Fil d'Ariane
“Ce que nous dénonçons, c’est l’accord qui permet aux forces françaises d’être présentes au Burkina Faso. Il ne s’agit pas de la fin des relations diplomatiques entre le Burkina Faso et la France.” Le 23 janvier 2023, le porte-parole du Burkina Faso confirme que le pays réclame le départ des troupes militaires françaises dans un délai d’un mois. Actuellement, un contingent de près de 400 soldats français se trouve au Burkina Faso.
Cette situation rappelle le Mali, d’où les soldats français se sont retirés quelques mois auparavant, mais aussi celle de la Centrafrique, qui a connu un modus operandi similaire. Peut-on se baser sur ce qu’il s’est produit dans ces deux pays pour prédire l’avenir de la situation du Burkina Faso ?
En décembre 2013, la France déploie plus de 1600 soldats français en Centrafrique dans le cadre de l'opération Sangaris. Celle-ci a pour but de faire cesser les violences intercommunautaires entre les anti-Balaka chrétiens et les musulmans de la Seleka. L'opération, qui a compté jusqu'à 2000 hommes, s'est achevée en 2016.
Environ 350 militaires français sont restés en Centrafrique après la fin de l'opération. En juin 2021, la France décide de suspendre sa coopération militaire avec la Centrafrique, jugée "complice" d'une campagne anti-française téléguidée par la Russie. En effet, à ce moment-là, la Russie confirme la présence de 1135 experts militaires russes en Centrafrique. Ces instructeurs sont des mercenaires du groupe Wagner. Le 15 décembre 2022, les derniers militaires français déployés en Centrafrique quittent le pays.
Au Mali, les soldats français arrivent également en 2013, avec l'opération Serval, qui vise à arrêter la progression des groupes terroristes dans le pays. L'intervention militaire devient ensuite l'opération Barkhane en 2014, afin de consolider la sécurité au Sahel plutôt que de s'attaquer à une menace immédiate.
Elle comptera jusqu'à 5 000 soldats. Cependant, le Mali connaît deux coups d'États, le 18 août 2020 et le 21 mai 2021, qui instaurent un sentiment de défiance grandissant envers la France. Fin décembre 2021, une quinzaine de pays occidentaux, dont la France, dénoncent un début de déploiement de la société paramilitaire russe Wagner au Mali. Cela conduit le président français Emmanuel Macron a annoncer le retrait des soldats français du Mali en février 2022. Le dernier soldat français quitte le Mali le 15 août 2022. Un scénario similaire peut-il se produire au Burkina Faso ?
Le contexte dans lequel la France a décidé la fin de l’opération Barkhane et le retrait des soldats français du Mali est différent de ce qu’on observe au Burkina Faso. Jérôme Pigné, spécialiste des questions sécuritaires au Sahel
“Ce qui est convergent dans la situation entre les trois pays, c’est qu’on observe que la France a beaucoup de difficultés à poursuivre un partenariat politique, sécuritaire, militaire, dans un contexte où d’autres forces en présence sont de plus en plus actives”, analyse Jérôme Pigné, cofondateur du réseau de réflexion stratégique sur la sécurité au Sahel (2r3s) et chercheur associé à l'Institut Thomas More.
Cependant, le chercheur estime que la situation de chaque pays doit être considérée séparément. “Le contexte dans lequel la France a décidé la fin de l’opération Barkhane et le retrait des soldats français du Mali est différent de ce qu’on observe au Burkina Faso”, détaille le chercheur. “Si on est très terre-à-terre, on constate une volonté de se défaire d’une manière ou d’une autre de cette relation historique et politique et militaire avec la France, poursuit-il. Cependant, cela s’effectue dans des contextes qui sont très spécifiques et très différents.”
Rémi Carayol, journaliste indépendant et auteur du livre “Le mirage sahélien” paru aux Éditions de la Découverte est du même avis. Selon lui, un élément important suffit à différencier la situation dans les trois pays. “ En Centrafrique mais aussi au Mali, il y avait déjà Wagner quand il y a eu cette forme de rupture avec l’armée française, explique-t-il. Tandis qu’au Burkina Faso, il n’y a pas Wagner, ou du moins pas encore. Je ne suis pas sûr qu’il y aura Wagner d’ailleurs.”
Il estime en revanche qu’il y a “ la même logique de rompre avec l’ancienne puissance coloniale, qui joue un rôle important depuis de nombreuses années.”
Les autorités du Burkina Faso ont engagé un rapprochement avec la Russie. Le Premier ministre burkinabè a fait une visite discrète à Moscou en décembre 2022. Mi-janvier, il déclarait qu'un partenariat avec la Russie était "un choix de raison". Le pays va-t-il, comme le Mali ou la Centrafrique, faire appel aux mercenaires de Wagner ? Les autorités burkinabè assurent en coulisses à Paris ne pas vouloir s'adjoindre les services de Wagner. Selon plusieurs sources françaises, une équipe de liaison est venue prospecter dans ce pays riche en ressources minières. Actuellement, rien ne permet d'affirmer la présence des mercenaires russes au Burkina Faso.
“Il semblerait que la présence de Wagner soit objectivement actée”, estime Jérôme Pigné. Selon lui, “la géopolitique est en train d’évoluer et le contexte volatile ne profite pas à l’ancienne puissance coloniale des pays sahéliens”, et la Russie s’immisce dans cette interstice.
En revanche, même si une corrélation semble se dessiner entre le départ des troupes françaises et l’arrivée des mercenaires russes, “on ne peut pas directement lier ces deux éléments”, tempère le chercheur.
Le problème de Wagner, c’est que tout se passe dans l’opacité. Rien n’est jamais vraiment officiel, on est toujours dans une espèce de zone d’ombre.Rémi Carayol, journaliste indépendant
Rémi Carayol quant à lui reste prudent. “Je n’ai aucune certitude quant à la présence de Wagner, je ne vois pas comment on peut affirmer quoi que ce soit aujourd’hui”, dit-il. Le journaliste ajoute que “le problème de Wagner, c’est que tout se passe dans l’opacité. Rien n’est jamais vraiment officiel, on est toujours dans une espèce de zone d’ombre.” Il rappelle également que la situation du Burkina Faso est différente de celle du Mali ou de la Centrafrique dans la mesure où les autorités ont développé une réserve de soldats civils, les Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP). “Certains disent qu'au Burkina Faso, nos VDP, ce sont nos Wagner à nous”, explique-t-il. Il rappelle cependant que les deux éléments ne sont pas forcément liés entre eux.
Au-delà de la question de l’avenir du Burkina Faso une fois le départ de la force Sabre acté, il y a la question de la raison du départ de ces troupes. “Pour beaucoup de gens, il y a une forme d’incompréhension liée au fait que l’armée française, qui est présentée comme toute puissante, a été incapable de battre des groupes djihadistes qui sont considérés, souvent à tort, comme ayant peu de moyens n’ayant pas une stratégie développée”, détaille Rémi Carayol. Cette incompréhension vient ensuite nourrir “ facilement des théories complotistes qui font que la France, qui est censée combattre les djihadistes est perçue par certains comme étant l’alliée des djihadistes.”
“On est dans un contexte sous-régional où le populisme a le vent en poupe, poursuit Jérôme Pigné. Plutôt que d’essayer très trivialement de balayer devant sa porte, on met cela sur le dos d’un bouc émissaire, qui est la France.” Selon le chercheur, “le contexte sécuritaire, poussé par des forces obscures, accompagne l’élan en cours et place la France comme responsable de tous les maux au Sahel et plus généralement en Afrique.”
Dans ce cas, pourquoi l’armée française restait au Burkina Faso si elle n’était pas en mesure de venir à bout des djihadistes ? “ Il y a tout un tas d’explications possibles,mais je n’ai pas les éléments qui me permettent de dire pour quelle raison précise les autorités burkinabè ont décidé de demander le départ des troupes françaises”, conclut Rémi Carayol.