Fil d'Ariane
Le président gabonais Ali Bongo Ondimba, lors d'un meeting, à Libreville, au Gabon, le 11 août 2023.
Le 26 août prochain, près de 847 000 Gabonais sont appelés aux urnes pour un triple scrutin : présidentiel, législatif et local. Afin de faciliter le processus électoral, le gouvernement a adopté le 4 août dernier, un décret instituant un bulletin de vote unique. Une initiative dénoncée par une partie de la société civile et de l’opposition, qui y voit un déni de démocratie et une manœuvre destinée à favoriser le président sortant Ali Bongo Ondimba.
Ce vendredi 18 août, à huit jours seulement des élections, le Centre gabonais des élections(CGE), a lancé une opération de sensibilisation sur les modalités d’utilisation du bulletin unique, adopté pour la présidentielle et les législatives. Une première depuis l’instauration d’élections multipartites dans le pays entre 1990 et 1991.
Selon le Centre gabonais des élections, il y aura deux urnes dans tous les bureaux de vote : l’une pour les élections locales (conseils départementaux et municipaux), et l’autre pour la présidentielle et les législatives.
La principale innovation concerne la présidentielle et les législatives pour lesquelles il y aura désormais trois types de bulletins de vote. Le premier est dédié aux partis politiques qui présentent des candidats à la présidentielle et aux législatives. Il comportera les photos de ces derniers.
L’électeur qui voudra voter dans sa circonscription pour un député, sera obligé de voter avec le même bulletin pour le candidat à la présidentielle de ce parti politique. Avec ce nouveau système, chaque électeur est contraint de choisir dans le même parti le président de la République et le député de sa circonscription.
Les deux autres types de bulletins sont consacrés aux candidats indépendants à la présidentielle ou aux législatives. Chacun d’eux comportera leurs photos et leurs noms. Chaque électeur n’ayant droit qu’à un vote, choisir l’un de ces bulletins revient nécessairement à s’abstenir pour l’un ou l’autre scrutin.
L’électeur qui vote pour un candidat indépendant aux législatives, renonce de facto à la présidentielle et vice versa. Deux candidats indépendants à la présidentielle et aux législatives ne peuvent pas constituer un bulletin unique. Et deux candidats qui appartiennent à deux formations politiques ou groupements de partis politiques différents, ne peuvent pas non plus être représentés par un bulletin unique.
S’agissant de l’élection des conseils départementaux et municipaux, le bulletin de vote comporte seulement la photo du candidat tête de liste, suivie des noms de ses colistiers. Chaque électeur votera deux fois : d’abord pour la présidentielle et les législatives qui sont couplées, puis pour les élections locales.
Pour les autorités gabonaises, ce nouveau système permet de faciliter le processus électoral, tout en réalisant un gain de temps et des économies. L’opposition quant à elle crie au scandale et dénonce une manœuvre destinée à favoriser le président sortant Ali Bongo Ondimba.
C’est le 31 juillet dernier, à l’issue de son assemblée plénière, que le Centre gabonais des élections a annoncé l’adoption de ce bulletin unique. Dans la foulée, un décret a été publié début août, suscitant la colère d’une partie de la société civile et de l’opposition.
Cette dernière a immédiatement déposé des requêtes auprès de la Cour constitutionnelle, convaincue que le bulletin unique ne respecte pas la séparation des pouvoirs.
Si je choisis de voter pour un président indépendant, je n’ai plus le droit de voter pour n’importe quel député. Il y a donc une restriction majeure de mes droits en tant que citoyen.
Mike Jocktane, directeur de campagne d’Albert Ondo Ossa, candidat de la coalition d'opposition Alternance 2023
Dans une décision rendue samedi 12 août, la Cour constitutionnelle a finalement entériné le bulletin de vote unique. Elle précise qu'"aucun des moyens invoqués par les requérants n'ayant prospéré, leurs requêtes sont rejetées".
Malgré tout, la plateforme Alternance 2023, principale coalition de l’opposition, qui s’est dotée la semaine dernière d’un candidat unique, Albert Ondo Ossa, continue de décrier cette initiative. Elle dénonce un "bulletin inique" qui, à ses yeux, "bafoue la liberté de vote".
« Le vote de l’électeur doit être libre. Or là, on oblige l’électeur à choisir une fois pour deux candidats. Il vote donc obligatoirement pour un ticket. Et si par exemple je dois voter pour un candidat indépendant à la députation, automatiquement on m’oblige à m’abstenir de voter pour choisir le président de la République. Si je choisis de voter pour un président indépendant, je n’ai plus le droit de voter pour n’importe quel député. Il y a donc une restriction majeure de mes droits en tant que citoyen. », nous a confié Mike Jocktane, directeur de campagne d’Albert Ondo Ossa.
Un point de vue que ne partage évidemment pas la majorité au pouvoir à Libreville. « Moi je ne comprends pas ce procès qu’on nous fait, à savoir que c’est une disposition qui favoriserait le candidat du PDG [Parti démocratique gabonais, NDLR]. Non, c’est un faux procès. C’est une fuite en avant. C’est une disposition des personnes qui se sentant battues veulent trouver des alibis, des subterfuges, des prétextes pour maquiller leurs faiblesses sur le terrain. », affirme ainsi Frédéric Massavala Maboumba, l’un des porte-paroles du candidat Ali Bongo Ondimba.
Néanmoins, une partie de l’opposition continue d’accuser le pouvoir d’avoir instauré le bulletin unique au dernier moment, afin de favoriser la réélection d’Ali Bongo, au pouvoir depuis quatorze ans.
Le challenge aujourd’hui, c’est de veiller à la représentativité de l’opposition dans tous les bureaux de vote.
Nadia Christelle Koye, vice-présidente du Centre gabonais des élections et représentante de l’opposition
Pragmatique, la vice-présidente du Centre gabonais des élections et représentante de l’opposition, Nadia Christelle Koye, souligne pour sa part : « Le bulletin unique a été adopté, nous ne pouvons pas revenir dessus. Le challenge aujourd’hui, c’est de veiller à la représentativité de l’opposition dans tous les bureaux de vote. »
Et elle ajoute : « Les scrutateurs sont formés, les partis politiques de l’opposition et de la majorité ont désigné leurs scrutateurs, qui devront sécuriser l’expression des suffrages. Nous devons consacrer toutes nos énergies à sécuriser les votes, à veiller à ce que nos votes ne soient pas pervertis. »
Même s’il a été désigné comme candidat de la plateforme Alternance 2023, Albert Ondo Ossa est considéré comme un indépendant au regard des nouvelles dispositions légales. Il ne peut donc avoir de candidats pour les législatives sur son bulletin. Les électeurs qui voteront pour lui devront nécessairement renoncer à voter pour un député.
D’ailleurs, lors d’un meeting qui s’est tenu à Libreville, le 20 août dernier, les leaders de la plateforme Alternance 2023 ont appelé leurs partisans à "ne voter que pour le président" et à sacrifier leur vote pour l’Assemblée nationale.
« Il n’y aura aucun candidat Alternance 23 aux législatives. En fait, nous avons fait une croix sur les élections législatives. Alternance 23 ne va qu’à l’élection présidentielle et aux élections locales. Nous ne soutenons aucun député. Et d’ailleurs, nous avons demandé à tous nos candidats aux législatives de se retirer de la course. », nous a précisé Mike Jocktane, directeur de campagne d’Albert Ondo Ossa.
Arrivé au pouvoir en 2009 après la mort de son père Omar Bongo, resté à la tête du pays durant quarante et un ans, Ali Bongo Ondimba a été réélu de justesse en 2016, face à son rival Jean Ping derrière lequel une partie de l’opposition s’était ralliée. Agé de 64 ans et affaibli par un accident vasculaire cérébral depuis octobre 2018, Ali Bongo devra affronter treize candidats lors d’un scrutin à un seul tour.