Au Burkina Faso, "les groupes terroristes se jouent de la stratégie du G5 Sahel"

La libération sanglante de quatre otages (deux Français, une Américaine et une Sud-coréenne) le vendredi 10 mai dans l'Est du Burkina Faso montre une nouvelle fois la crise sécuritaire traversée par le pays depuis désormais trois ans. Quelle réponse apporter ? Comment le pays en est-il arrivé là ? Entretien avec Mahamoudou Sawadogo, chercheur, spécialiste des questions sécuritaires au Burkina Faso.
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Burkina otages retour Villacoublay
Les deux français et la sud-coréenne libérés au Burkina Faso le vendredi 10 mai lors d'une opération qui a coûté la vie à deux soldats français.
© Francois Guillot/Pool Photo via AP
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TV5MONDE : Quels enseignements tirez-vous de cette affaire des otages français ?

Mahamadou Sawadogo : Cela vient confirmer notre hypothèse selon laquelle le Nord du Bénin, qui est une continuité de l’Est du Burkina Faso, est déjà sous l’emprise des groupes terroristes.  
Cela nous confirme aussi l’existence d’un couloir qui relie l’Est du Burkina et le Sahel. Il faut absolument surveiller ce qu’il s’y passe. Ce couloir commence dans la Pendjari, dans le nord du Bénin, et monte vers le Soum dans le nord du Burkina Faso en passant par Pama, le département de Matiacoali, ou encore Markoy. Cela correspond à la zone rouge.
Par ailleurs, nous savons désormais que ces groupes ont des connexions entre eux, que les groupes présents dans l’Est ravitaillent en otages les groupes présents dans le Sahel.

Burkina Faso zones rouges
Début février 2019, la France a mis à jour sa carte des zones rouges au Burkina Faso. Tout l'est du pays est désormais "formellement déconseillé".
Source : ministère français des Affaires étrangères

Ce couloir est facilité par la porosité des frontières…

Nous sommes dans une zone où la couverture sécuritaire est très faible. Presque la moitié, 45% de cette région, est en situation de vide sécuritaire, c’est-à-dire ni armée, ni gendarmerie, ni police. La végétation et la configuration géographique ne permettent pas non plus de sécuriser ces frontières.

Les groupes terroristes se jouent de la stratégie du G5 en impliquant des pays qui n’en font pas partie.

Mahamadou Sawadogo, chercheur

Quelles sont les mesures à prendre en urgence ?

Il faut évidemment renforcer en urgence le maillage sécuritaire de cette région.
La seule option possible, pour moi, serait d’engager les forces de la CEDEAO, car cette menace couvre l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest. Malheureusement, la seule force de la CEDEAO qui fonctionne un peu est occupée par la stabilisation de la Guinée Bissau. Il faudrait envisager un redéploiement. 
Pour l’instant, tout ce dont on a entendu parler, c’est d’un renforcement du G5 Sahel mais je reste convaincu qu’il ne pourra pas résoudre ces problèmes car, vous le voyez bien, les groupes terroristes se jouent de la stratégie du G5 en impliquant des pays qui n’en font pas partie.

Ensuite, il va falloir se pencher sur les facteurs qui ont engendré l’implantation de ces groupes dans cette région...

Ces facteurs, nous les connaissons : la question des terres et de l’exploitation des parcs tout d’abord. Dans les années 90, les terres ont été retirées aux nationaux et bradées au profit de Libanais et de Français qui ont repris les concessions de chasses. Ils ont fait venir des garde-chasse pour empêcher le braconnage dont vivent les populations locales. Ces garde-chasse se sont livrés à des exactions. Ils ne sont donc pas acceptés. A cela s’ajoute la question des sites classés pour raisons écologiques où personne ne peut plus ni pêcher ni chasser. Près de Pama, 7000 habitants d’une ville ont même été déguerpis !

Les politiciens ne misent que sur le tout-sécuritaire.

Mahamadou Sawadogo, chercheur

Enfin, il y a la question de la stigmatisation des Peuls dans cette partie du Burkina Faso mais aussi du Bénin. Il y a fréquemment des affrontements et des déplacements de populations. Ces questions sont utilisées par les grands groupes terroristes pour recruter.

Depuis trois ans, on semble regarder le Burkina sombrer sans que rien ne soit fait…

En 2015, il y a eu dans le pays une dizaine d’attaques. En 2016, nous sommes passés à 70, puis 200 en 2017, le double encore en 2018 ! Et cette année, rien que pour les cinq premiers mois, nous sommes presque à 200 ! Et ça a l’air de n’inquiéter personne ! Nous alertons, nous livrons les statistiques, mais nous ne sommes jamais écoutés ! Alors, certes, nul n’est prophète en son pays mais je pense surtout que le problème est que les politiciens ne misent que sur le tout-sécuritaire. Du coup, les études scientifiques ne sont pas assez concrètes pour eux et cela ne les intéresse pas.