Au Togo, cinq militaires condamnés pour le meurtre d'un colonel proche du pouvoir

Cinq militaires dont un général ont été condamnés mardi soir au Togo à des peines de 5 à 20 ans de prison pour le meurtre en 2020 du colonel Bitala Madjoulba, membre du cercle rapproché du président Faure Gnassingbé. Un verdict au terme d'une enquête pour le moins discrète.

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Illustration de Lomé

Illustration de Lomé, la capitale togolaise.

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Le 3 mai 2020, le colonel Bitala Madjoulba assiste à l’investiture du président Faure Gnassingbé, réélu à la tête du Togo pour un 4e mandat. Commandant du 1er Bataillon d’intervention rapide depuis 2014, ancien élève de l'École de guerre du Cameroun et de l'École nationale des officiers du Sénégal, celui qui a aussi dirigé plusieurs contingents onusiens est à sa place dans une telle cérémonie. Mais ce sera sa dernière apparition publique.  

Au matin du 4 mai, Bitala Madjoulba est retrouvé baignant dans son sang. Il a été tué par balle. 

La suite, ce sont des mois d’enquête dans la plus grande discrétion. Tout juste apprend-on quelques mois plus tard par l’Agence France-Presse que l’arme du crime a été identifiée. Nous sommes alors en novembre 2020. Le procureur chargé de l’enquête sort enfin de son silence alors que la société civile s’insurge depuis de longues semaines sur le silence des autorités. Les habitants de son village natal Siou, à plus de 500 km au nord de Lomé, ont aussi manifesté à plusieurs reprises pour exiger que "toute la lumière" soit faite sur cet assassinat. Le procureur admet avoir fait appel à des balisticiens ghanéens et avoir sollicité l’expertise de la justice française, mais aucune information officielle ne filtre sur les auteurs ou commanditaires supposés. Rien non plus sur le mobile. Certains journaux togolais estiment toutefois que le crime serait dû à un règlement de compte au sein de l’armée. 

Illustration du silence assourdissant entourant cette enquête, en mai dernier, trois ans après les faits, la famille et les proches du colonel en sont encore à réclamer que justice soit faite mais aussi que sa dépouille leur soit rendue ! “Parce qu’ils n’ont pas eu cet honneur d’enterrer leur fils, frère, père Toussaint Bitala MADJOULBA dont la dépouille est toujours à la morgue depuis exactement trois ans, les Togolais en général et les Nawdba (sa communauté) en particulier sont toujours plongés dans un deuil sans fin, un deuil perpétuel. L’enterrement est la seule façon pour notre frère de rejoindre ses ancêtres et nous les siens de pouvoir sortir de notre deuil”, peut-on lire dans un communiqué. 

"Le ver est dans le fruit"

En janvier 2023, néanmoins, un rebondissement intervient avec l’arrestation du général Félix Abalo Kadangha. Ancien chef d’état major de l’armée togolaise, il préside alors la Commission nationale de lutte contre la prolifération, circulation et le trafic illicites des armes légères et de petits calibres. 

Le général Kadangha aura été ces dernières semaines l’accusé vedette du procès. Il est aussi celui qui écope de la plus lourde peine : vingt ans d’incarcération. Le ministère public en avait réclamé cinquante.  

Il était jugé aux côtés de six autres militaires pour "assassinat, complicité d’assassinat, complicité d’entrave au bon fonctionnement de la justice et complot contre la sécurité intérieure de l’Etat". Deux d’entre eux, dont le chauffeur de la victime, ont été condamnés à quinze ans de prison et deux autres à cinq ans d'emprisonnement. Deux accusés ont été acquittés. 

Les condamnés sont déchus de leur qualité de militaires et doivent verser la somme d’un milliard de francs CFA (1,524 million d'euros) à l’État à titre de dommages et intérêts. 

Le mensuel Jeune Afrique rapporte que, jusqu’au bout, le général Kadangha, qui devait prendre sa retraite le 20 novembre prochain, aura “rejeté les accusations portées contre lui, affirmant que le colonel Madjoulba était comme son fils. Il avait répété n’être mêlé ni de près ni de loin à son assassinat”. 

Le procès n’aura pas permis d’éclairer totalement le mobile du crime. Une phrase prononcée par l’un des témoins à charge confirme toutefois les dissensions au sein de l’armée. Un colonel qui avait partagé la dernière soirée de Bitala Madjoulba affirmait ainsi à la barre que celui-ci lui avait, ce soir-là, conseillé de se méfier de tout le monde avec cette phrase énigmatique : "le ver est dans le fruit".