Au nord du Nigeria, crainte d'une reprise des violences malgré un accord de paix

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Des parents d'élèves enlevés par des hommes armés prient pour le retour de leurs enfants dans une localité de l'Etat de Kaduna, dans le nord du Nigeria, le 14 juillet 2021

Des parents d'élèves enlevés par des hommes armés prient pour le retour de leurs enfants dans une localité de l'Etat de Kaduna, dans le nord du Nigeria, le 14 juillet 2021

AFP/Archives
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Les autorités de l'État de Kaduna, dans le nord du Nigeria, ont récemment conclu un accord avec des gangs criminels pour mettre fin aux attaques meurtrières et aux enlèvements, mais la crainte d'une reprise des violences persiste.

Kaduna est l'un des nombreux États du nord-ouest et du centre du Nigeria qui sont terrorisés depuis des années par des gangs criminels, localement appelés bandits, qui procèdent à des enlèvements massifs contre rançon, notamment dans des écoles, et à des pillages et tueries dans les villages.

Les gangs opèrent depuis des camps cachés au coeur d'une vaste forêt s'étendant sur les États de Kaduna, Katsina, Zamfara, Kebbi et Niger.

Après des mois de négociations, le gouvernement de l'État de Kaduna a signé un accord de paix avec les gangs criminels en novembre 2024 afin de mettre fin aux violences auxquelles n'ont pu remédier les déploiements militaires.

Rien qu'en 2024 au Nigeria, pays le plus peuplé d'Afrique, l'équivalent de 1,45 milliard de dollars ont été payés en rançon, près de 11.000 criminels ont été tués et 12.000 ont été arrêtés, selon l'armée nigériane.

Le gouverneur de l'État de Kaduna, Uba Sani, a déclaré au service BBC Hausa en février que l'accord de paix avait été finalisé après que les bandits eurent libéré environ 200 otages en signe de bonne volonté.

Les autorités de Kaduna ont décliné les demandes répétées d'entretien de l'AFP.

Cependant, des sources sécuritaires ont confié à l'AFP que les termes de l'accord exigent des bandits, en grande partie des éleveurs de l'ethnie peule, qu'ils mettent fin aux attaques afin de permettre aux agriculteurs de cultiver leurs champs, en particulier dans le district de Birnin Gwari, une zone agricole dévastée par la violence.

En échange, les opérations militaires contre les bandits cesseraient, permettant aux éleveurs de se rendre sur les marchés locaux pour acheter des marchandises et vendre leur bétail.

"Position de faiblesse"-

Ce n'est pas la première fois que les autorités nigérianes négocient avec des criminels. En 2009, le gouvernement a accordé l'amnistie aux militants armés du delta du Niger, région riche en pétrole dans le sud du pays, en échange de la remise de leurs armes.

Capture vidéo montrant des familles de personnes kidnappées rassemblées pour réclamer leurs libérations, le 7 mars 2024 à Kuriga, dans le nord du Nigeria

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AFP

Un programme similaire a été mis en place pour les jihadistes "repentis" dans le nord-est du pays.

Les États de Katsina et de Zamfara, dans le nord-ouest du Nigeria, avaient déjà mis en place des programmes d'échange d'argent contre des armes à feu avec des gangs. Cependant, ces accords ont échoué au bout de quelques mois, entraînant une recrudescence des attaques.

Kaduna risque maintenant de subir le même sort.

Le mois dernier, plusieurs personnes ont été tuées et kidnappées lors de deux attaques distinctes contre la communauté de Dawakin Bassa, dans le district de Birnin Gwari, violant ainsi l'accord de paix, selon des habitants.

Les bandits ont également déplacé leur attention vers la région méridionale de l'État, à majorité chrétienne, ce qui fait craindre une exacerbation des tensions ethniques et religieuses qui existent depuis longtemps entre les communautés agricoles chrétiennes locales et les éleveurs musulmans peuls au sujet de l'accès aux ressources.

"Je ne pense pas que le programme ait de grandes chances de réussir, car il manque d'éléments complets de démobilisation et de réinsertion", a déclaré Ikemesit Effiong, associé du cabinet de conseil en risques SBM Intelligence, basé à Lagos.

Kaduna se trouve sur une route importante de contrebande d'armes légères au Sahel, où la prolifération des armes est généralisée, fournissant aux bandits un approvisionnement régulier, ce qui rend leur démobilisation "assez difficile", a expliqué M. Effiong à l'AFP.

L'absence d'une stratégie claire de désarmement - contrairement au programme d'amnistie pour les jihadistes dans le nord-est - constitue un risque majeur pour le succès de l'accord de paix et illustre "la faiblesse de la position du gouvernement de l'Etat".

- Liens jihadistes

Les liens croissants entre les bandits, motivés par des gains financiers sans aucune tendance idéologique, et les jihadistes cherchant à créer un califat sont une source de préoccupation pour les responsables et les analystes sécuritaires.

Des enfants libérés après avoir été enlevés par des hommes armés retrouvent leurs familles à Kuriga, dans le nord du Nigeria, le 28 mars 2024

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AFP/Archives

Ansaru, une faction dissidente de Boko Haram ayant des liens avec Al-Qaïda, a établi ces dernières années une forte présence dans le district de Birnin Gwari, où "ils collaborent avec des bandits", selon une source sécuritaire.

"Ansaru bénéficie d'un important soutien financier de la part de groupes jihadistes du Sahel et du Moyen-Orient, ce qui lui donne un énorme avantage en matière de recrutement, car les sommes qu'il verse aux recrues sont considérables", a détaillé Ikemesit Effiong.