Fil d'Ariane
Depuis le 21 avril dernier, date à laquelle il a succédé à son père, feu le président Idriss Déby Itno, c’est sa première grande interview accordée à un média étranger.
Cette prise de parole a été diversement appréciée au Tchad comme à l’extérieur du pays. Pour le journaliste et opposant tchadien Makaïla Nguebla, auquel la France a accordé l’asile politique depuis 2013, cet entretien est "une opération de communication qui cache mal le véritable niveau intellectuel du général Mahamat Idriss Déby", président du CMT, le conseil militaire de transition.
Même point de vue du côté de Succès Masra, le leader du parti Les transformateurs, dont l’existence vient tout juste d’être légalisée par la junte au pouvoir, pour qui il s’agit d’une opération marketing qui ne correspond pas aux attentes des populations tchadiennes. "L’essentiel, nous précise-t-il, c’est comment est-ce que nous pouvons nous mettre autour de la table, pour construire des bases nouvelles, des principes qui vont permettre à l’ensemble des Tchadiens de définir les conditions d’un nouveau départ pour tout le monde. Là est le véritable enjeu. Et sur ce plan aujourd’hui, les Tchadiens restent sur leur faim. »
Dans cette longue interview accordée au magazine panafricain Jeune Afrique, Mahamat Idriss Déby ne s’est pas contenté de brosser son portrait, ou de rassurer les opinions publiques nationale et internationale sur ses intentions politiques.
Il décline également quelques-unes des grandes lignes de sa démarche politique. Deux conditions lui semblent ainsi nécessaires au respect du délai de 18 mois pour la transition : un consensus inter-tchadien et des moyens financiers.
On est en train de nous entraîner vers une prolongation de la transition
Makaïla Nguebla, journaliste et opposant tchadien
S’agissant par exemple du financement de la transition, il rappelle que le Tchad n’y parviendra pas sans l’aide financière de ses partenaires internationaux.
Le député et opposant historique Saleh Kebzabo, dont le parti, l’UNDR, l’Union nationale pour le développement et le renouveau, appartient par exemple au comité ad hoc de sélection des candidatures au conseil national de transition, ne dit pas autre chose : "Quand le président du CMT nous suggère que si les deux conditions n’étaient pas remplies, il faudrait s’attendre à une prorogation, il l’a déjà dit, donc on est prévenu ! C’est la communauté internationale, qui dès le départ, nous a forcés à aller à 18 mois et pas plus. Puisqu’ils ont accepté ce délai de 18 mois, ils vont mettre la main à la poche. Et s’ils ne le font pas, je ne protesterai pas du tout, je ne lèverai pas mon petit doigt. Je dirai que la communauté internationale veut une prorogation, tout simplement."
Cette situation n’est pas inédite au Tchad. Depuis 2015, les élections législatives sont systématiquement repoussées pour absence de moyens de financements. D’où les craintes que beaucoup expriment de voir les mêmes causes produire les mêmes effets. "On est en train de nous entraîner vers une prolongation de la transition, souligne ainsi Makaïla Nguebla. L’ONU et l’Union africaine avaient demandé que la transition n’excède pas dix-huit mois. Or, techniquement, il semble que ce délai ne soit pas tenable. Car ils veulent mettre sur pied un conseil national de transition, alors que le peuple tchadien réclame plutôt la mise en place d’un dialogue politique souverain et inclusif."
Pour Succès Masra, le leader du parti Les transformateurs, proroger la transition pour des raisons financières que l’on ferait porter à la communauté internationale s’apparente davantage à une fuite en avant : "Nous constatons qu’on achète des armes, qu’il y a des nominations pléthoriques, des distributions de postes, un gouvernement de pré-transition qui comprend plus de 40 ministres, des dizaines de conseillers, on assiste donc à une sorte de partage de prébendes, là où justement il faut faire des économies, afin de nous permettre d’organiser la conférence inclusive de transition avec les moyens du Tchad, car nous pouvons le faire. »
Par ailleurs, Succès Masra continue de plaider pour une transition civile et militaire. Selon lui, le pays a besoin non pas d’un conseil militaire de transition, mais d’un conseil républicain de transition au sein duquel l’on pourrait avoir des civils et des militaires. Ce dernier aurait alors la charge de préparer une conférence inclusive de transition, à l’issue de laquelle un organe législatif pourrait être mis sur pied.
Il souhaite, en outre, que l’actuelle charte de la transition soit retouchée. Dans sa forme actuelle, cette charte laisse de nombreuses questions sans réponses. Ainsi en est-il de la possibilité pour toutes les personnes qui participent à la transition de prendre part aux futures élections.
A partir du moment où vous avez été acteur de la transition, vous êtes exclus des compétitions à venir.
Saleh Kebzabo, opposant
Tout en affirmant que les membres du conseil militaire de transition ne se présenteront pas aux scrutins à venir, Mahamat Idriss Déby a laissé entendre que "Dieu décide de tout, du destin comme du pouvoir".
Une référence à Dieu que balaie d’un revers de la main le leader du parti Les transformateurs qui rappelle à cet égard un principe universel : "l’on ne peut pas être juge et partie". Et sur ce point, il est sur la même longueur d’ondes que Saleh Kebzabo, le patron de l’UNDR qui estime que : "A partir du moment où vous avez été acteur de la transition, vous êtes exclus des compétitions à venir. Maintenant, c’est le niveau qu’il faudra exiger. Est-ce que ce sont seulement les dirigeants de la transition, c’est-à-dire les gens du comité militaire, le premier ministre, les membres du conseil national de transition, ou bien on fait l’amalgame et on considère que tous doivent être exclus ?"