Fil d'Ariane
C’est l’histoire d’une résistance oubliée, ignorée, mais ô combien héroïque. C’est l’histoire du peuple de Gao, qui, seul et à mains nues, a fait face aux indépendantistes touareg et aux djihadistes.
Nous sommes en janvier 2012, et le Nord du pays est occupé par une coalition de groupes rebelles armés. Parmi eux, le MNLA, Mouvement National de Libération de l’Azawad, groupe nationaliste et indépendantiste à majorité touareg, qui revendique la scission du Mali et l’indépendance touareg au nord ; mais aussi le MUJAO, Mouvement pour l’Unicité et le Djihad en Afrique de l’Ouest, un groupe armé islamiste et djihadiste à majorité arabe, et qui prône l’application de la charia sur tout le territoire malien.
Le 31 mars 2012, la ville de Gao tombe entre les mains du MNLA, auquel succède le MUJAO, trois mois plus tard. Une occupation qui va durer dix longs mois. A l’époque, l’on parle beaucoup, et à juste titre, de la résistance des populations de Tombouctou, qui font tout ce qu’elles peuvent pour préserver les célèbres manuscrits de cette cité mythique.
Rien cependant sur le peuple de Gao, la ville voisine, ancienne capitale du second empire Songhaï, l’un des plus illustres du continent, fondé en 1335 par le roi Ali Kolen, et qui s’effondra un siècle plus tard, après la bataille de Tondibi, gagnée par l’armée marocaine du pacha Djouder Mahmoud ben Zergoun.
Dans les jours qui ont suivi cette invasion terroriste, à Bamako, le jeune réalisateur malien Kassim Sanogo s’inquiète pour ses amis qui vivent à Gao. L'un d’eux, le rappeur Black Nosby, chef de file du mouvement des « Jeunes Patrouilleurs », le tient informé de leur combat. Et alors même que le peuple de Gao se sent abandonné par l’Etat malien, et qu’il oppose tant bien que mal une résistance acharnée aux djihadistes, au sud du pays, beaucoup sont persuadés qu’il s’est allié aux groupes rebelles.
Certes il n'était pas aisé de savoir ce qui se passait exactement dans cette région située à plusieurs centaines de kilomètres de la capitale. Mais de là à condamner toute une population pour collaboration, il n'y a qu'un pas que beaucoup ont allègrement franchi, à tort bien entendu.
Cinq ans après cette année noire comme il l’appelle, Kassim Sanogo décide de consacrer un film à cet épisode tragique de l'histoire récente du pays.
Après les projections à Bamako et Gao, en janvier et février dernier, le film Gao, la résistance d’un peuple entame une tournée qui le mènera notamment au 35e Festival Vues d’Afrique, à Montréal, au Canada, ou encore aux 18e Rencontres Afriques en Docs, à Lille, en mai prochain.
Se souvenant d'une autre page de histoire, celle des Songhaïs, dont le premier empire fut fondé au VIIe siècle, et le second au XIVe siècle, il décide d’établir un parallèle entre le prestige guerrier des armées impériales d’antan, et le combat victorieux de la jeunesse d’aujourd’hui contre les djihadistes.
Ainsi, tout au long des cinquante-quatre minutes de ce passionnant documentaire, l’un des animateurs vedettes de Radio Naata, l’une des radios les plus importantes de Gao, revient sur l’histoire de l’empire Songhaï et son legs aux générations actuelles. Un choix loin d’être anodin, car le siège de cette station est aussi le lieu où s’est tenue la première assemblée générale des enfants de Gao qui, en cette année 2012, étaient persuadés de vivre une profonde injustice.
« C’était un meeting né de toutes nos frustrations, témoigne Roujo, le chef du mouvement des jeunes « Nous pas bouger ». Chacun avait soit un proche qui avait perdu la vie ou ses biens, soit une sœur qui avait été violée ». Très vite, la résistance s’organise autour des mouvements de jeunes, et du Cadre de concertation des notables de la ville, vieille institution locale, dont le rôle social est basé sur les traditions songhaïs.
Outre la nécessité de faire comprendre aux djihadistes qu’ils ne peuvent pas bénéficier de leur soutien, les populations locales étaient contraintes d’organiser la vie de la cité en l’absence des services de l’Etat. Il fallait aussi canaliser la colère d’une partie de la jeunesse, tentée de s’en prendre aux commerçants arabes de Gao ou encore aux Touareg qui, dans leur immense majorité, n’avaient rien à voir avec les indépendantistes du MNLA.
Puissamment armés et dotés d’importantes ressources financières, les combattants du MUJAO tentent, en vain, de rallier le peuple de Gao à leur cause. La directrice du centre d’animation pédagogique de Gao se souvient des tentatives de détournement de la jeunesse déployées par les djihadistes : « Les groupes armés étaient là pour faire miroiter l’argent aux jeunes, en disant : venez avec nous, nous allons vous donner 100 000 FCFA, 150 000 FCFA. Même parmi les enseignants, certains ont été tentés de rejoindre les groupes armés, parce qu’ils avaient de l’argent. Nous leur avons dit que l’argent était un autre problème : si vous rejoignez les groupes armés, vous finirez par prendre les armes contre vos propres parents. Beaucoup ont compris notre message. »
Afin d’éviter le désoeuvrement à une partie de cette jeunesse, le Cadre de concertation des notables va convaincre les djihadistes de permettre la reprise des cours dans certains établissements scolaires de la ville. Malgré tout, les mouvements de jeunes restent mobilisés. La place de l’indépendance, transformée en place de la charia par le MUJAO, devient leur point de ralliement.
Ils s‘y opposent autant que faire se peut, aux mutilations décidées par les djihadistes. Le tombeau des Askia, fondé par l’empereur Askia Mohammed, qui régna de 1493 à 1529, symbolise la détermination du peuple de Gao. Lieu de mémoire d’une valeur inestimable, ce monument composé de nécropoles et de lieux de prières a été protégé par les « Jeunes patriotes ». Ils y patrouillaient jour et nuit, et formaient un bouclier humain autour du site, lorsque cela était nécessaire.