Au Bénin, Patrice Talon réélu à la tête d'un pays plus divisé que jamais

Il a réussi son "coup KO". Il faut dire qu’avec deux adversaires de second plan, il était comme seul sur  le ring. Avec 86% des  voix au premier tour de la présidentielle du 11 avril, selon les chiffres de la Commission électorale nationale autonome, Patrice Talon est réélu à la tête du Bénin pour un second mandat de cinq ans. Portrait.
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Patrice Talon gros plan 2016
Patrice Talon après son élection à la présidence du Bénin en 2016.
© AP Photo/Michel Euler
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"Efficacité, rationalité : il avait vraiment un discours de business man (…) Le problème c’est que le corollaire de cette posture, c’est une forme d’autoritarisme". Sur le plateau du journal Afrique de TV5MONDE ce dimanche 11 avril, au soir de la présidentielle béninoise, le journaliste Vincent Hugeux se rappelle ainsi le caractère du président béninois, rencontré il y a quelques années, dans un grand hôtel parisien lors de son exil dans la capitale française. Une personnalité qui éclaire son parcours, mais aussi le rejet dont il fait l’objet de la part d’une partie de la population béninoise et qui explique le faible taux de participation, à peine 50% d'après la Commission électorale.
Car s’il est incontestablement réélu, Patrice Talon le doit plus à une absence d’adversaire qu’à un plébiscite dans les urnes.

"Un certain génie"

Mais la popularité peut-elle préoccuper celui qui, au début de son mandat en mai 2016, déclarait dans les colonnes du quotidien français Le Monde : "Je pense à moi tout le temps. Je sais que le ciel m’a donné quelque chose, j’ai un certain génie, je voudrais désormais que ce génie ne soit pas juste le mien, mais qu’il serve mon pays" ? Patrice Talon espérait toutefois à l’époque "être porté en triomphe à l’issue de son mandat".

"Popularité" et "triomphe" ne caractérisent pas la réélection de ce fils de cheminot né en 1958 à Ouidah, ancien haut-lieu de l’esclavagisme.
L’homme, on l’a compris, a gardé tout au long de son mandat les habits d’homme d’affaires qu’il portait -avec succès- jusqu’à son élection en 2016. 15e fortune d’Afrique francophone en 2015 selon le classement Forbes, première fortune du Bénin, Talon vaut alors 400 millions de dollars. Une fortune acquise au fil d’une carrière dans le privé, de l’exportation de piles électrique et d’engrais au rachat des sociétés d’Etat de la filière coton. Patrice Talon était à la tête d’un monopole dans ce secteur central de l’économie béninoise.

S’il assure n’avoir jamais sollicité de faveur du pouvoir politique, sa proximité avec les présidents successifs n’est un secret pour personne.
Nicéphore Soglo, Mathieu Kérékou puis Thomas Boni-Yayi verront Patrice Talon prendre une place de plus en plus prépondérante dans l’économie de leur pays.
Pour ce qui est du dernier, la proximité politique (Patrice Talon financera l’élection de Boni Yayi en 2006) prendra fin dans une rocambolesque affaire d’empoisonnement.
En 2012, Patrice Talon est accusé d’avoir voulu assassiner le président Boni Yayi en faisant remplacer ses médicaments par du poison. Trois personnes seront arrêtées dans cette affaire, un ancien ministre, le médecin personnel et la propre nièce du chef de l’Etat ! Talon, lui, quittera le Bénin et trouvera refuge en France pour un exil de trois années. Une médiation menée en 2014 par Abdou Diouf, l’ancien président sénégalais alors Secrétaire général de la Francophonie, permettra de refermer le dossier et à Patrice Talon de rentrer à Cotonou et de préparer son accession à la présidence.

Promesse de mandat unique

Lors de sa campagne de 2016 et à nouveau lors de son discours d'investiture, le président Patrice Talon fait une promesse : il sera le président d'un seul mandat. Il souhaite faire modifier la Constitution pour remplacer le quinquennat renouvelable une fois par le septennat unique. Mais, un an plus tard, le parlement retoque son projet de révision constitutionnelle. Ce jour-là, estime l'Agence France-Presse, "l'échec de son projet a bousculé l'égo de cet homme richissime (...) qui n'aime être ni contrarié ni la compétition".

Dès lors, Patrice Talon va faire preuve d'un pragmatisme risqué. Au nom de la réforme économique pour laquelle il estime avoir été élu, puis parce qu'il faut à tout pris mettre un terme à certaines vieilles habitudes et à un immobilisme structurel, le président va négliger un certains nombres d'usages démocratiques. "Il est obnubilé par le désir de réussite, il veut changer l’histoire de son pays et que l’on se rappelle de lui dans 200 ans", dit à l'AFP son conseiller en communication.

Sur le plan économique, le Bénin affichait une croissance confortable de près de 7% en 2019, avant de tomber à environ 2% après la fermeture de la frontière terrestre avec son voisin nigérian et la crise du Covid. Toutefois, les prévisions pour l'année 2021 restent plus encourageantes avec un rebond attendu de 5% et le pays a, mieux que bien d'autres, encaissé le choc de la pandémie.

Un succès macroéconomique incontestable, mais dont l'impact sur les Béninois a été très relatif, comme l'analyse le politologue Expédit Ologou.

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"Pour lui, ne pas être populaire est un signe de réussite", explique l’un de ses anciens proches interrogé par l'AFP. "Si vous jouez son jeu, il vous laisse tranquille. Mais si vous allez contre lui, il vous réprime", affirme un autre. Derrière ces deux témoignages anonymes, le secret d'un paysage politique béninois redessiné et la clé d'une réélection dans un fauteuil.

Un président sans opposition

Rapidement après son élection en 2016, Patrice Talon entâme un grand ménage au sein de ses adversaires réels ou potentiels. Le premier à en faire les frais, l'homme d'affaires franco-béninois Lionel Zinsou était arrivé 2e à la présidentielle. Il sera condamné à cinq ans d'inéligibilité et six mois de prison avec sursis pour dépassement de frais de campagne. L'ancien président Thomas Boni Yayi fera également les frais de ce que le journaliste Frédéric Lejeal néologise en évoquant une "juridiciarisation" du régime béninois. Après l'encerclement de son domicile en 2019, Boni Yayi quittera le Bénin.
Sur la touche également, l'ancien ministre des finances Komi Koutché exilé aux Etats-Unis après une condamnation à vingt années de prison pour détournement. Sébastien Ajavon, le troisième homme de la présidentielle de 2016 et faiseur de roi au second tour (il avait soutenu Patrice Talon contre Lionel Zinsou) écope, lui, de vingt de prison pour trafic de drogue et obtient, en France, le statut de réfugié politique. Début mars, à un mois de la présidentielle, enfin, c'est une candidate recalée, Reckya Madougou qui est arrêtée. L'ancienne ministre de la justice de Thomas Yayi Boni est inculpée pour "financement du terrorisme" par la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme, la Criet. Cette cour très décriée est accusée, par l'opposition, d'être un objet politique au service de Patrice Talon destiné à "faire le ménage" au sein de tout ce qui pourrait contrarier le président.

Patrice Talon est aujourd'hui débarassé de ses principaux adversaires mais aussi avec une opposition en miettes. Une réforme du code électoral destinée à faire le ménage au sein d'un échiquier politique où les partis s'étaient multipliés à l'infini a eu pour effet d'exclure du jeu les formations susceptibles d'équilibrer un peu la balance. La totalité des députés issus des législatives de 2019 sont derrière le président réélu, tout comme la quasi-intégralité des collectivités locales.
Si Patrice Talon a les institutions derrière lui, reste l'inconnue de la rue. Après les dernières législatives, le Bénin s'était enflammé pour protester contre ce que les manifestants considéraient comme une appropriation du pouvoir. Quelques jours avant la présidentielle, des barrages ont à nouveau été érigés à travers le pays pour demander le départ du président.
Sans opposition politique mais sur fond d'impopularité grandissante, Patrice Talon entame son second mandat sur une poudrière. Un comble dans un pays symbole, depuis trente ans, de démocratisation paisible. 

► Avril 2018, Patrice Talon invité de "Internationales" sur TV5MONDE