Coupe du monde de rugby

Au-delà des Springboks champions du monde, le rugby africain cherche sa voie

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Kenya rugby

Le Kenya de Collins Injera, ici le 9 août 2016, s'était hissé dans le dernier carré du tournoi olympique de rugby à 7 en 2016 à Rio.

AP Photo/Themba Hadebe
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En deux décennies le rugby a connu un fort développement sur le continent africain. On joue désormais au ballon ovale du Caire au Cap. Mais avec la professionnalisation du rugby à XV, l'écart entre les grandes nations et les nouvelles fédérations s'est accru. Les dirigeants du rugby africain misent désormais sur le rugby à 7, sport amateur devenu discipline olympique. Analyse.
"Le rugby africain existe enfin !". Abdelaziz Bougja, président de la confédération africaine de rugby (aujourd'hui Rugby Afrique) de 2002 à 2019 ne cache pas sa fierté. Aujourd'hui de Tripoli en passant par Kinshasa jusqu'au Cap, des Africains jouent au rugby sur tout le continent.
 

39 fédérations

"Lorsque je suis devenu président de la Fédération marocaine de Rugby en 1997  au lendemain de la Coupe du monde de Rugby en 1995 qui s'était tenu en Afrique du Sud, le nombre de fédérations hors Afrique australe était presque insignifiant. Il y a avait seulement des pays comme la Tunisie, Madagascar, le Maroc, la Côte d'Ivoire, le Sénégal et, le Kenya avaient réussi à constituer des fédérations. "
 
 
Nous organisions des tournois pour faire jouer des équipes qui s'étaient constituées. On avait peu de moyens. Les équipes du Mali, du Bénin, du Togo prenaient le même avion.
 
Abdelaziz Bougja, président de Rugby Afrique
 
Plus de 20 ans après, 39 pays ont aujourd'hui une fédération avec des équipes nationales et des licenciés. "On a monté des fédérations en Libye, en Égypte, au Mali. On ne peut plus dire que hors Afrique australe le rugby n'existe pas. Cela a été un formidable développement porté par des bénévoles, des présidents de fédérations. Au sein de ce qui s'appelait à l'époque l'International Rugby Board (IRB),  je me suis battu pour que le rugby africain existe".
 
Pour Abdelaziz Bougja, cette période est un peu celle des pionniers. "Nous organisions des tournois pour faire jouer des équipes qui s'étaient constituées. On avait peu de moyens. Les équipes du Mali, du Bénin, du Togo prenaient le même avion", explique l'ancien président de Rugby Afrique.
 
Les militaires français jouaient au rugby et le travail des fédérations qui se sont mises en place a été de décloisonner ce rugby, 'l'africaniser' en quelque sorte.
 
Guedel Ndiaye, président de la fédération sénégalaise
Guedel Ndiaye, président de la fédération sénégalaise abonde dans le même sens. "Dans les années 90, il y a eu la naissance d'un rugby en Afrique de l'Ouest. Au Sénégal par exemple dans ma fédération, il y avait seulement quatre équipes de rugby à 15. Deux d'entre elles étaient issues de militaires français sur place. Il y avait une équipe de coopérants et on ne comptait seulement qu'une équipe constituée de Sénégalais. Plus de 20 ans plus tard, on a réussi à mettre en place un championnat avec quinze équipes. Nous existions enfin", décrit Guedel Ndiaye.
 
"Le rugby est un sport qui peut devenir très populaire au Sénégal. C'est un jeu de balle comme le football et un sport de combat comme la lutte sénégalaise", décrit Guedel Ndiaye.
 

Un rugby importé par les militaires français

En Afrique de l'Ouest francophone, le rugby s'est implanté grâce à la présence des bases militaires françaises, souligne ainsi Abdelaziz Bougja, ancien président de la fédération marocaine de rugby et ancien membre du comité exécutif de l'IRB.
 
"Les militaires français jouaient au rugby et le travail des fédérations qui se sont mises en place a été de décloisonner ce rugby, 'l'africaniser' en quelque sorte. C'est ce qui s'est passé au Sénégal et en Côte d'Ivoire", explique l'ancien dirigeant du rugby marocain.
 
Au Maroc, le rugby s'est développé avec la présence d'une forte population française dans le pays. "On comptait 400 000 Français au Maroc avant l'indépendance (1956). Ces Français jouaient au rugby. Ils ont laissé des structures, des clubs. C'est ainsi que Abdelatif Benazzi (né à Oudja au Maroc, devenu international français, capitaine du XV français et finaliste de la Coupe du monde en 1999) a commencé le rugby à XV à 14 ans à l'Union sportive de Oudja", décrit l'ancien président de la Fédération marocaine de rugby, Abdelaziz Bougja.
 
Le pays compte aujourd'hui un championnat de rugby à 15, un championnat féminin et masculin. Le Maroc compte aujourd'hui quelques 8000 licenciés.
 

Un sport populaire à Madagascar

Un grand pays francophone sur le continent qui possède une grande culture rugby. "Madagascar n'a pas attendu le développement du nombre de fédérations. Il y a une vrai culture rugby dans le pays. Les finales des tournois peuvent attirer plus de 40 000 personnes dans un stade avec la présence du président de la République, un peu comme en France. Vous voyez les enfants dans la rue jouer au rugby."
 
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Ces cultures rugby naissantes ou confirmées n' ont cependant pas reçu le soutien espéré ces dernières années des instances internationales dirigeantes du rugby, l'International Rugby Board désormais appelé World Rugby selon Abdelaziz Bougja et Guedel Ndiaye.
 
"Sous la présidence française de l'IRB (aujourd'hui World rugby) avec Bernard Lapasset en 1995-1996, il y a eu une vraie volonté de développer le rugby à l'échelle mondiale et sur le continent africain. Cette volonté s'est émoussée avec ces successeurs. Le soutien financier est désormais moindre", constate Abdelaziz Bougja.
 
Ainsi l'instance dirigeante du sport mondial, World Rugby, verse environ 5 millions de dollars (4,5 millions d'euros) à chaque nation européenne de rugby pour promouvoir le sport. Aujourd'hui, World Rugby ne verse que 2 millions de dollars à l'ensemble du continent africain hors Afrique du Sud. Cela équivaut à environ 55 000 dollars en moyenne pour chacune des 38 nations de rugby en Afrique. World Rugby n'a pas comuniqué sur ces disparités budgétaires.
 
Selon Guedel Ndiaye, dirigeant du rugby sénégalais, cette maigre manne de 2 millions de dollars reste mal fléchée.
 
"On voit que World Rugby favorise par exemple beaucoup la Namibie financièrement en sachant que le rugby namibien reste cependant une annexe du rugby sud-africain. Les joueurs namibiens évoluent dans les championnats sud-africains. Pourquoi ne pas mettre de l'argent dans le rugby au Nigeria, premier pays par sa population du continent ? Pourquoi ne pas aider Madagascar où le rugby reste populaire ? Les joueurs malgaches sont dits trop petits mais si on mettait de l'argent pour détecter les plus grands on pourrait former des gens bien plus compétitifs. Rien n'est impossible. Regardez le Japon. C'est devenu un pays émergent du rugby mondial mais il faut des moyens", explique Guedel Ndiaye.
 
Je me souviens en 1983 j'ai joué avec la sélection marocaine contre la grande équipe de France des Serge Blanco et Philippe Sella. Nous avions réussi à les accrocher et les défier physiquement. Aujourd'hui, ce serait impossible.
 
Abdelaziz Bougja, ancien joueur et ancien président de Rugby Afrique
"Nous avons besoins cruellement d'infrastructures. Il est difficile dans certains pays africains d'avoir un simple terrain gazonné. Le gouvernement nous en a promis un pour 2026 à Dakar. Nous l'attendons impatiemment", explique Guedel Ndiaye. "Et puis nous avons besoin de jouer des matchs. Nous n'avons jouer que deux matchs internationaux cette année. Cela coûte cher, notamment les déplacements. Nous revenons à chaque fois à la question des moyens", ajoute le président de la fédération sénégalaise.
 
Kenya AP Photo/Anthony Kwan

Brian Tanga du Kenya se fait plaquer par Leroy Carter de la Nouvelle Zélande lors du tournoi de rugby à 7 de Hong kong.

AP Photo/Anthony Kwan
 
Mais n'est-il pas trop tard pour le rugby à 15 sur le continent ? "L'arrivée du professionnalisme a tout changé dans le rugby à 15. Il est quasi impossible pour ces nouvelles nations du rugby de concurrencer les grandes nations du rugby. Les joueurs professionnels des grandes nations sont beaucoup mieux préparés. Je me souviens, en 1983, j'ai joué avec la sélection marocaine. Nous avions joué contre la grande équipe de France des Serge Blanco et Philippe Sella. Nous avions réussi à les accrocher (défaite 25 à 15) et les défier physiquement. Aujourd'hui, ce serait impossible", témoigne Abdelaziz Bougja.
 
"Le professionnalisme a fermé la porte aux nouveaux entrants. L'écart s'est agrandi entre ceux qui touchent plus de ressources et ceux qui démarrent. Le mode de gouvernance de World Rugby ne favorise pas les choses. Au sein du comité exécutif de World Rugby, le Pays de Galles compte 4 voix contre deux pour tout le continent hors Afrique du Sud", constate pour sa part Guedel Ndiaye.
Certaines équipes du continent se sont frottées aux équipes professionnelles. Ce fut le cas du Kenya avec la Currie Cup. Ce tournoi est la principale compétition professionnelle du rugby à 15 en Afrique du Sud, regroupant les 14 provinces du pays.
 
Kenya rugby à 7

Le joueur kényan Henry Paterson lors d'un match contre l'Australie lors du tournoi de rugby à 7 de Dubai en 2022.

AP Photo/Kamran Jebreili
 
"Le résultat fut douloureux d'un point de vue financier et en terme de résultats pour le rugby kenyan", décrit Abdelaziz Bougja, ancien président de la Confédération africaine de rugby.  "Les sélections nationales de rugby qui se montent comptent beaucoup de joueurs qui jouent dans les championnats européens. C'est le cas de l'Algérie où la sélection est pratiquement composée de joueurs binationaux", décrit l'ancien dirigeant du rugby africain.
 

Le rugby à 7 voie de développement de ce sport sur le continent ?

Existe-t-il une autre voie pour le rugby sur le continent ? "Le rugby à 7 est une voie que nous devons explorer. Ce sport est un sport olympique désormais qui gagne en visibilité mais qui est surtout resté amateur. C'est un sport ludique, moins complexe que le rugby à XV", explique Abdelaziz Bougja, ancien président de la Confédération africaine de rugby. Le beach rugby (rugby de plage) est également une piste suivie par les fédérations africaines. "L'envie du jeu est là. Je le vois de plus en plus au Sénégal. Des jeunes jouent sur la plage au rugby", décrit Guedel Ndiaye.
 
Un nouveau patron de la Confédération africaine de rugby (Rugby Afrique) est en poste depuis mars 2023. Herbert Mensah, kenyan, est le premier président anglophone de Rugby Afrique. L'homme veut que World Rugby consacre plus d'argent au rugby africain. Il espère surtout que le rugby africain va être capable de générer ses propres ressources.
 
La Côte d'Ivoire pays organisateur de la CAN 2023, a déjà accepté de mettre ses stades de football à la disposition du rugby pour une future compétition continentale.