Fil d'Ariane
Un pays économiquement à terre, une répression de plus en plus forte... Six ans après la chute de Robert Mugabe, le Zimbabwe vote ce mercredi pour élire son président et ses députés.
Dans les rues de Harare la capitale zimbabwéenne, un homme marche devant les affiches électorales.
Emmerson Mnangagwa, président du Zimbabwe et candidat à sa réélection sous les couleurs de la Zanu-PF.
Le sortant tout d’abord. Surnommé "le crocodile", Emmerson Mnangagwa, 80 ans, qui a succédé à l'homme fort Robert Mugabe à la faveur d'un coup d'État, a gagné la réputation d'être un dirigeant encore plus autoritaire, déterminé à s'accrocher au pouvoir. Orateur terne, le président sortant réclame un second mandat. Ses détracteurs l'accusent d'avoir mis en oeuvre depuis des mois une répression de l'opposition, dans un contexte d'hyperinflation et d'économie sinistrée.
En public, il porte invariablement une écharpe rayée aux couleurs nationales et veut se forger une image d'homme politique abordable. Laconique, l'octogénaire épais aux cheveux teints se dit chrétien et raconte s'abstenir d'alcool six mois par an. Né en 1942, Emmerson Dambudzo ("adversité" en langue shona) Mnangagwa se forme à la guérilla notamment en Chine avant de rejoindre la lutte pour l'indépendance. Arrêté par les Britanniques, pendu par les pieds à un croc de boucher, il asseoit sa légende.
Après avoir fait exploser un train, il est arrêté en 1964 et condamné à mort, une peine commuée en prison en raison de son jeune âge.
Après l'indépendance, il est accusé d'être l'architecte des "atrocités de Gukurahundi" dans les années 1980, quand des soldats ont massacré quelque 20.000 civils de la minorité ndébélé pour mater l'opposition dans l'ouest du pays.
Partisan d'une ligne dure et poids lourd du parti au pouvoir (Zanu-PF) depuis l'indépendance, Mnangagwa devient chef de l'État en 2018 à l'issue d'une guerre de succession qui l'oppose à Grace Mugabe, l'épouse du président nonagénaire écarté en 2017.
Le bras de fer qui s'engage entre les rivaux se solde dans un premier temps par le limogeage de Mnangagwa du poste de vice-président. Craignant pour sa vie, il fuit au Mozambique. Mais en quelques semaines, la situation se renverse. Les généraux prennent le pouvoir et désignent Mnangagwa. Le pays assiste au retour triomphal de l'ancien dauphin soutenu par le parti au pouvoir. L'année suivante, Mnangagwa remporte la présidentielle avec 50,8%. L'opposition conteste les résultats, l'armée tue six manifestants. La justice valide le scrutin.
Une économie en plein marasme
Ancien grenier à céréales de la région et doté de riches ressources minières (platine, or, diamant, nickel), le pays a vu sa production agricole chuter après la réforme agraire des années 2000. Une profonde crise économique perdure, marquée notamment par une hyperinflation, un chômage de masse et un manque de liquidités. Le pays reste accablé d'importantes coupures de courant, pénuries d'essence, de pain ou de médicaments.
Après plusieurs années de contraction, le Zimbabwe a connu en 2021 une reprise avec 8,5% de croissance, ralentie à 3% en 2022 selon le Fonds monétaire international (FMI).
Ses plus de 15 millions d'habitants restent confrontés à la flambée des prix. Après avoir grimpé en flèche en 2020, l'inflation avait ralenti à 175,8% en juin 2023, selon les chiffres officiels, mais certains économistes l'évaluent plutôt autour de 1.000%.
En 2008, l'hyperinflation avait atteint des niveaux si vertigineux que la banque centrale avait été forcée d'émettre un billet de cent mille milliards de dollars zimbabwéens, devenu depuis un objet de collection.
Le Zimbabwe reste sous le coup de sanctions occidentales pour corruption et violations de droits. Le président accuse les sanctions occidentales contre le Zimbabwe d'empêcher l'économie exsangue de se relever, ce que Washington et l'UE démentent, affirmant qu'elles ne visent que les personnes impliquées dans des affaires de corruption.
Cette élection portait des espérances fortes pour davantage de libertés et une reprise économique, rapidement dissipées. Sans doute plus répressif que son prédécesseur, Mnangagwa n'a pas la vision idéologique de Mugabe, estime Brian Raftopoulos, chercheur politique zimbabwéen : "Il s'appuie sur la militarisation et la sécurisation, non sur un message intellectuel fort". Ex-ministre de la Défense notamment, il conserve des liens étroits avec les services de renseignements qu'il a dirigés. Des lois ont été récemment adoptées qui musèlent toute opinion dissidente. Militants, élus et intellectuels sont arrêtés, multiplient les séjours en prison.
Le leader de l'opposition et candidat du CCC à la présidentielle zimbabwéenne, Nelson Chamisa, devant des supporters en février 2022 à Harare.
Comme il y a cinq ans, le principal rival de Mnangagwa est Nelson Chamisa. Militant depuis des décennies, le chef de l'opposition, avocat et pasteur de 45 ans, se fait encore appeler "le jeune homme".
Ce surnom souligne sa différence d'âge avec le président sortant et permet aussi d'éviter de prononcer son nom en public, dans un pays où la Zanu-PF, au pouvoir depuis l'indépendance, impose depuis des mois une répression sans nuances de la dissidence. Le Zimbabwe ressemble de plus en plus à une "dictature", estime même Nelson Chamisa à la tête de la Coalition des citoyens pour le changement (CCC).
Ses chances de l'emporter semblent infimes. Les meetings du "Triple C" ont été interdits, certains de ses élus arrêtés et jetés en prison, et les craintes de fraude sont répandues. Chamisa connaît ça par coeur. Silhouette mince et fine moustache, il a été arrêté plusieurs fois pour ses activités politiques. En 2007, il est battu à coups de barre de fer et laissé pour mort, une agression imputée à des voyous du parti au pouvoir. En 2021, il échappe à ce qu'il qualifie de tentative d'assassinat lorsque des tirs visent son convoi. Une balle traverse le siège arrière gauche de sa voiture, sa place habituelle. "J'ai de la chance d'être en vie", dit-il.
Etudiant, il rejoint le Mouvement pour le changement démocratique (MDC) lors de sa création en 1999. Il en prendra la tête après la mort de son mentor, Morgan Tsvangirai, en 2018.
La même année, Chamisa a failli battre Mnangagwa lors d'un scrutin très serré. En 2022, Chamisa quitte le MDC et crée son parti, dont le jaune est la couleur, décidé à retenter sa chance. Des électeurs effarés par l'économie sinistrée du Zimbabwe, la corruption et l'inflation galopante, se rallient mais il n'est pas épargné des critiques, y compris dans son propre camp. "Il est aussi extrêmement sûr de lui, sans doute à tort", estime Nicole Beardsworth, universitaire sud-africaine.
Son style de leadership centralisé prive le CCC de structures, de crainte aussi d'être infiltré par le pouvoir en place. Ses détracteurs estiment qu'il a affaibli le parti, produisant confusion et désorganisation à l'approche du scrutin. Certains lui reprochent aussi de n'avoir pas réussi à formuler un programme, une vision pour le pays.
Dieu et la religion occupent une place prépondérante dans les messages de Chamisa, aliénant certains électeurs urbains.
Né à Masvingo, au sud de la capitale Harare, Chamisa a étudié le droit, les sciences politiques et la théologie. Il attribue sa carrière à l'insistance de ses parents pour qu'il excelle à l'école.
À la tête d'un important syndicat étudiant à la fin des années 1990, il est l'un des organisateurs des manifestations contre le gouvernement de Mugabe. Il gravit les échelons du MDC, devenant chef de son mouvement de jeunesse et porte-parole.
Il développe son aisance dans les prises de parole, écrit des discours passionnés et teintés d'humour, qui contrastent avec le sombre Mnangagwa.
Dans le gouvernement de partage du pouvoir mis en place en 2008, il devient le plus jeune ministre, en charge de l'Information.
"Chamisa est très charismatique", souligne l'universitaire zimbabwéen Brian Raftopoulos, qui cite, parmi "ses faiblesses", "son incapacité à rendre des comptes au sein de son propre parti" et une "absence de vision à long terme".