Près d'un quart de siècle après être monté sur le trône du Maroc, Mohammed VI a impulsé une transformation rapide de son pays. Mais celui qui fêtera discrètement ses 60 ans lundi fait face au défi des inégalités sociales.
S'il a su maintenir la stabilité dans une région agitée, moderniser l'économie et piloter une diplomatie offensive, au prix d'une mise au pas des critiques, Mohamed VI n'est pas parvenu à venir à bout du fléau de la pauvreté.
S'il a su maintenir la stabilité dans une région agitée, moderniser l'économie et piloter une diplomatie offensive, au prix d'une mise au pas des critiques, il n'est pas parvenu à venir à bout du fléau de la pauvreté.
Dans son dernier discours le 30 juillet, "M6" a appelé à "franchir de nouveaux seuils sur la voie du progrès et à échafauder des projets de plus grande envergure, dignes des Marocains".
Successeur d'Hassan II le 23 juillet 1999, le "monarque exécutif" a gardé la haute main sur les secteurs stratégiques: économie, affaires étrangères, défense et appareil sécuritaire.
"Alors que son père occupait fortement la scène politique, le style de Mohammed VI est différent. Il préfère guider le navire silencieusement tout en contrôlant les leviers du pouvoir", estime le politologue Mohamed Chiker.
On lui doit de grands travaux comme le port de Tanger Med, la centrale solaire Noor, la ligne de TGV Tanger-Casablanca, le développement d'industries automobile et aéronautique et aujourd'hui, l'hydrogène vert et le label "Made in Morocco".
Autre initiative du "soft power" marocain, sa décision d'associer son pays à l'Espagne et au Portugal pour organiser le Mondial-2030.
Au plan international, Mohammed VI a diversifié les partenariats jusque-là axés sur France et Europe, en optant pour une ouverture vers l'Afrique, depuis le retour du Maroc dans l'Union africaine en 2017.
Mais la priorité est le Sahara occidental, ex-colonie espagnole au statut non réglé, "le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international", proclame-t-il.
Depuis 1975, un conflit de basse intensité y oppose Rabat aux indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par l'Algérie.
Ne négligeant aucun moyen, le Maroc a obtenu le ralliement de l'Espagne à son "plan d'autonomie" sous sa seule souveraineté, pour régler le différend. Le Polisario réclame un référendum d'autodétermination sous l'égide de l'ONU.
Mieux, en décembre 2020, les États-Unis ont reconnu la "marocanité" du territoire disputé. Israël a suivi le mois dernier sur fond de resserrement des liens avec Rabat. Au grand dam de l'Algérie, rivale régionale.
Mais ces succès diplomatiques ne sauraient effacer le retard pris dans la réduction des disparités, un paradoxe pour "le roi des pauvres".
L'écart entre riches et pauvres, villes et campagnes, ne cesse de s'élargir.
Un rapport commandé en 2019 par le roi pour élaborer un "nouveau modèle de développement (NMD)" déplorait "l'aggravation des inégalités", "la lenteur des réformes" et une "résistance au changement".
"Les 10% de Marocains les plus aisés concentrent encore onze fois plus de richesses que les 10% les plus pauvres", selon ce rapport.
Analphabétisme, revenu national brut/habitant, le Maroc occupe le bas du classement de l'indice de développement humain (IDH) de l'ONU.
Selon le Haut-Commissariat au Plan (HCP), sous l'effet du Covid-19 et de l'inflation, le Maroc est retombé aux niveaux de pauvreté de 2014.
Ce qui n'empêche pas Mohammed VI, souverain secret qui incarne la continuité de la dynastie alaouite, de jouir d'un large consensus.
Sous sa houlette, la généralisation des allocations directes aux familles défavorisées, longuement attendue, devrait être parachevée en fin d'année.
En 2004, Mohammed VI avait imposé une autre réforme emblématique: l'adoption d'un code de la famille favorable au droit des femmes, sans toutefois répondre aux demandes des féministes.
En revanche, son régime, démocratique et autoritaire à la fois, est critiqué pour "les restrictions à la liberté d'expression" visant opposants, journalistes et internautes dissidents, certains emprisonnés.
Un tour de vis sécuritaire, assumé aussi au nom de la lutte antiterroriste après les attentats jihadistes de Casablanca (33 morts) en mai 2003, qui a stoppé la libéralisation entamée à la fin du règne de Hassan II.
Et si les réseaux sociaux ont libéré la parole, les médias, sous perfusion de l'État, restent étroitement sous contrôle, voire ont disparu comme leur pluralisme.
Quant aux partis politiques, ils sont affaiblis ou marginalisés.
Pour Pierre Vermeren, historien du Maghreb, "les Marocains demeurent extrêmement contrôlés. C'est le fruit de la succession des chocs extérieurs et des crises qui a été telle que l'expansion économique a buté sur un plafond de verre".
"Le rattrapage du niveau de vie sur l'Algérie et la Tunisie est un acquis, mais la transition démocratique demeure une promesse", constate-t-il.