte. La loi récente sur les hydrocarbures autorise désormais les entreprises étrangères à prospecter », indique le professeur d’économie à l'université Paris Dauphine, El Mouhoub Mouhoud.
Cette fuite en avant se traduit également par la volonté  d’exploiter du gaz de schiste dans le sud du pays en dépit de l'opposition des populations locales.

Un secteur productif à l'agonie

La  situation économique du pays est donc d’autant plus difficile qu’aucun autre secteur économique n’est capable pour l’instant de prendre le relais de la rente pétrolière. Pire, la production industrielle du pays a été divisée par deux depuis 1989 et la production agricole, également ne permet pas l’autosuffisance alimentaire pour l’instant.

« Au lendemain de l’indépendance de 1962, le tout nouveau pouvoir algérien s’est lancé dans l’industrialisation du pays. Le modèle économique était inspiré du bloc soviétique. De grandes entreprises d’État ont aussi vu le jour dans l’industrie lourde. Les terres agricoles ont été collectivisées.  Avec l’ouverture du marché algérien et la libéralisation de l’économie dans les années 80, ces usines d’État n’ont pas su répondre aux besoins du marché et des consommateurs.  Et aucune grande entreprise privée, notamment dans l’industrie, n’arrive à émerger », décrit l’économiste Camille Sari.

Le pays fait appel à l’importation massive des biens d’équipement et des produits alimentaires depuis des décennies.
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La production industielle a chuté de moitié depuis 1989.
AP/Anis Belghoul

Et cette politique d'importation  est favorisée par les caciques du régime, ruinant de fait tout effort pour faire émerger une production locale. «Des généraux contrôlent, via des hommes de pailles,  les filières d’importations. Vous avez un général sucre et huile, qui gère l’importation du sucre et de l’huile. Vous avez un autre  général qui contrôle l’importation des voitures. Ces filières d’importations sont très lucratives et constituent une rente et donc les cadres du régime ne veulent  pas voir émerger un secteur privé qui pourrait concurrencer certain de ces produits importés », souligne l’économiste Camille Sari. El Mouhoub Mouhoud, professeur d’économie également dénonce un "capitalisme de copinage". « Ce capitalisme, où copains et coquins se réservent les marchés publics,  empêche l’émergence d’autres acteurs privés indépendants qui ne sont pas acoquinés avec le régime. Ces acteurs privés indépendants sont souvent des gens issus de la diaspora. Ils travaillent notamment dans le numérique mais très rapidement leurs entreprises atteignent un plafond de verre car les lois sont faites pour protéger de toute concurrence économique les proches du clan au pouvoir ».

Chômage de masse, retour de l'inflation

Cette économie au lieu d’être inclusive reste donc « exclusive » selon l’économiste El Mouhoub Mouhoud. Il faut graviter autour des proches du régime pour s’en sortir. Et Les conséquences sociales sont désastreuses. « Le taux d’activité en Algérie est catastrophique. Aujourd’hui seulement 4O% de la population en âge de travailler occupe un emploi.  Le taux d’activité des femmes reste très bas. Un peu plus de la moitié des jeunes, à la sortie des études supérieures, ne trouvent pas d'emploi.  Le taux  de chômage officiel de 12%,  avancé par le gouvernement, ne correspond à rien », précise l’économiste.
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L'inflation fait son retour notamment sur les produits alimentaires
AP/
Pour tenter de conjuger la crise économique et la crise sociale et en pleine période de contestation politique, le gouvernement a augmenté les dépenses publiques. La facture est lourde, plus de 70 milliards de dollars, selon les données de la Banque mondiale. Et pour tenter d'équilibrer son budget, l'État a fait tourner la planche à billets. L'équivalent de 50 milliards de dollars ont été imprimés.

L'inflation fait son retour. L'augmentation des prix continue sa progression : de 4,3 % en 2018, elle passerait à 5,6 % en 2019.  Les prix des produits de première nécessité ont bondi, fragilisant la situation des plus pauvres. Le prix de la viande blanche a grimpé ainsi de plus de 25% en 2018.

Un capital  humain

Le pays possède pourtant de nombreux atouts. Une partie de la rente pétrolière n’a pas été totalement captée par le pouvoir et ses amis. L’Etat, sous l’ère Bouteflika, a aussi investi notamment dans les infrastructures hospitalières ou dans l’accès à l’enseignement supérieur. « Plus de 42% d’une classe d’âge a suivi des études supérieures. Ce chiffre est comparable à celui de la France. Et ce taux est en progression, puisqu’en 2011, seulement 30% des jeunes Algériens suivaient des études supérieures, même si la qualité de l'enseignement supérieure a décliné », remarque El Mouhoub Mouhoud.
 
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Plus de 40% d'une classe d'âge a suivi des études supérieures.
AP


Le capital humain est donc présent et c’est cette jeunesse diplômée qui aujourd’hui manifeste contre le régime. C'est elle qui semble capable aujourd’hui de diversifier l'économie algérienne selon l’économiste. El Mouhoub Mouhoud ne croit pas en la malédiction du pétrole qui ferait que l’argent facilement gagné grâce à l'exploitation des matières premières freinerait tout développement économique.

«L’Algérie n’est pas encore dans la situation du Venezuela. Le pays peut encore tenir deux, trois ans financièrement. Il reste encore assez des marges de manœuvre budgétaire. Mais cette transition économique doit passer par une transition politique. Cela passe par la fin du capitalisme de copinage, propre à ce régime pour permettre l’émergence d’un État de droit où une classe entrepreneuriale pourra enfin voir le jour dans des domaines divers comme le tourisme, l’agroalimentaire ou l’économie du numérique mais pour cela il faut mettre fin à ce régime ». Pour l'instant le régime contrôle le jeu électoral. Quatre des cinq candidats ont déjà occupé des fonctions gouvernementales sous l'ère Bouteflika.