L’Etat-major français est contraint de réajuster son dispositif militaire face à la propagation des groupuscules djihadistes dans l’est et le centre du Mali. Alors que la force sous-régionale du G5 Sahel peine toujours à démarrer ses activités.
A seulement 150 kilomètres au sud de Gao, une centaine de soldats s’affairent dans un nuage de poussière permanent. Cette nouvelle base située à Gossi est sur un axe stratégique, non loin de la route principale qui mène à Bamako. Barkhane franchit durablement -et pour la première fois- le fleuve Niger, avec armes et bagages. Les militaires français s’implantent dans la région du Gourma, vaste secteur qui englobe Tombouctou, Mopti et Gao.
« Suivre la violence »
Une façon de « suivre la violence », explique Aurélien Tobie, chercheur principal sur le Sahel à l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri). Après un an et demi de combats dans le Liptako, à la frontière nigérienne, le général François Lecointre estime avoir «
atteint un certain point de développement, de restauration de l'Etat malien et d'affaiblissement de l'ennemi ».
Plusieurs hauts responsables terroristes ont été tués ces derniers mois et les groupuscules djihadistes se sont progressivement déplacés le long de la frontière, jusqu’au Burkina Faso. Une manière de fuir les frappes aériennes et les assauts français.
La caserne de Gossi est appelée à devenir «
une base d’assaut » capable de projeter des forces aussi bien au Burkina que dans le centre du Mali. Mais la tâche des soldats français risque d’être bien plus compliquée que dans le nord-est. «
Dans le Liptako, Barkhane s’est appuyée sur des milices locales, le MSA et le Gatia, pour mener le combat contre les jihadistes », raconte Aurélien Tobie. Une stratégie, vertement décriée par bon nombre d'observateurs internationaux, qui reprochent au forces françaises leurs liens ambigu avec ces milices coupables d'exactions. «
S'appuyer sur ces groupes non-étatiques c'est leur conférer une aura, une légitimité », renchérit-il. Les partenaires opportuns de Barkhane ont si bien combattu que l’EIGS (Etat Islamique au Grand Sahara) leur a
même déclaré ouvertement la guerre.
S'appuyer sur ces groupes non-étatiques c'est leur conférer une aura, une légitimitéAurélien Tobie, chercheur sur le Sahel au Sipri
«
Mais plus au centre, il n’y a pas de forces amies sur qui compter », poursuit le chercheur. A part peut-être l’armée malienne, «
mais qui n’a pas la force principale du MSA et du Gatia, à savoir la connaissance approfondie du terrain ». Peu formés et désorganisés, les militaires Maliens sont des cibles de choix pour les terroristes qui en profitent pour se ravitailler en armes, munitions et véhicules en attaquant les casernes.
Un soldat français tué dans le Gourma
Quelques jours après l’annonce officielle de leur arrivée dans le Gourma, un détachement français a été la cible d’une attaque indirecte. Un engin explosif improvisé a sauté au passage d’un blindé.
Un militaire est décédé. Un autre a été blessé. C’est le 24è soldat français mort au Mali depuis le début de l’opération.
Le SSA est en deuil. Le médecin Marc Laycuras a été tué dans l’accomplissement de sa mission au service de la #France. L’ensemble du Service de santé s’associe à la peine de sa famille, de ses proches et de ses camarades. ➡️https://t.co/uzRmNXhBcR pic.twitter.com/zRykuewJMm
— SantéArmées (@santearmees)
2 avril 2019Cette extension de Barkhane portera-t-elle ses fruits ? Il est permis d’en douter tant l’ennemi semble multiple et insaisissable aux confins des frontières maliennes et Burkinabè.
Outre des éléments de l’EIGS, les soldats vont devoir faire face à plusieurs groupuscules, ramifications d’Al Qaïda et d’Ansaroul-al-Islam, très actifs à la frontière avec le Burkina.
Pour Yvan Guichaoua, la course-poursuite engagée entre les djihadistes et les forces françaises est à l’avantage des premiers. «
Le rythme d’élimination des chefs n’est pas aussi rapide que celui du renouvellement des capacités organisationnelles », affirme le chercheur pour qui l’explication peut se trouver dans une logique de coût.
«
Cela ne coûte pas très cher à des petites cellules jihadistes de mener des attaques dans de nouvelles zones, comme au Burkina. Par contre, cela inflige des coûts très élevés aux forces anti terroristes qui avant de s’installer dans un nouvel endroit doivent mettre en place les chaînes logistiques », déplacer du matériel, des hommes et des moyens aériens.
Les terroristes ont tout intérêt à forcer l’extension d’un dispositif, à disperser les troupes et infliger des coûts plus élevés à ceux qui les combattentYvan Guichaoua, enseignant chercheur à la Brussel School International Studies
En d’autres termes, faute de pouvoir se confronter directement (sauf cas particulier) à des forces plus importantes qu’eux, «
les terroristes ont tout intérêt à forcer l’extension d’un dispositif, à disperser les troupes et infliger des coûts plus élevés à ceux qui les combattent ». C’est exactement le cas de figure à Gossi.
Le centre du Mali dans la tourmente
Plus à l'ouest, dans la région de Mopti où opère le groupe jihadiste du prédicateur radical peul Amadou Koufa, «
on est en mesure d'intervenir si besoin », commente un haut gradé français de Barkhane. Mais «
le gouvernement malien a toujours fait savoir qu'il s'occupait de cette zone. C'est une question de fierté nationale », tempère un autre haut responsable militaire. Les chiffres parlent pourtant d'eux-mêmes et illustrent la déliquescence de l'Etat malien. Au centre du pays, plus de 800 écoles sont fermées à cause de l'insécurité et des menaces de prédicateurs religieux.
Quant
au G5 Sahel, censé assurer la sécurité transfrontalière du Mali, Burkina Faso, Mauritanie, Tchad et du Niger,
il n'est tout simplement pas prêt, malgré les effets d'annonces répétés des partenaires.