“Le Cabinda est une éponge à pétrole“
Michel Cahen Chercheur CNRS, Centre d’étude d’Afrique noire, Institut d’études politiques de Bordeaux
Quelles sont les origines du mouvement indépendantiste au Cabinda ? Sur le plan historique, Cabinda est un reste du vieux “Congo portugais”. Dès le XVIème siècle, les Portugais avaient pratiquement fait du roi du Congo un vassal de la couronne portugaise, ce qui ne fit que s’aggraver par la suite. Pendant la période fasciste au Portugal (1930-1974), un administrateur portugais alla jusqu’à giffler en public le roi du Congo, pour bien montrer qu’il était un indigène comme les autres. De surcroît, les rivalités interimpérialistes consécutives au traité de Berlin (1884-85) ont dépecé l’aire d’expansion de l’ancienne nation Kongo. Aujourd’hui, on a des Bakongo sur cinq territoires: le sud du Gabon, l’ouest des deux Congos, l’enclave de Cabinda et deux provinces du nord de l’Angola. L’ancienne capitale du royaume (M'banza-Kongo) est en Angola, sans continuité territoriale avec l’actuel Cabinda. Cela dit, l’histoire a aussi créé une spécificité cabindaise proprement dite : l’éclatement du royaume du Congo a eu des effets en termes identitaires. Mais le fait est que l’occupation effective du territoire cabindais par les Portugais a été un processus distinct de celui de l’Angola. Cabinda n’a été rattaché à l’Angola qu’en 1956, évidemment sans consultation des populations, pas même des chefs traditionnels. Cabinda a cependant été un lieu important de la lutte armée anticoloniale, menée dans cette région principalement par le MPLA (Mouvement populaire de libération de l’Angola), au pouvoir à Luanda depuis 1975. Mais la majorité des guérilleros n’étaient pas originaires de Cabinda..., les Cabindais ressentant de la méfiance envers ce parti “angolais”. En 1974-1975, le Portugal et toute la communauté internationale ont été d’accord pour exclure les mouvements cabindais des négociations menant à l’indépendance, n’y acceptant que les trois partis “angolais”, le MPLA, le FNLA (Front national de libération de l’Angola, qui avait un fort soutien parmi les Bakongo du Nord de l’Angola) et l’Unita (Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola qui a mené une guérilla jusqu’en février 2002). De ce fait, les diverses fractions du FLEC (Front de libération de l’enclave de Cabinda) n’ont pas reconnu l’incorporation de leur territoire à l’Angola et une guérilla endémique sévit, malgré l’énorme disproportion des forces.
Quels sont les liens qui unissent l'enclave du Cabinda à l'Angola ? Les liens actuels de Cabinda avec l’Angola sont surtout... pétroliers. Le territoire et sa côte sont une véritable éponge à pétrole : la question cabindaise ne vient pas du pétrole – comme on le voit écrit trop souvent – mais il est évident que le fait que le territoire regorge de cette richesse dont la population ne bénéficie en rien, exacerbe le mécontentement, et favorise les manipulations en tous sens des pays de la région et des services secrets les plus divers... Il y a des liens avec l’Angola, mais sur le plan humain, sans doute plus avec les deux Congos. En effet, Cabinda n’a aucune frontière commune avec l’Angola, alors que sa frontière orientale jouxte le Congo démocratique, et la frontière nord, le Congo. Quand des Cabindais cherchent à fuir leur territoire, ils passent par les deux Congos francophones et, souvent, arrivent alors en France par des filières organisées à partir de ces pays. C’est ce que l’on vient de constater puisqu’au moins l’un des auteurs de l’attentat résidait en France. Quelles sont les revendications exactes du Front de libération de l'enclave du Cabinda ? Il n’y a pas un FLEC, mais plusieurs fractions rivales. Les dissensions sont aggravées entre elles par l’influence des pays de la région et des compagnies pétrolières. Le gouvernement de Luanda a aussi réussi excellemment à diviser le mouvement en négociant avec telle ou telle fraction. Il a gravement affaibli la guérilla en prenant d’assaut, à l’été 2002, le quartier-général du principal mouvement, profitant du fait que la rébellion de l’Unita avait été vaincue et qu’il disposait dorénavant des troupes nécessaires. La revendication de toutes les fractions du FLEC est l’indépendance de l’enclave. Mais, au gré des rapports de force, cette revendication fait parfois place à celle d’une simple “autonomie”. Suite au grave revers militaire subit, les diverses fractions du FLEC avaient décidé de se réunifier en 2004. Cela n’a pas empêché qu’en août 2006, le gouvernement de Luanda a réussi à signer un “Mémorandum d’entente pour la paix” avec le président du FLEC unifié, Bento Bembe. Mais celui-ci était probablement tombé dans la dépendance du gouvernement de Luanda : arrêté en Hollande en juin 2005 sur demande d’extradition des États-Unis en raison de l’enlèvement d’un employé de la compagnie pétrolière Chevron en 1990, il avait été libéré conditionnellement, grâce à un passeport diplomatique angolais et avait alors regagné Luanda. Bien qu’exclu en février 2006 de la présidence du FLEC, il n’en signa pas moins le 1er août suivant le “Mémorandum d’entente pour la paix” au nom d’un “Forum cabindais pour le dialogue”. Ce mémorandum reconnaît l’indivisibilité de l’Angola et enterre donc définitivement toute idée d’indépendance ou même d’autonomie. Un statut particulier pour la province est néanmoins prévu, dont on voit mal la différence avec le fonctionnement des autres provinces. Ce “Mémorandum” n’a été accepté par aucune des autres fractions du FLEC, qui maintiennent la revendication de l’indépendance.
Pourquoi ce Mémorandum n'a-t-il pas permis une pacification ? La signature de ce “Mémorandum” a en réalité signifié l’aggravation de la situation dans le territoire, car le gouvernement de Luanda voulut dès lors montrer que la situation était redevenue normale. Il a interdit la principale organisation de la société civile, Mpalabanda; il a empêché en pratique l’activité des partis d’opposition pour la campagne des élections législatives de septembre 2008 et, dans ce territoire très catholique, il a fait nommer comme évêque un membre de la famille du chef de la Sécurité du gouvernement angolais. De ce fait, Cabinda a disparu des dépêches d’agence, pratiquement jusqu’à l’attentat contre l’autocar de l’équipe du Togo. La communauté internationale a une grande part de responsabilité dans cette situation : tout le monde veut être au mieux avec le gouvernement de Luanda, devenu richissime et jouant à merveille de la concurrence des contrats et des aides entre la Chine et le monde occidental. On ferme donc les yeux sur ce qui se passe dans un territoire qui n’intéresse que par son pétrole. Pensez-vous que cette organisation soit capable d'acquérir son indépendance après ces années de lutte ? Militairement, c’est très difficile : à supposer même qu’une guérilla réussisse à occuper en pratique l’intérieur montagneux de l’enclave, cela ne gênera pas trop l’exploitation pétrolière côtière et off-shore. Tant que la guérilla sera incapable de remettre en cause la production pétrolière, le gouvernement de Luanda pourra supporter assez facilement un irrédentisme de faible intensité. En revanche, il ne réussira jamais non plus à écraser complètement l’indépendantisme cabindais, profondément enraciné dans la population. Mais la redéfinition du statut de Cabinda (indépendance, autonomie renforcée, simple régionalisme, etc.) ne pourra être effectuée que dans le cadre de la démocratisation de l’Angola lui-même : l’actuel régime, certes, n’est plus tout à fait celui d’un parti unique, mais d’un parti ultra-hégémonique avec fusion complète du parti et de l’État et un pouvoir présidentiel au-dessus de tout contrôle. La CAN, pour ce régime là, est une initiative politique pour renforcer son rayonnement et damer le pion à son grand rival, l’Afrique du Sud, qui va organiser la Coupe du Monde. De ce point de vue-là, on peut dire que l’attentat au Cabinda est un sérieux accroc...
Le Flec a-t-il des soutiens externes, connus ou non ? À ma connaissance, le FLEC n’a aucun soutien étatique. Néanmoins, des membres du FLEC peuvent agir assez librement en Europe occidentale, notamment au Portugal, en Hollande et en France. En France, des demandes d’asiles sont en attente, souvent refusées. En 1974-75, la compagnie pétrolière Elf avait soutenu l’une des fractions du FLEC pour obtenir une indépendance sous forte influence congolaise... Le dirigeant dépêché sur place ne parlait même pas portugais, dans ce territoire fortement lusitanisé, si bien qu’au bout de quelques jours, la population l’avait chassé. Aujourd’hui, le FLEC agit dans un grand isolement, puisque aucun État n’est intéressé à se brouiller avec Luanda. C’est aussi dans ce contexte qu’il faut comprendre l’attentat. La Coupe d'Afrique des nations est-elle une occasion pour ces indépendantistes qui veulent se faire entendre ? Bien sûr, et cela d’autant plus qu’ils sont désespérés, après leur défaite militaire de 2002 et la division consécutive au “faux traité de paix” de 2006. De ce point de vue, ils ont réussi ! On peut d’ailleurs se poser des questions : le gouvernement de Luanda avait demandé à toutes les équipes de football de faire tous leurs déplacements en avion. Pourquoi a-t-on alors laissé passer la caravane routière du Togo ? Au minimum, il y a eu sous-estimation du risque par les autorités de Luanda : depuis 2002 et 2006 elles entièrement occupées à montrer que la situation à Cabinda est redevenue totalement normale, qu’il s’agit d’une province exactement comme les autres, etc. Le régime de Luanda est un régime fortement policier et ce type de régime a tendance à s’auto-intoxiquer lui-même : les responsables de base ont tout intérêt à dire aux responsables au sommet qu’ils ont la situation bien en main. Sur la base des renseignements fournis par son administration locale, Luanda a certainement pensé que le FLEC serait incapable de toute action. Il s’est trompé. Mais inversement, le fait que le FLEC n’ait su mener que ce type d’opération, humainement et politiquement désastreuse, montre aussi les effets destructeurs de son isolement total, qui lui fait choisir une action terroriste en lieu et place d’une action de guérilla ou d’une action politique civil et clandestine autour du stade de Cabinda. Les mois qui viennent, s’annoncent encore plus durs pour les militants de la faible société civile cabindaise, pour les prêtres de base de l’Église catholique qui soutienne l’identité cabindaise, pour les militants locaux des partis d’opposition, qui, plus que jamais, seront accusés de complicité avec les “terroristes” et poursuivis pour toute action de simple défense des droits de l’homme. Propos recueillis par Christelle Magnout 11 janvier 2009
Retour des réfugiés après des décennies d'exil
Certains ont fui leur pays depuis la guerre coloniale qui opposa l'armée portugaise aux angolais...d'autres sont nés au Congo voisin où la plupart de leurs compatriotes avaient pris refuge pendant les années de guerre civile qui a éclaté au lendemain de l'indépendance en 1975. Ils entreprennent le retour vers leur patrie avec l'aide du Haut commissariat des nations unies aux réfugiés. Le commentaire de Jean-Luc Eyguesier JT - TV5Monde - mars - 2007 - 1'33