Fil d'Ariane
“La Casamance ne voulait pas la guerre et la Casamance ne veut pas la guerre. Il faudrait qu’on obtienne le silence des armes et le développement de la Casamance”. L’homme qui parle, c’est l’abbé Augustin Diamacoune Senghor. Mort en 2007, il a incarné pendant 25 ans le MFDC, Mouvement des forces démocratiques de Casamance. Faute d’un successeur consensuel, sa disparition a précipité l’éclatement du MFDC et laissé la Casamance dans un entre-deux “ni guerre-ni paix” intenable à long terme.
Depuis le 26 janvier dernier, l'équilibre a basculé du côté de l’affrontement. L’armée a lancé une opération musclée dans le sud de la région, tout près de la frontière bissau-guinéenne. Son objectif, explique l'état-major, rétablir l’intégrité territoriale.
Nous sommes dans une zone désertée par ses habitants depuis près de trente ans en raison de l’insécurité qui y régnait. Depuis juillet 2020, le rapatriement des déplacés a commencé, mais après trois décennies, les lieux sont occupés par ceux que l’armée qualifie de “porteurs d’armes”, qui goûtent peu à l’idée d’être délogés de ces terrains fertiles. En bombardant la zone depuis la fin du mois de janvier, l’armée souhaite “accompagner ce processus de retour”, nous résume Ibrahima Gassama, journaliste et directeur général de la radio Zig-FM à Ziguinchor.
La préhistoire du mouvement est à chercher à la fin des années 40. Dans la lente marche vers l’indépendance, la Casamance se sent délaissée. Si, à vol d’oiseau, Ziguinchor et Dakar sont à moins de 500 kilomètres l’une de l’autre, il suffit d’observer une carte pour comprendre ce sentiment. Un sentiment qui va grandir au fil des ans. Faible représentation des Diolas dans l'administration publique, expropriation des terres, traitement inéquitable, etc… la demande sociale va se muer en revendication indépendantiste. Le tournant a lieu le 26 décembre 1982, lorsqu’une marche pacifiste à Ziguinchor est sévèrement réprimée. Une partie du MFDC se radicalise et fonde une branche armée, l'Atika, les combattants en Diola. Le conflit en Casamance est né et dure encore, quatre décennies plus tard.
Mais qu'en est-il aujourd'hui de la revendication indépendantiste ? "Quand vous posez la question à des maquisards, en activité ou non, rapporte Jean-Claude Marut, ils vous répondent invariablement qu’ils luttent pour l’indépendance. C’est l’indépendance ou rien ! En fait, le rapport de forces a tellement évolué en faveur de l’Etat sénégalais que la question ne se pose plus : le MFDC a échoué à atteindre ses objectifs par la guerre en grande partie parce qu’il a perdu le soutien des populations qui souhaitent avant tout le retour de la paix. Ce qui ne veut pas dire que le point de vue indépendantiste a disparu".
Lorsque l'abbé Diamacoune meurt début 2007, il laisse un mouvement sans leader naturel. Aucun successeur potentiel ne faisant l'unanimité, le MFDC se délite, chacune de ses parties se disant héritière. Plus grave, souligne Ibrahima Gassama, "jusqu'à la mort de Diamacoune, l'aile politique prenait les devants, discutait. L'aile militaire n'était qu'un bras technique. Mais aujourd'hui, c'est l'aile militaire qui joue les deux rôles". Difficile de négocier dans ces conditions. Jean-Claude Marut va même plus loin : "Le MFDC était déjà divisé avant la mort de l’abbé Diamacoune. La première division remonte au premier cessez-le feu, en 1991 et en 2006, les maquisards se sont même battus entre eux ! Sans entrer dans les détails, on peut dire que ces divisions sont liées en grande partie aux faiblesses idéologiques et politiques congénitales du mouvement"
En 2021, le MFDC, ce sont plusieurs sous-groupes. Au nord de la Casamance, près de la frontière gambienne, le groupe de Salif Sadio incarne le dialogue avec le pouvoir sénégalais. Des discussions existent depuis 2013 par l'intermédiaire de la communauté Sant'Egidio, "mais d'autres branches incarnées par César Atout Badiate ou Ibrahima Kompasse Diatta voudraient être associées au processus de discussion, ce dont Sadio ne veut pas entendre parler ! L'Etat ne sachant pas trop comment se comporter face à ce blocage, les divisions s'exacerbent", constate Ibrahima Gassama. Du point de vue de Jean-Claude Marut, "même s’il n’en est pas forcément à l’origine, l’Etat sénégalais a tout fait pour aggraver ces divisions, sauf que c’est le même Etat qui déclare ensuite qu’il ne peut pas négocier avec un mouvement divisé ! Il s’agit en fait là d’un prétexte car, contrairement au discours officiel, tout montre que l’Etat sénégalais cherche à affaiblir suffisamment la rébellion pour ne pas avoir à négocier avec elle".
"La Gambie est une banane dans la gueule du Sénégal", écrivait l'historien burkinabé Joseph Ki-Zerbo. Si la phrase prête à sourire, les conséquences géopolitique et sociale de cette "banane" sont importantes. La Casamance se trouve prise en étau entre deux voisins, la Gambie et la Guinée Bissau, qui comptent bien jouer leur rôle dans cette crise sénégalaise. En 1992, un accord de paix est ainsi signé en Guinée Bissau, l'accord de Cacheu. Mais l'abbé Diamacoune, absent à la signature pour cause d'emprisonnement, en rejettera les termes. Sept ans plus tard, en juin et juillet 1999, en Gambie, le président Yahya Jammeh organisera "les rencontres de Banjul", en présence de tous les protagonistes. "Les maquisards casamançais ont pu bénéficier de fortes complicités officielles ou officieuses dans les pays voisins, relate Jean-Claude Marut. Ces soutiens extérieurs s’expliquaient par des contentieux entre le Sénégal et ses voisins mais, ces contentieux réglés, il n’y avait plus de raisons de soutenir la rébellion".
Les changements de pouvoir à Banjul et Bissau ont achevé de dissoudre le soutien des deux voisins à la rébellion MFDC. "En Gambie, Jammeh a été éliminé d’abord par les Gambiens eux-même, explique le chercheur, mais son départ, et l’arrivée de son successeur, Adama Barrow, sont le fait du Sénégal. Barrow est alors devenu l’obligé de Macky Sall et n’accorde bien sûr plus aucun soutien au MFDC. Par ailleurs, désormais, Bissau est un allié solide de Dakar. Des accords de défense ont été signés, et l’armée bissau-guinéenne verrouille la frontière pendant que l’armée sénégalaise bombarde les positions du MFDC en Casamance".
Chaque président a adopté sa propre stratégie en faisant table rase de ce qui avait été réalisé avant.
Ibrahima Gassama, journaliste casamançais
Depuis 1982, trois présidents sénégalais se sont frottés à cette crise casamançaise. Abdou Diouf, Abdoulaye Wade -président de 2000 à 2012- puis Macky Sall. Aucun n'est encore venu à bout du conflit, et pour Ibrahima Gassama, chacun y a sa responsabilité : "L'un des principaux obstacles est qu'il n'y a pas eu de passation du dossier casamançais entre les trois présidents. Il n'y a pas de continuité au sein de l'Etat. Chaque président a adopté sa propre stratégie en faisant table rase de ce qui avait été réalisé avant".
Pour le journaliste et directeur de Zig-FM, "on change à chaque fois de plan et même d'architecte. Par conséquent, aucun bâtiment ne parvient à sortir de terre".