Fil d'Ariane
Le général François Lecointre, chef d’état-major des armées françaises, lors d’une audition devant le Sénat français en mars dernier, parlait d’une situation sécuritaire dans le Sahel identique à celle de 2013. Peut-on parler d’un aveu d’échec de Barkhane sur le terrain ?
Non, on ne peut pas parler d’échec au regard des moyens engagés. Barkhane est forte de 5100 hommes, auxquels il convient d’adjoindre la force Takuba. Par ailleurs, elle n’agit pas seule. Il faut y adjoindre les forces locales de chaque pays, la force de la coalition G5 Sahel, les forces onusiennes dont la MINUSMA (la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali), les détachements des missions européennes. Mais au total, il faut aussi garder à l’esprit que le théâtre des opérations correspond à une zone qui fait la taille de l’Europe.
Sur la seule Bosnie, lors de la guerre civile en ex-Yougoslavie, il y avait sur le terrain pas moins de 40000 casques bleus. Par ailleurs, je ne pense pas que la réponse sécuritaire suffise. Ne faut-il pas imaginer une stratégie sahélienne, globale, qui combine toutes les dimensions, sécuritaire, politique, économique, sociale... La solution n’est pas militaire, elle est globale. C’est d’abord aux acteurs sahéliens de prendre la main sur la crise pour la résoudre.
En quoi consiste cette stratégie sahélienne ?
La France et ses alliés auront beau empiler de nouvelles troupes aux forces déjà en place, je doute que cela change véritablement les choses. C’est d’abord une affaire sahélienne, où rien ne sera possible si on ne réussit pas notamment à gagner à cette cause les populations locales. C’est quand les populations locales coopéreront, par exemple en dénonçant le passage d’un convoi de djihadistes en moto, que les forces en place, Barkhane et ses alliés, pourront véritablement être efficaces. Il faut changer de logique. Il faut qu’une stratégie sahélienne, une stratégie globale, soit décidée et mise en place. Ce sont d’abord aux Sahéliens de décider et d’agir, en accord avec les populations locales, aidées par leurs alliés, pour mettre fin à ce conflit. Il faut se rappeler que cet islam pratiqué par ces terroristes djihadistes est un islam importé qui n’a rien à avoir avec l’islam de rite malékite présent traditionnellement dans toute cette région. Si les populations adhèrent à la politique sahélienne décidée, elles rejetteront elles-mêmes cet islam.
Stratégie sahélienne, cela signifie que les alliés des pays du Sahel, dont la France, doivent accepter que la stratégie contre les djihadistes soit déterminée et conduite par les Sahéliens. La France et les autres alliés doivent continuer à aider, mais pour une stratégie qui n’est pas la leur. Ensuite, il s’agit d’accepter de donner des moyens pour aider les autorités locales à se remettre à niveau sur les plans politique, sécuritaire, économique, social... Il s’agirait donc pour nous de se mettre non pas dans une démarche d’imposition mais d’accompagnement.
L’assassinat des sept membres de l’ONG Acted ne risque-t-il pas de mettre fin à la présence des humanitaires étrangers dans cette région ?
Acted est une ONG très professionnelle. Ce sont des humanitaires qui n’ont pas pour habitude de prendre des risques inconsidérés et surtout ACTED est la dernière grande ONG de terrain qui reste présente dans cette région sur les problématiques d’aide et de développement. L’ONG va devoir réfléchir à de nouveaux modes d’action. Peut-être former à Niamey des humanitaires locaux qui eux-mêmes seront envoyés dans les zones difficiles. Mais peut-être que cela n’aura pas la même efficacité ?
Voir aussi : Niger : l'ONG Acted lance un appel à la communauté internationale
Le Niger en proie aux attaques des groupes armées djihadistes
Le principal groupe djihadiste implanté est celui d'Abou Walid Al-Sahraoui, nommé par ses ennemis "Etat islamique au grand Sahara" (EIGS) et affilié depuis 2015 à l'organisation Etat islamique (EI). Il est à l'origine de dizaines d'attaques de camps dans les trois pays, et notamment au Niger : fin 2019 à Inatès, 71 soldats sont tués, et à Chinégodar début 2020, 89 soldats tués.
Dans l'est, le Niger fait face à une autre menace djihadiste, sur les rives du Lac Tchad: le groupe djihadiste Boko Haram y sévit, comme ISWAP (groupe djihadiste lié à l'EI, né d'une scission avec Boko Haram en 2016).
Les attaques djihadistes dans cette région du Niger sont nombreuses depuis cinq ans, notamment à Diffa, principale ville du sud-est nigérien.