Le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye s’est rendu au Mali et au Burkina Faso le 30 mai. Avec le Niger, ces pays ont annoncé leur retrait de la Cédéao à la fin du mois de janvier. Selon Seidik Abba, journaliste et spécialiste du Sahel, le Sénégal a tout intérêt à faire revenir ces pays dans le giron de la Cédéao.
Le président Bassirou Diomaye Faye lors de son discours d'investiture le 2 avril 2024.
Bassirou Diomaye Faye l’avait promis avant son élection. Le président du Sénégal souhaite que les trois pays (Mali, Burkina Faso et Niger), ayant annoncé leur retrait de la Communauté économique des États d’Afrique de l’ouest (Cédéao), reviennent sur leur décision. “C’est dans ce cadre que l’on peut comprendre la démarche qu’il a initiée d’aller au Mali et au Burkina Faso en attendant de trouver le temps d’aller au Niger”, analyse Seidik Abba, journaliste, enseignant et chercheur spécialiste du Sahel.
Selon lui, Bassirou Diomaye Faye entretient une proximité avec les États de l’Alliance des États du Sahel (AES). Sa posture souverainiste lui offre une certaine légitimitée pour jouer un rôle de médiateur entre l’AES et la Cédéao. “ Son autre atout, c’est sa position critique envers la Cédéao”, poursuit le chercheur. Bassirou Diomaye Faye estime “qu’il faut revoir un certain nombre de choses qui posent problème avec la Cédéao. Mais seul le dialogue peut permettre de trouver une solution.”
TV5MONDE : Pourquoi Bassirou Diomaye Faye a-t-il choisi le Mali et le Burkina Faso parmi ses premières visites à l’étranger ?
Seidik Abba : Après avoir rendu visite aux voisins immédiats du Sénégal, que sont la Côte d’Ivoire, la Gambie, la Guinée Bissau, la Guinée Conakry et la Mauritanie, le président Bassirou Diomaye Faye a choisi de rencontrer les pays de l’AES. Il avait pris des engagements pendant la campagne électorale. Il avait dit qu’il irait parler aux États membres de l’AES (le Burkina Faso, le Mali et le Niger), car il considère que le divorce n’est pas définitif.
Il y a une forme de cohérence entre ce qu’il fait aujourd’hui et ce qu’il avait promis lors de la campagne électorale.
Seidik Abba, chercheur spécialiste du Sahel
En allant au Mali et au Burkina Faso, il y a d’abord la volonté de renforcer la coopération bilatérale entre le Sénégal et ces pays. Dans le même temps, il lance une initiative pour ramener ces pays dans le giron de la Cédéao, tout en envisageant la prise en compte de certaines de leurs revendications. Lui-même reconnait l’inefficacité de la Cédéao.
De ce point de vue-là, il y a une forme de cohérence entre ce qu’il fait aujourd’hui et ce qu’il avait promis lors des élections.
TV5MONDE : En quoi le modèle de l’AES diffère-t-il de celui de la Cédéao ?
Seidik Abba : Il y a plusieurs points importants sur lesquels l’AES souhaite se distinguer de la Cédéao. Les États membres de l’AES considèrent que la Cédéao est une organisation inféodée à l’extérieur. Ils estiment que des pays non-africains, non-membres de la Cédéao, influencent ses choix. Ils citent des chefs d’État de la sous-région par lesquels les puissances étrangères seraient passées pour influencer les décisions. Eux, ils veulent une organisation qui ne dépend d’aucune structure non-africaine.
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Il y a cette dimension de souveraineté. C’est ce qui explique leur proximité avec le président Bassirou Diomaye Faye. L’AES ne veut compter que sur elle-même, elle ne souhaite pas avoir un accompagnement extérieur.
Jusqu’ici, c’est ce qui a pu poser problème au niveau des pays africains et de leurs organisations sous-régionales. Elles étaient absolument dépendantes de l’extérieur en termes de financements. Les pays membres de l’AES entendent s’auto-financer. La contribution extérieure ne viendra que de façon subsidiaire.
Bassirou Diomaye Faye peut-il se rapprocher de l’AES pour s’éloigner de la France ?
Les positions souverainistes de Bassirou Diomaye Faye et sa proximité avec les pays de l’AES peut faire craindre une détérioration des relations entre le Sénégal et la France.
Selon Seidik Abba, “il n’y a pas de volonté d’éloignement à proprement parler ni de rupture avec la France.”
Pour le chercheur, le président sénégalais considère que certaines choses existantes avant, comme certains accords bilatéraux ou l’hégémonie de certaines entreprises françaises au Sénégal, ne peuvent plus se faire aujourd’hui.
En revanche, il considère que “le dossier entre la France et le Sénégal est un dossier à part qui va être discuté à un autre moment.”
Troisièmement, les pays membres de l’AES privilégient d’abord la dimension militaire et sécuritaire. Ils vont mettre en place une architecture de défense avant de dérouler tout le volet économique, alors que la Cédéao est dans une démarche d’intégration économique et ne prend pas suffisamment en compte les questions militaires.
TV5MONDE : Qu’est-ce que la réintégration des pays de l’AES dans la Cédéao peut apporter à Bassirou Diomaye Faye ?
Seidik Abba : Dans la stratégie du président Bassirou Diomaye Faye, le retrait de ces pays-là va faire perdre les acquis de la construction et de l’intégration sous-régionale. La Cédéao a été créée en 1975 et aujourd’hui, plus de 50 ans après, si la Cédéao venait à disparaître ou si le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger venait à se pérenniser, cela représenterait une perte.
Il y a une dimension bilatérale dans la démarche du président Bassirou Diomaye Faye.
Seidik Abba, chercheur spécialiste du Sahel
Pour le Sénégal, le retrait du Mali de la Cédéao, un de ses pays frontaliers, vient pénaliser son intégration régionale. Le Mali importe et exporte à partir du port de Dakar, qui est son deuxième port après celui d’Abidjan.
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Il y a une dimension bilatérale dans la démarche du président Bassirou Diomaye Faye. Il considère que le départ des États de l’AES de la Cédéao va avoir aussi une conséquence sur le plan bilatéral pour le Sénégal.