Fil d'Ariane
Des assises nationales ont débuté vendredi au Burkina Faso, deux semaines après un deuxième putsch en huit mois qui a porté au pouvoir le capitaine Ibrahim Traoré. Absent à la cérémonie d'ouverture, ce dernier s'est exprimé à travers un message lu par un un membre de la junte au pouvoir : "Il nous faut taire nos différends, mettre en commun la richesse de nos diversités pour préserver l'essentiel et écrire une page nouvelle pleine d'espoir", a-t-il dit, ajoutant qu'il fallait "donner des orientations claires pour la construction d'une nation forte et résiliente, une nation capable d'instaurer la paix, la sécurité et le développement durable".
Ces assises rassemblent quelque 300 personnes, représentant l'armée et la police, les organisations coutumières et religieuses, la société civile, les syndicats, les partis et les déplacés internes victimes des attaques jihadistes qui frappent le Burkina depuis 2015. Des blindés et des véhicules militaires ont été déployés aux différents points d'accès au Centre de conférence de Ouagadougou où se tient la rencontre.
Le 5 octobre dernier, dans une allocution sur les antennes de la télévision nationale, le MPSR, le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration, dirigé désormais par le capitaine Ibrahim Traoré, se dote d’un nouvel acte fondamental qui fixe l’organisation provisoire des pouvoirs publics, dans le cadre d’un Etat de droit. Toujours constitué d’un président, le capitaine Traoré, et de deux vice-présidents, le MPSR est en charge de la continuité et la gestion des affaires de l’Etat. Son président, le capitaine Ibrahim Traoré, est le nouveau chef de l’Etat.
Soixante-douze heures après l’adoption de cet acte fondamental, un décret signé par le chef de l’Etat, le capitaine Traoré, et lu sur les antennes de la télévision nationale, annonce la tenue des assises nationales les 14 et 15 octobre. Ces assises ont pour principaux objectifs : l’adoption de la Charte de transition et la désignation du président de cette même transition.
La nouvelle charte de la transition devrait notamment définir les organes de la transition, ainsi que leurs compositions respectives.
Un projet de charte dont l'AFP a eu copie, prévoit que "le mandat du président de la transition prend fin avec l’investiture du président issu de l’élection présidentielle" prévue en juillet 2024.
"Le président de la transition n'est pas éligible aux élections présidentielle, législatives et municipales qui seront organisées pour mettre fin à la transition", précise ce projet.
A l’issue de l’adoption de cette charte de la transition, il sera procédé à la désignation d’un président de ladite transition, qui, comme l’a indiqué le capitaine Ibrahim Traoré après sa prise de pouvoir, pourra être un civil ou un militaire. Ce dernier aura la responsabilité de conduire la transition jusqu’aux élections et au retour à l’ordre constitutionnel.
Des voix se sont élevées pour réclamer le maintien du capitaine Traoré lors de meetings de soutien à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, la deuxième ville du pays.
"Le capitaine Ibrahim Traoré doit nécessairement terminer ce pour quoi il est venu", a affirmé Oscar Séraphin Ky, leader d'un mouvement de soutien au capitaine.
"Au regard de l’adhésion populaire (au putsch), la convocation d’assises nationales pour désigner un président de la transition, ne devrait pas avoir lieu, car depuis les premiers moments le choix du peuple était déjà fait, et c'est le capitaine Ibrahim Traoré", a renchéri un autre mouvement qui a appelé à la mobilisation vendredi.
Un sondage réalisé par Apidon, un institut local, indique que 53% des Burkinabè préfèrent avoir le capitaine Traoré à la tête du pays, selon le quotidien gouvernemental Sidwaya.
Quelques jours avant les Assises, certains partis politiques ont exprimé leurs attentes. Pour Me Benewende Stanislas Sankara, le président de l’UNIR-MS, l’Union pour la renaissance-Mouvement patriotique sankariste, interrogé par nos confrères de RFI, ces assises sont celles de la chance et de l’espoir. « On souhaite des assises inclusives, a-t-il poursuivi, et qu’elles soient bien préparées et organisées, pour éviter les frustrations inutiles. Qu’elles créent les conditions d’une adhésion populaire dont le pouvoir aura besoin pour toutes les batailles présentes et futures. »
Dans une déclaration datée du 5 octobre, le MPP, le Mouvement du peuple pour le progrès, l’ancien parti au pouvoir sous le régime de l’ex-président élu Roch Marc Christian Kaboré, dit prendre acte de ce deuxième coup d’Etat, et appelle les nouvelles autorités à concentrer leurs actions sur l’un des principaux objectifs du MPSR, à savoir la lutte contre le terrorisme. Même son de cloche du côté du CDP, le Congrès pour la démocratie et le progrès, fondé par l’ancien président Blaise Compaoré. Quant à l’UFP, l’Union des forces progressistes, elle va beaucoup plus loin, en estimant que « […] pour solutionner la grave crise sécuritaire qui menace l’existence de la nation, la direction du MPSR est mieux indiquée pour conduire la transition. »
En plus d’un contexte social et sécuritaire extrêmement tendu, la société burkinabé est fracturée sur le plan politique, en particulier depuis la chute en 2014 du régime de l’ancien président Blaise Compaoré. L’un des premiers défis de ces assises et du nouveau chef de l’Etat, le capitaine Ibrahim Traoré, qui dit vouloir aller vite, sera de rassembler les forces politiques, mais aussi sociales. Dans un communiqué publié le 3 octobre dernier, l’Unité d’action syndicale, une plateforme qui regroupe les centrales syndicales et les syndicats autonomes du pays, affirme en effet que « l’armée doit retourner urgemment dans les casernes. » Une condamnation de principe de ce nouveau coup de force qui rappelle celle de Moussa Faki, le président de la commission de l’Union africaine, mais qui illustre tout de même les défis auxquels est confronté le nouvel homme fort du Burkina Faso.
Afin de mettre tous les atouts de son côté, le capitaine Ibrahim Traoré multiplie les initiatives. La semaine dernière, une mission ouest-africaine venue évaluer la situation - malgré les manifestations contre cette institution sous-régionale -, et dont faisait partie l’ancien président nigérien Mahamadou Issoufou, médiateur pour le Burkina Faso de la CEDEAO, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, est repartie confiante quant au respect des engagements pris. Toujours la semaine dernière, le nouveau chef de l’Etat a reçu le corps diplomatique et les représentants des organisations internationales et interafricaines présentes dans le pays. Il a notamment imploré leur soutien. « C’est juste pour sauver notre patrie, nos terres, notre population », a-t-il précisé. Mais surtout, il leur a avoué d’emblée que les climats sociopolitique et sécuritaire s’étaient considérablement détériorés depuis janvier.
Les attaques incessantes des groupes terroristes affiliés à Al-Qaïda pour les uns, et au groupe Etat islamique pour les autres, ont fait des milliers de morts et provoqué le déplacement d’environ deux millions de personnes. A l’heure actuelle, près de 40% du territoire échappe au contrôle des autorités burkinabé. Le 26 septembre dernier, quatre jours avant le putsch, à Gaskindé, dans le nord du pays, un convoi de ravitaillement de plus de 200 camions à destination de Djibo, capitale de la région du Sahel, avait été attaqué par des hommes armés. Au moins 37 personnes ont été tuées, dont 27 militaires et 10 civils. Un hommage militaire a été rendu aux 27 soldats le week-end dernier, en présence du président Ibrahim Traoré.