52 ans après l’Indépendance, les Guinéens doivent choisir leur Président
Il aura fallu un an de transition ubuesque, un massacre de civils, suivi d’une tentative d’assassinat contre le despote du moment et enfin de sérieuses pressions de la communauté africaine et internationale pour arriver à cette situation rare en Afrique : une élection présidentielle ouverte. Il reste à voir si, comme l’espèrent les Guinéens, elle sera aussi libre et honnête. Le dirigeant par intérim, le général Sekouba Konaté, ministre de la Défense sous le régime Dadis Camara, aura tenu sa promesse de ne pas se présenter et de ne soutenir aucun candidat. Le 27 juin, les électeurs auront donc à choisir entre 24 candidats, tous civils, tous promettant de mettre fin au cycle des dictatures civile ou militaires. Malgré l’abondance de l’offre électorale, quelques favoris se détachent déjà du peloton. Ce sont des noms bien connus dans la vie politique guinéenne.
Parmi les candidats, pas de renouveau radical
Des supporteurs collent des affiches du candidat à la présidentielle Kassory, le 24 juin 2010 à Conakry (Guinée)
D’abord le doyen, Alpha Condé, 73 ans, un opposant historique. Déjà condamné à mort par contumace en 1970 par le régime de Sékou Touré, c’est la troisième fois qu’il se présente à une présidentielle. Il n’a jamais joué la collaboration avec le régime, mais son age pourrait être un obstacle. Face à lui, des concurrents plus jeunes et au parcours souvent prestigieux. Ils sont passés par plusieurs postes officiels pendant le long règne de Lansana Conté. C’est le club des « anciens Premiers ministres ». En 24 ans de pouvoir, le Général-Président en a usé beaucoup : ils étaient présentés d'abord comme "rénovateur", la rupture qui suivait plus ou moins vite vaut aujourd’hui brevet d’opposant. Ainsi Sydia Touré , 65 ans, chef du gouvernement de 1996 à 1999, ou Cellou Dalein Diallo, 58 ans, Premier ministre de décembre 2004 à avril 2006. D’autres préfèrent arguer aujourd’hui de leur expérience internationale. François Lonsény Fall, 61 ans, fut représentant spécial de l’ONU en Somalie, puis en République Centrafricaine. Lansana Kouyaté, 60 ans a été sous-secrétaire général de l’ONU. Ils ont, eux aussi, occupé en leur temps la Primature. La liste des candidats inclut encore un homme d’affaire que Lansana Conté avait en personne fait sortir de prison, ou un ancien président de l’Assemblée Nationale…. Quel que soit le résultat des urnes, il ne devrait donc pas consacrer un renouveau radical de l’élite politique.
L'espoir d'un nouveau départ
Comment faire un choix alors, quand les programmes de chacun se ressemblent ? Comme souvent en Afrique, les appartenances ethniques vont jouer. Les observateurs décortiquent maintenant les « fiefs électoraux » de chacun. Le Peul Diallo peut-il obtenir plus de voix que le Malinké Condé ? Sydia Touré, d’origine diakhanké, peut-il rassembler autour de lui ? Les allégeances géographiques et culturelles, les inévitables retards et ratés dans la préparation et le manque de culture démocratique de la population sont autant de facteurs de tensions. Une force spéciale de 16000 policiers et gendarmes a été mobilisée pour assurer la sécurisation du processus. Mais les Guinéens sont également enthousiastes : ces élections incarnent l’espoir d’un nouveau départ. Accablés par la marasme économique –le pays a reculé au 170ème rang de l’Indice du Développement Humain - ils rêvent de profiter enfin de leurs richesses agricoles ou minières, de se placer enfin sur la voie du développement… L’attente est immense. Le prochain Président aura la responsabilité historique de ne pas la trahir. ParJean-Luc Eyguesier25 juin 2010
Guinée: dates-clés depuis l'indépendance
- 2 octobre 1958: Ahmed Sékou Touré proclame l'indépendance. Fin septembre, la Guinée a voté non au référendum instituant une "communauté" franco-africaine, proposée par le général de Gaulle. - 27 janvier 1961: Sékou Touré élu à la présidence. - 2 octobre 1967: Le socialisme est proclamé. - 22 novembre 1970: Tentative de déstabilisation, débarquement d'opposants et de "mercenaires portugais". Au cours de son règne sans partage, Sékou Touré dénonce une quinzaine de complots et attentats, créant une "psychose du complot permanent". - 3 avril 1984: Une semaine après la mort de Sékou Touré, un Comité militaire prend le pouvoir. Lansana Conté devient chef de l'Etat. - 19 décembre 1993: Conté est officiellement élu lors du premier scrutin présidentiel pluraliste, marqué par des manifestations hostiles à son déroulement. - 2-3 février 1996: Une manifestation de soldats pour des revendications salariales se transforme en mutinerie, présentée comme une tentative de coup d'Etat: 300 morts (non officiel). - 1er septembre 2000: Début d'incursions armées aux frontières avec la Sierra Leone et le Liberia: plus de 1.000 morts, déplacements massifs de populations. - 21 décembre 2003: Conté réélu avec 95% des voix face à un unique adversaire, lors d'un scrutin boycotté par l'opposition. - 10 janvier 2007: Début de deux grèves générales. La répression des manifestations fait plus de 180 morts et 1.200 blessés (ONG). - 23 décembre 2008: Une junte prend le pouvoir par un coup d'Etat sans violence, au lendemain du décès de Lansana Conté. Le capitaine Moussa Dadis Camara est nommé président du "Conseil national pour la démocratie et le développement" (CNDD, junte). - 28 septembre 2009: Les forces de sécurité répriment dans le sang un rassemblement d'opposants: "156 personnes" tuées ou portées disparues (enquête ONU). - 3 décembre: Dadis Camara est blessé par balle à la tête, à Conakry, par son aide de camp. Il est opéré au Maroc avant d'arriver "en convalescence" au Burkina Faso. - 21 janvier 2010: Le président intérimaire, le général Sékouba Konaté, nomme l'opposant Jean-Marie Doré Premier ministre de la transition. (AFP)