Fil d'Ariane
Le gouvernement a coupé internet samedi soir et instauré un couvre-feu au Gabon en invoquant des risques de violences, peu avant la fin de la présidentielle opposant le sortant Ali Bongo Ondimba à son principal opposant, Albert Ondo Ossa. Ce dernier venait de dénoncer des "fraudes" et d’exiger d’être proclamé vainqueur à l’issue du scrutin.
Ali Bongo Ondimba a coupé internet dans son pays, instauré un couvre-feu et interdit de diffusion provisoirement les médias francophones TV5MONDE, RFI et France 24, sur fond d'accusation de fraude par son principal opposant dans les élections, Albert Ondo Ossa.
M. Ondo Ossa, très vindicatif immédiatement après avoir voté, avait également demandé, filmé en direct sur les réseaux sociaux, au président Bongo, au pouvoir depuis 14 ans, de "partir", se portant "garant" de sa sécurité.
Deux heures à peine plus tard, l’internet a été coupé et le ministre de la Communication, Rodrigue Mboumba Bissawou, a annoncé à l’antenne de la télévision d’Etat que le gouvernement instaurait un cessez-le-feu nocturne de 19h à 6h à compter de dimanche et l’obligation de demander une autorisation trois jours avant d’organiser toute réunion ou manifestation.
Il a également confirmé la "suspension" immédiate d’internet "jusqu’à nouvel ordre et sur toute l’étendue du territoire". Invoquant pour ce faire, au nom de l’"intérêt supérieur de la Nation", la nécessité de parer aux "appels à la violence" et aux "fausses informations" dans les réseaux sociaux, et de "prévenir tout débordement et assurer la sécurité" des populations.
La télévision publique a ensuite annoncé que la fermeture de certains bureaux de vote avait été repoussée de plusieurs heures, nombre d'entre eux n’ayant ouvert que très tardivement en raison notamment de l’absence de matériel de vote.
Dans la soirée, la chaîne de télévision publique citant le Haute Autorité de la Communication (HAC), a en outre annoncé "l'interdiction provisoire de diffusion au Gabon des médias France 24, RFI et TV5 Monde" auxquels il est "reproché un manque d’objectivité et d’équilibre dans le traitement de l’information en lien avec les élections générales en cours".
Samedi, quelque 850.000 Gabonais étaient appelés à voter pour les élections présidentielle, législatives et municipales, toutes sur un tour de scrutin.
Ali Bongo, 64 ans, brigue un troisième mandat face à Albert Ondo Ossa, son plus sérieux rival, derrière lequel s'est rangée tardivement la plus grande partie de l'opposition.
En sortant du bureau où il votait et qui venait d’ouvrir avec huit heures de retard faute de matériel de vote, M. Ondo Ossa a fustigé "des fraudes orchestrées par Ali Bongo et ses partisans".
"A la fin de la journée, Albert Ondo Ossa doit être déclaré vainqueur", a-t-il tonné.
Prenant à témoin la "communauté internationale", il a lancé : "Le moment est venu pour Ali Bongo de partir, il n’y aura aucune négociation". "Je n’ai pas peur de lui", a-t-il ajouté.
Ces élections se déroulaient sans observateurs internationaux, africains comme européens et aucun journaliste étranger n’a reçu les accréditations demandées ou n’a été autorisé à entrer au Gabon pour les couvrir, s’était ému la veille l’ONG Reporters sans Frontières.
Quatorze prétendants s'affrontaient dimanche pour la présidentielle mais seul M. Ondo Ossa, que les principaux partis d’opposition ont désigné pour être leur candidat commun, avait des chances de rivaliser sérieusement avec le sortant.
A 69 ans, ce professeur d’économie à l’université de Libreville, avait promis de "chasser" du pouvoir par les urnes le chef de l'Etat et son tout-puissant Parti démocratique gabonais (PDG) et de mettre un terme à une "dynastie Bongo" à la tête depuis plus de 55 ans d'un pouvoir que l'opposition accuse de mauvaise gouvernance et d'être gangrené par "la corruption".
Ali Bongo avait été élu une première fois en 2009 après la mort de son père Omar Bongo Ondimba, qui dirigeait le Gabon depuis plus de 41 ans.
M. Ondo Ossa, 69 ans, peu connu du grand public jusqu'alors, avait été choisi par les principaux partis de l'opposition, rassemblés dans la plateforme Alternance 2023, à huit jours seulement du scrutin.
M. Bongo, quant à lui, a rassemblé systématiquement, au cours d'une tournée dans tout son pays pendant des mois, puis d'une campagne massive et très médiatisée ces deux dernières semaines, des milliers, voire des dizaines de milliers, de partisans. Dans un marathon de six jours, M. Ondo Ossa a drainé localement des foules comparables.
De nombreux autres bureaux dans tout le pays ont ouvert très tardivement ou sont restés fermés, a affirmé à l'AFP François Ndong Obiang, le président d'Alternance 2023. De même, les bulletins au nom de M. Ondo Ossa manquaient dans "beaucoup de bureaux" et ceux des candidats qui s'étaient officiellement désistés en sa faveur sont restés présents dans d'autres, a-t-il accusé, dénonçant une "organisation du scrutin préparée pour mettre le chaos".
Interrogé par l'AFP sur ces accusations, le Centre Gabonais des Elections (CGE), l'instance qui organise les scrutins, n'a pas voulu faire de commentaires.
M. Ondo Ossa, un ancien ministre d'Omar Bongo, avait aussi exhorté les Gabonais à "ignorer" les législatives pour se concentrer sur la présidentielle parce que le CGE a instauré au dernier moment un bulletin unique pour les deux votes, liant impérativement le prétendant à la députation au candidat du même parti pour la présidence. Un procédé destiné à favoriser M. Bongo et le PDG, accuse l'opposition.
Candidat indépendant, sans parti donc, M. Ondo Ossa a promis de dissoudre la future Assemblée nationale s'il était élu.
L'opposition avait déjà critiqué une "modification des règles du jeu" il y a cinq mois pour tailler une réélection sur mesure au sortant, en repassant le scrutin de deux à un tour, gagnable à la majorité relative pour M. Bongo, face à 13 candidats.
En 2016, il avait été réélu, mais laborieusement, avec 5.500 voix seulement d'avance sur l'opposant Jean Ping, qui dénonçait des "fraudes".
Un AVC en octobre 2018 avait laissé M. Bongo de longs mois invisible et une partie de l'opposition continue, bientôt cinq ans après, de mettre en doute ses capacités physiques et intellectuelles à diriger le Gabon. La majorité, pour sa part, dénonce des campagnes centrées sur sa santé, "sans aucun autre programme".
Le Gabon est l'un des pays les plus riches d'Afrique en PIB par habitant, grâce à son pétrole, son manganèse et son bois notamment. Mais "le pays peine à traduire la richesse de ses ressources en une croissance durable et inclusive" et un tiers (32,9%) de ses habitants vivent sous le seuil de pauvreté, écrivait la Banque mondiale en avril 2023.