Soixante ans après l'assassinat de Patrice Lumumba, sa famille attend toujours un procès à Bruxelles contre des personnes de "diverses administrations" de l'État belge. Elles sont accusées de "complicité dans un vaste complot visant à l'élimination physique" de l'ancien premier ministre congolais. Dix personnes étaient ciblées par la plainte déposée en 2011. Deux seulement vivent encore. La famille va également récupérer ce qui a une valeur de "relique" pour les Congolais, une dent du héros de la lutte anticoloniale contre la Belgique dont le corps n'a jamais été retrouvé.
De la dépouille de Patrice Lumumba, il ne reste qu'une dent
. "C'est un symbole important pour la famille et tout le peuple congolais", affirme à l'AFP le chef du parquet fédéral belge, Frédéric Van Leeuw, à propos de cette restitution. Elle devrait donner lieu dans les semaines ou mois à venir à une cérémonie officielle à Bruxelles, avec les enfants du défunt.
En décembre, le président congolais Félix Tshisekedi a lui-même annoncé son intention d'organiser un hommage national le 30 juin 2021, date du 61e anniversaire de l'indépendance, après le
"rapatriement des reliques". L'idée est d'offrir enfin une sépulture à celui qui fut un éphémère premier ministre du pays (juin-septembre 1960).
En fait de
"reliques", il s'agit de récupérer puis rapatrier une dent saisie par la justice chez la fille d'un commissaire de police belge ayant contribué à faire disparaître le corps. Juliana Lumumba, fille du héros assassiné, en avait exprimé le souhait dans un courrier adressé au roi des Belges Philippe l'été dernier, en plein mouvement planétaire Black Lives Matter.
Patrice Lumumba a été assassiné par des séparatistes katangais et des mercenaires belges le 17 janvier 1961 dans le Sud-Est du Congo pendant le chaos qui a suivi la proclamation de l'indépendance. Il avait 35 ans. Son corps, dissous dans l'acide, n'a jamais été retrouvé.
Le 30 juin 1960, devant le jeune roi Baudouin, il avait livré un mémorable discours sur la violence coloniale appelant ses concitoyens à
"une lutte indispensable pour mettre fin à l'humiliant esclavage qui nous a été imposé par la force".
Ce dirigeant était perçu en pleine époque de la guerre froide comme prosoviétique. Il représentait une menace pour les intérêts belges, particulièrement au Katanga, province riche en cuivre. Il sera qualifié de "Diable", d'homme à "éliminer", selon des télex échangés fin 1960 entre Bruxelles et l'ex-colonie tout juste indépendante.
A lire sur le site de la RTBF, le dossier d'enquête complet sur le fil des événements de l'époque >>> Il y a 60 ans, l’assassinat de Patrice Lumumba, un crime politique avec des responsabilités belges
A lire >>> 17 janvier 1961 : de l'assassinat de Patrice Lumumba à la naissance d'une idéologie lumumbiste
Une plainte déposée en 2011 en Belgique par le fils de Lumumba
Soixante ans plus tard, l'enquête judiciaire ouverte en Belgique pour
"crime de guerre" est dans sa phase finale selon l'avocat Christophe Marchand, qui a déposé plainte en 2011 au nom de François Lumumba, l'un de ses enfants.
"On se dirige vers une audience cette année (NDLR : 2021)
devant la chambre du conseil du tribunal de Bruxelles (juridiction de renvoi, ndlr
) pour voir si le dossier peut déboucher ou pas sur un procès en cour d'assises", à déclaré Me Marchand auprès de l'AFP.
Pour lui, le temps presse car seules deux des 10 personnes initialement ciblées par la plainte sont encore en vie. Il s'agit de l'ancien diplomate Etienne Davignon, 88 ans, et de l'ex-haut fonctionnaire Jacques Brassinne de la Buissière, 91 ans, selon des sources proches du dossier.
L'Etat belge accusé de participation à complot contre Patrice Lumumba
La plainte, consultée par l'AFP, accuse
"diverses administrations de l'Etat belge" d'avoir
"participé à un vaste complot en vue de l'élimination politique et physique de Patrice Lumumba".
Elle rappelle que l'armée belge avait déployé
"quelque 200 officiers" pour encadrer les forces de l'ordre de la province sécessionniste du Katanga, où le crime a eu lieu.
"Il peut y avoir des charges, mais elles doivent devenir des preuves pour justifier un procès ou une condamnation", fait valoir le procureur Frederic Van Leeuw, qui évoque des investigations
"particulièrement difficiles" pour une poignée d'enquêteurs confrontés à
"des tonnes d'archives".
"Il faut avoir la preuve qu'une personne au sein d'une chaîne de commandement avait connaissance de ce qui allait se passer et voulait vraiment ce qui est arrivé", poursuit le procureur fédéral.
Un crime imprescriptible
Il assure qu'en qualifiant en 2012 l'assassinat de
"crime de guerre" (ce qui le rend imprescriptible)
"la cour d'appel de Bruxelles est allée au-delà de la commission d'enquête" du Parlement belge.
Celle-ci qui avait conclu en 2001 à la
"responsabilité morale" de la Belgique. L'année suivante le gouvernement belge avait présenté les
"excuses" du pays.
Le procureur espère cependant aboutir.
"La justice peut permettre un meilleur vivre ensemble", estime le magistrat dans un tweet. Et d'ajouter :
"Pas qu’une histoire du passé. Un héritage d’humiliations et de souffrances que nous devons affronter aujourd’hui." Pour l'association antiraciste Bamko, Patrice Lumumba est une figure majeure qui mérite davantage que la "petite placette" à son nom inaugurée en 2018 à Bruxelles, en bordure de Matongé, le quartier de la diaspora africaine dans la capitale belge.
"Des personnes comme lui nous permettent de nous tenir debout et d'être dignes" affirme Mireille-Tsheusi Robert, présidente de Bamko, Belge d'origine congolaise.
"Lui rendre justice c'est aussi rendre justice à tous les Afro-descendants du Congo".