Albert Schweitzer, théologien protestant et médecin débarque au Gabon en 1913. Jusqu'en 1965, année de sa mort, il dirigera l'hôpital qu'il a fondé à Lambaréné. Ce week-end le gouvernement gabonais avait décidé de commémorer ce centenaire avec éclat. Si en France, le nom de Schweitzer tombe peu à peu dans l'oublie, au Gabon sa mémoire est omniprésente. Entretien avec Augustin Emane, auteur de "Docteur Schweitzer, une icône africaine" (Fayard).
Pourquoi vous êtes vous intéressé au Dr. Schweitzer qui est une figure un peu tombée dans l’oubli ? On n’en parle plus en France mais il reste toujours présent au Gabon. Allez dans n’importe quelle ville de France, vous trouverez une rue Albert Schweitzer mais peu de gens pourront vous dire qui il est. Au contraire, au Gabon, il n’y a pas de monuments « Schweitzer » -si l’on excepte l’hôpital conservé à Lambaréné-, mais tous les Gabonais le connaissent. C’est quelqu’un de présent dans les mémoires. En Europe, la figure du médecin colonial met mal à l’aise. C’est lié à notre rapport au passé Donc, il a une image positive pour les Gabonais ? Pas pour tous les Gabonais. C’est très contrasté. Il y a une différence suivant les générations. Pour les personnes qui ont connu son époque ou sont nés juste après, il reste une référence. Aujourd’hui, les jeunes générations ont un regard plus acéré. Ici, au Gabon, j’ai du plusieurs fois m’expliquer sur le titre de mon livre : « une icône africaine ». Depuis les années 50, on peut parler d’une figure colonialiste, paternaliste, … mais il reste une figure majeure de l’histoire du Gabon. D’ailleurs, à ma connaissance, c’est la première fois qu’on célèbre un personnage de l’histoire du pays, c’est significatif.
Augustin Emane a recueilli les témoignages d'une soixantaine de personnes qui ont côtoyé le Dr. Schweitzer
Et, avec le recul du temps, qu’est ce que vous retenez de Schweitzer ? C’était un bienfaiteur ou un colonialiste ? Quand j’étais jeune, j’étais aussi très critique mais en rencontrant les gens qui l’ont connu, mon jugement a évolué. Je ne peux plus dire qu’il était simplement bon ou mauvais, c’était « un Blanc comme les autres », un produit de la colonisation, mais en même temps, il était différent. Ce n’était qu’un homme avec ses cotés sombre et lumineux. Je ne souscris pas à tout ce qu’il a fait, mais quand il débarque en 1913, je ne suis pas sur qu’il y ait eu beaucoup de candidat pour venir au Gabon. S’il occupe cette place dans ce pays, c’est qu’il n’est pas perçu comme juste un médecin. Il a un ancrage. Il est resté là 50 ans et il y est enterré. A contrario, pourquoi ne parle-t-on plus de Schweitzer en France ? C’est lié au fait que la France a du mal avec son histoire coloniale. C’est le cas pour d’autres figures comme Savorgnan de Brazza ou Faidherbe, peu de gens les connaissent. Pourtant, quoi que l’on pense de la colonisation, ils font partie de notre histoire française et nous devrions les réinterroger pour comprendre des situations contemporaines. On a tendance à avoir peur de parler de la période coloniale, mais il faut connaître cette histoire-là pour comprendre les relations avec les pays africains, par exemple.
Célébrations
07.07.2013Par AFP
Plusieurs dizaines de personnalités du monde politique ou de la recherche étaient présentes samedi 06/07 à Lambaréné, dans l'ouest du Gabon, où se déroulent les célébrations du centenaire de l'arrivée du Dr Albert Schweitzer (1875-1965) au coeur de cette forêt équatoriale. Parmi les invités figuraient notamment la ministre française déléguée à la francophonie Yamina Benguigui, l'ex-ministre des affaires étrangères français Philippe Douste-Blazy ou encore le prix Nobel de médecine Luc Montagnier. Avec le président gabonais Ali Bongo Ondimba, ils ont visité l'ancienne maison du docteur, transformée en musée quelque peu poussiéreux, à quelques pas de l'hôpital qu'il a fondé. On y trouve ses affaires, ses correspondances et notamment de nombreuses bibles en allemand --il était né en Alsace alors annexée par l'Allemagne, et il n'obtiendra la nationalité française qu'après la défaite de l'Allemagne lors de la première guerre mondiale--, mais aussi un orgue sur lequel il s'exerçait tous les jours et préparait ses concerts de récoltes de fonds en Europe. "C'est ma première visite au Gabon (...) c'est merveilleux de venir sur un lieu aussi mythique, cet endroit a gardé toute sa trace, on le sent partout", a déclaré à l'AFP Yamina Benguigui. La ministre a rendu hommage à l'homme qui "a fait don de toute sa vie pour faire avancer la médecine à l'autre bout du monde", assurant qu'il fallait désormais "travailler sur le médicament pour tous", afin d'aider le continent africain. Le professeur Montagnier s'est dit "ému" de marcher sur les pas de cet "humaniste". "Moi j'étais aussi très amateur de musique et j'écoutais les disques d'Albert Schweitzer notamment la grande Toccata de (Jean-Sebastien Bach)", a-t-il confié. Le pasteur alsacien, qui était aussi organiste, donnait régulièrement des concerts en Europe pour financer son hôpital africain. "J'adorais mon grand père. Il a beaucoup influencé ma vie et j'ai pris la décision au lieu de devenir médecin au lieu d'être pianiste. Finalement j'ai fait les deux", a raconté avec malice la petite-fille de Schweitzer, Cristiane Engel. Les célébrations de samedi précèdent un symposium scientifique international dimanche à Libreville consacré aux trois grandes épidémies qui affectent l'Afrique: le paludisme, la tuberculose et le VIH/sida. Débarqué en 1913 à Lambaréné, sur l'un des territoires les plus sauvages de l'empire colonial français, le Dr Schweitzer qui fut l'un des plus grands médecins humanitaires du 20e siècle a marqué durablement le Gabon en y apportant une médecine moderne gratuite et accessible à tous. Lauréat du prix Nobel de la paix en 1952, le "Grand blanc" comme on l'appellait au Gabon a surtout été connu pour son éthique du "respect de la vie".