Fil d'Ariane
Le 6 novembre 2019, au matin, cinq bus escortés par des militaires roulent en direction de la mine d’or de Boungou dans l’Est du Burkina Faso. A 40 kilomètres du site exploité par la compagnie canadienne SEMAFO, le convoi est pris dans une embuscade. Un véhicule de la gendarmerie saute sur une mine tandis que les bus sont mitraillés. L’attaque fera près de 40 morts, essentiellement des ouvriers burkinabé. Il s’agit alors de l’attentat le plus meurtrier depuis le début des violences djihadistes dans le pays cinq ans plus tôt.
L’émotion est immense. Un deuil national est décrété et le gouvernement annonce "une mobilisation générale des fils et filles de la Nation afin de vaincre les meurtriers, sans foi ni loi". Cette mobilisation qui passera par "le recrutement de volontaires dans les zones sous menace" se concrétise deux mois plus tard. Le mardi 21 janvier 2020, la loi des "Volontaires pour la défense de la patrie" est promulguée. L’ensemble des 124 députés du Parlement du Burkina Faso vote en faveur du texte. Les VDP sont nés.
Dès lors, la loi prévoit que les Burkinabé de plus de 18 ans peuvent intégrer cette force supplétive "pour servir de façon volontaire les intérêts sécuritaires de leur village ou de leur secteur de résidence".
Les volontaires signent un contrat avec l’Etat. Ils sont engagés pour un an renouvelable, avec un maximum de cinq ans. La formation est brève, deux semaines. Le VDP y apprend le maniement des armes et le code de conduite. A l’issue de cette brève formation, un fusil automatique AK-47 -une Kalachnikov- lui est délivré. Sa mission détaillée dans la loi sera de faire remonter des informations et de défendre son lieu de résidence, tout en étant autorisé à combattre en attendant l’arrivée des militaires.
Les VDP ne sont pas des enfants de choeur !
Mahamadou Sawadogo, spécialiste des questions sécuritaires
Dans les faits, les réserves -rares il est vrai- émises lors de l’adoption de la loi semblent s’être concrétisées un an et demi plus tard. Comme nous le rappelle Mahamadou Sawadogo, spécialiste des questions de sécurité au Burkina Faso, "les VDP ne sont pas des enfants de choeur !"
Si -comme le rappelle le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) dans une précieuse note d’octobre 2020, "la population semble avoir plutôt bien accueilli cette initiative gouvernementale", certaines voix se sont tout de même elevées pour craindre que cette loi "n’exacerbe les violences intercommunautaires, facilite les exactions et ébranle davantage l’autorité légitime de l’Etat".
Le flou entourant les effectifs des VDP peut également interroger. "C’est un statut assez complexe, explique Mahamadou Sawadogo. Aujourd’hui, on ne peut pas dire exactement combien il y en a. Il y a un certain désordre".
Le chercheur précise en outre que les VDP sont, pour beaucoup, "des Koglweogo avec l’onction de l’Etat". Très décriées, ces milices d’autodéfense issues des communautés fulsé et surtout mossi se sont rendues coupables de nombreuses exactions au cours des dernières années.
Les violences imputables au VDP ont donné lieu fin mai à une alerte du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC) qui, renvoyant dos à dos "terroristes VDP, Koglweogo et islamistes" rapporte par exemple que le 24 mai dernier, "six hommes, dont un instituteur et un vieux de 72 ans" ont été enlevés à une trentaine de kilomètres d’Ouahigouya dans le Nord du pays, par des Volontaires pour la défense de la patrie.
Autre inquiétude rapidement exprimée après la création des VDP, le risque d’un transfert des violences vers les civils, davantage qu’à l’encontre des militaires. Mahamoudou Sawadogo le redoutait dès début 2020 et le constate aujourd’hui : "au fur et à mesure de l’engagement des VDP, on assiste à un désengagement des forces de sécurité".
Ainsi, dans la nuit du 4 au 5 juin, à Solhan, les assaillants djihadistes ont commencé par s’attaquer au maigre verrou que constituait le regroupement des volontaires avant de s’en prendre aux habitants du village. "Le premier détachement de l’armée se trouvait à une vingtaine de kilomètres de là", nous explique l’expert en questions sécuritaires.
La méthode des VDP s’inspirant des groupes civils de défense (Civilian joint task force) mis en place -avec un certain succès- au Nigeria contre Boko Haram met aussi les civils en première ligne, chacun étant potentiellement, aux yeux des mouvements djihadistes, un informateur des autorités burkinabé.
"Dans cette lutte contre le terrorisme, c’est la population qui paye le prix fort", déplore Mahamoudou Sawadogo, regrettant un manque de stratégie au niveau des autorités. "La réponse armée a montré ses limites ! Il faut adapter la lutte à la menace. Il faut chercher à comprendre les dynamiques qui varient d’une région à une autre et adapter la réponse à chaque contexte. Et les VDP ne sont clairement pas la réponse la plus adaptée".