Au Mali, pour Alioune Nouhoum Diallo, "si le gouvernement ne peut pas mettre fin à l’impunité, c’en est fini du pays"

Alioune Nouhoum Diallo a été président de l'Assemblée nationale malienne de 1992 à 2002. Aujourd'hui dans l'opposition, il se dit horrifié par les massacres perpétrés ces dernières semaines dans le centre du Mali. Quelles solutions ? Quel rôle pour les forces internationales présentes dans le pays ? Entretien. 
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Sobane-Da, dans la région de Bandiagara dans le centre du Mali, après l'attaque du dimanche 9 juin 2019.
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TV5MONDE : Quelle a été votre réaction en apprenant le massacre perpétré dimanche 9 juin à Sobane-Da ?
 

Alioune Nouhoum Diallo : Lorsque j’ai été informé de cet horrible massacre de chrétiens dogons, j’ai ressenti une grande tristesse, une douleur profonde, et surtout une sidération. Je me suis demandé comment des humains pouvaient massacrer d'autres humains de la sorte. Ce n’était pas le premier massacre mais j’ai été horrifié. Comment des Maliens peuvent détruire ainsi d’autres Maliens ? Le mot "condamnables" pour qualifier ces actes est trop faible. 

Vous appartenez vous-même à la communauté peule...

En tant que Peul, j’ai été élu dans le cercle de Douentza dans la région de Mopti. Ce cercle est peuplé de Soninkés, de Songhaïs, de Bambaras, de Touaregs, d’Arabes, de Bellas, de Dogons et de Peuls. Moi, j’ai parlé au nom de ce cercle cosmopolite pendant dix ans. Les députés ont fait de moi leur président pendant dix ans, donc j’ai parlé au nom du Mali pendant dix ans. Comment voulez-vous qu’une composante de la société malienne soit dans l’épreuve et que moi je ne sois pas dans l’épreuve et dans la douleur ?
Je réagis en tant que citoyen malien, en tant que militant de l’État de droit. Je réagis aussi en tant que médecin et comme je l’ai toujours dit, "le jour où un médecin banalise la mort, il peut jeter son stéthoscope". Je ne peux pas réagir en tant que Peul. Comment des terroristes de tout bord peuvent aller s’attaquer à un village et liquider des chrétiens dogons ? C’est horrible à mes yeux.

(Re)lire : Attaque d'un village dogon au Mali : "Le djihadisme et la question agraire expliquent en partie ces violences"

Pour régler cette crise, vous êtes favorable à un dialogue le plus large possible.

A l’ADEMA (parti historique désormais dans l'opposition, NDLR), nous réclamons depuis des mois un dialogue inclusif pour qu’enfin les Maliens se regardent et se demandent ce qui leur arrive. Comment peut-on continuer à vivre chaque jour dans l’horreur ? Au lieu de courir vers des postes ministériels ou chercher à prolonger leurs mandats, les Maliens doivent réfléchir à la grave situation que traverse leur pays. Il faut dialoguer avec tous les enfants du Mali, filles, garçons, vieux, jeunes, quelle que soit leur obédience politique, y compris ceux que l’on qualifie de djihadistes, de terroristes ou je ne sais quoi. Il faut dialoguer avec Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa. Nous savons tous que le second n’est rien sans le premier. Je souhaite que les Maliens se réveillent. Je suis inquiet pour l’avenir de mon pays. Que l’on sorte des rafistolages qui ne servent qu’une minorité de Maliens.

(Re)voir : "Personne ne peut dire qu'il s'agit d'un conflit communautaire", selon Me Moctar Mariko, président de l'AMDH

Ces violences surviennent dans un pays où se trouve pourtant l'ONU à travers la MINUSMA ainsi que l'opération Barkhane emmenée par la France, censée appuyer l'armée nationale malienne. Comment expliquer cette impuissance ? 

Je l’ai dit début juin à Mahamat Saleh Anadif, le représentant pour le Mali du Secrétaire général de l’ONU : si le gouvernrment du Mali ne peut pas mettre fin à l’impunité, s’il ne peut pas arrêter et juger les criminels avérés, c’en est fini du Mali. Et si le gouvernement du Mali ne peut pas le faire, alors pourquoi la MINUSMA qui, comme elle aime le répéter "est là à notre demande" ou bien Barkhane, ne se mettent-ils pas en mouvement pour aider un gouvernement si faible à arrêter tous les criminels ? Nous savons que l’armée malienne en l’état ne parviendra pas à contenir les massacres. La présence de la MINUSMA ou de Barkhane devraient nous aider à arrêter tout ça !
Mais, tant que les forces de l’ONU laisseront tous les ans commémorer l’indépendance d’une partie du Mali alors qu’elles sont là pour garantir l’intégrité de notre territoire, les Maliens s’interrogeront sur l’intérêt de leur présence.

force barkhane villages Mali
La force Barkhane et les FAMa tentent de s'appuyer sur la population de la région, en essayant d'obtenir des informations de leur part, en venant consulter les autorités des villages qu'ils traversent, en prenant le temps de les écouter.
©Julien Muntzer / TV5MONDE

Vous semblez lier la gestion de la crise du Nord avec les violences de ces dernières semaines dans le centre.

C’est en décidant de ne pas rentrer à Kidal que les Français ont commencé à blesser l’amour propre des Maliens. Je ne comprends pas pourquoi on veut nous forcer à appliquer l’accord concocté à Alger. Tous les Maliens sont d’accord pour dire que cet accord va disloquer notre pays. Au lieu de vouloir nous faire appliquer cet accord coûte que coûte, demandons-nous comment arrêter cela ! Parlons du foncier, de l’eau, de la place de la religion, parlons de tout ! Mais que les Maliens décident souverainement. Qu’ils décident eux-mêmes sereinement si l’Adrar des Ifoghas (massif montagneux dans la région de Kidal, extrême-nord, NDLR)  restera une région particulière. Ce qui se passe dans les zones de Ségou et Mopti est intimement lié à ce qui se passe dans l’Adrar. Amadou Koufa n’est rien sans Iyad ag Ghali qui le ravitaille, le finance et qui est son chef politique. Voilà notre situation. Il faut que nos amis nous aident et comprennent cela.