Fil d'Ariane
"Un cul de sac politique". L'expression -utilisée il y a quelques jours par l'Agence France-Presse- résumait on ne peut plus clairement la situation dans laquelle se trouvait le Sénégal à un mois des élections législatives.
Mais aujourd'hui, lueur d'espoir : le degré de crispation est redescendu d'un cran cette semaine avec des signes qu'Alioune Tine qualifie de "bons", le fondateur d'Afrikajom center et figure de la société civile sénégalaise considérant que "les conditions sont maintenant propices à un dialogue politique avant les élections" prévues le 31 juillet. Le 17 juin dernier, le même Alioune Tine évoquait pourtant un risque de "dégénérescence démocratique".
Lire : le Sénégal risque une période de "dégénérescence démocratique", selon Alioune Tine.
Réchauffement, donc. Côté opposition, terminés les appels à manifester. Officiellement, Ousmane Sonko, le principal opposant, explique ce changement de stratégie par l'approche de la Tabaski (l'Aïd, fête musulmane la plus importante et parfaitement incontournable) qui aura lieu cette année le 10 juillet, date d'ouverture de la campagne électorale. Sonko évoque également la période des examens dans les écoles.
Lundi, la justice (souvent accusée par l'opposition de servir l'agenda politique du pouvoir) avait pour sa part relaxé un député arrêté le 17 juin lors d'une manifestation interdite. Un autre ayant lui été condamné à de la prison avec sursis.
Le mécontentement de l'opposition devrait donc se manifester par un nouveau concert de casseroles ce jeudi soir "cette fois-ci pas pour dix minutes, mais pour trente minutes", expliquait Ousmane Sonko mercredi, tout en reconnaissant : "Il faut qu’on s’oriente résolument vers la préparation des élections législatives du 31 juillet. Yewwi Askan Wi (la principale coalition de l’opposition, NDLR) ira à ces élections !"
Plusieurs épisodes ont émaillé ce début de processus électoral et alimenté la dégradation d'un climat politique déjà plombé depuis des mois.
Passé relativement inaperçu, le couac de la réforme électorale en avril. Il est relaté par le mensuel Jeune Afrique dans un article intitulé "Législatives au Sénégal : pourquoi le nombre de députés n’augmentera pas" qui fait écho à un autre article publié quelques jours plus tôt et intitulé "Législatives au Sénégal : pourquoi le nombre de députés va augmenter"...
Fin avril, en effet, malgré un consensus entre les différents courants politiques sénégalais, une réforme de l'Assemblée nationale tombe à l'eau. Très technique, elle prévoyait de passer de 165 à 172 députés pour, en théorie, mieux représenter l'ensemble de la population. Mais l'opposition refuse finalement d'y apposer sa signature car elle ne souhaite plus être associée à une augmentation du nombre de députés dans une chambre déjà jugée pléthorique et peu efficiente par une bonne partie de l'opinion sénégalaise.
Ce 31 juillet, les électeurs sénégalais désigneront donc leurs 165 représentants au Parlement selon un mode de scrutin mixte.
Sur les 150 députés élus sur le territoire sénégalais (les 15 autres représentent la diaspora depuis une réforme de 2017), 97 seront issus de listes départementales à la majorité. Les 53 autres seront élus à la proportionnelle sur des listes nationales.
Et c'est l'une des listes nationales qui a été à l'origine de la grave crise qui aura émaillé ces dernières semaines.
En effet, pour le scrutin proportionnel, les organisations présentent une liste de titulaires et une liste de suppléants. Le 30 mai, le ministère de l'Intérieur a validé huit listes nationales. Mais il a déclaré "irrecevable" la liste des titulaires de Yewwi Askan Wi.
Les autorités reprochent l'inégibilité de l'une de ses candidates, figurant par inadvertance à la fois parmi les titulaires et parmi les suppléants. La Cour constitutionnelle a validé cette décision début juin. Pour la coalition Yewwi Askan Wi, il s'agit d'une élimination sous couvert de moyens légaux. L'autre grande coalition de l'opposition, l'AAR, ayant vu elle ses listes nationales validées.
L'accusation a été rejetée par la mouvance présidentielle qui n'a pas manqué de souligner que sa propre liste nationale de suppléants Benno Bokk Yaakkar avait elle aussi été disqualifiée pour défaut de parité hommes/femmes.
Le rejet de la liste Yewwi Askan Wi et, au passage, de la candidature de son leader Ousmane Sonko a été à l'origine de deux manifestations. L'une d'elles, le 17 juin, a donné lieu à des heurts entre manifestants et forces de l'ordre. Il y a eu trois morts.