Fil d'Ariane
"Je n’ai jamais eu le sentiment d’avoir fauté". Sans attendre, quelques heures après les révélations de la BBC, Aliou Sall a convoqué la presse ce lundi 3 juin. Aux côtés de ses avocats -qui promettent le dépôt d'une plainte pour "diffamation" à l'encontre de la chaîne britannique- le frère du président nie en bloc.
Dans le reportage, la journaliste de la BBC décortique les relations entre Aliou Sall et Franck Timis. En 2012, à la toute fin de la présidence Wade, la société Pétro-Tim, propriété de l'homme d'affaires d'origine roumaine, remporte deux concessions (pétrolière et gazière) au large des côtes sénégalaises, à Saint-Louis et Kayar. Un choix étonnant car Pétro-Tim n'a strictement aucune expertise dans le secteur. Interviewé dans l'enquête de la BBC, Abdoul Mbaye, premier chef de gouvernement de l'ère Macky Sall en 2012 (aujourd'hui très critique à l'encontre du chef de l'Etat), estime que la société n'aurait jamais dû obtenir ces concessions. Un rapport
commandé par le nouveau président arrivera aux mêmes conclusions.
Et pourtant, Pétro-Tim conserve ses concessions et elle va même recruter Aliou Sall pour un salaire de 25.000 dollars mensuels (plus de 15 millions de FCFA). Ce salaire fait grincer des dents mais Aliou Sall considère qu'il est conforme aux rétributions dans le secteur.
La BBC rapporte, en revanche, qu'en 2014, 250.000 dollars d'impôts dûs à l'Etat sénégalais par Pétro-Tim ne lui auraient pas été versés mais seraient partis dans les caisses d'Agritrans, une société appartenant... au frère du président. Lors de sa conférence de presse lundi, Aliou Sall a balayé ces accusations.
Le président sénégalais Macky Sall a dénoncé mercredi 5 juin une tentative de "déstabilisation", trois jours après le reportage de la BBC. "Nous savons que là où il y a du pétrole, certains vont tenter de déstabiliser le pays (...) Le gouvernement va poursuivre cette affaire", a déclaré Macky Sall après la prière de l'Aïd al-Fitr marquant la fin du ramadan. "Je tiens à ce que la vérité soit rétablie", a-t-il dit, sans citer le nom de son frère en raison du "caractère privé" de cette mise en cause.
Réclamant des preuves, il a promis: "S'il faut sanctionner, nous allons sanctionner".
"Toutefois, nous n'accepterons pas de fausses accusations", a averti le chef de l'Etat, élu en 2012 et réélu en février dernier, en assurant que "jamais un pays n'a pris autant de dispositions pour éviter les écueils par rapport aux ressources qui vont être exploitées dans les prochaines années".
Le gouvernement sénégalais a, pour sa part, dénoncé dans la soirée un "reportage manifestement tendancieux" et "ponctué de graves et fausses allégations sur la gouvernance des ressources pétrolières du Sénégal" (avec AFP)
Aliou Sall ne travaille plus pour Pétro-Tim (il est parti en 2016) quand le géant pétrolier britannique BP rachète les deux concessions, au premier semestre 2017. "Aliou Sall n'a rien à voir dans un tel accord", a-t-il donc pu déclarer lundi lors de sa conférence de presse.
Dans son enquête, la BBC publie l’accord signé entre les deux parties, à savoir BP et Franck Timis. L'homme d'affaires roumain a vendu pour 250 millions dollars ses parts dans les deux gisements. Les documents publiés révèlent que BP versera également à Timis entre 9 et 12 milliards de dollars de redevances au cours des 40 prochaines années. Derrière ces sommes astronomiques, l'enquête dévoile surtout qu'au moment de signer le rachat des actions de Timis, BP était au courant des paiements suspects au profit d'Aliou Sall. La compagnie pétrolière rejette aujourd'hui les accusations et affirme que tout s'est fait dans les règles de l'art.
Les informations de la BBC et la contre-offensive d'Aliou Sall font cette semaine la une de toute la presse sénégalaise. Elles ne sont pas, pour autant, un coup de tonnerre.
Voilà plusieurs années que les liens entre le frère du président et le milliardaire soulèvent des interrogations. En témoigne un article de l'hebdomadaire Jeune Afrique publié en octobre 2016.